La sorcière était partie trois jours en mission à Garancia, à la recherche d'un alchimiste spécialisé dans les minéraux et notamment dans l'étude des réactions mannanéennes. C'était une nouvelle tentative des Absinthes pour sauver le cristal. Heureusement Florelle n'était pas seule mais accompagnée de Mavic et d'Altè, la seconde des Verts, folle d'excitation à l'idée de rencontrer un grand alchimiste. Ils ne l'avaient malheureusement pas déniché mais avait récupéré des informations quant à sa localisation. Une mission inutile qui n'avait eu que pour but d'éloigner Florelle de la cité et de Cléan. Elle ne pensa qu'à lui et à Lance durant ces trois jours. Ses sentiments pour le chef étaient ambivalents car elle lui en voulait beaucoup de l'avoir ainsi écartée, de ne pas l'avoir écoutée et de croire bêtement qu'elle préférait Cléan à lui. La seule solution à son problème serait d'avouer au dragon ceux qu'elle éprouvait pour lui, autant positifs que négatifs, qu'il la comprenne à défaut de la juger.
À leur retour dans la matinée, Florelle et Mavic se rendirent au Bastion d'Ivoire puis à l'office où les Obsidiens prenaient une pause après une séance d'entraînement intensif sous le soleil. L'adlet salua ses collègues et leur demanda les nouvelles des trois jours et c'est à ce moment-là que Wila leur apprit le dernier sujet de conversation de la garde d'Eel.
— Le procès de Cléan de Raev a été avancé. Il a été jugé hier.
— Quoi ? s'exclama Florelle, désemparée et furieuse. Il ne devait avoir lieu que dans une semaine ! Qui l'a défendu ?
— Personne. Il ne voulait pas de défense. Il n'a rien dit et a assumé toutes les charges, expliqua la sirène sur un ton d'indifférence.
Florelle savait que tous les Obsidiens méprisaient le renard-garou en raison de sa trahison qui était profondément à l'encontre de leurs valeurs morales et, pourtant, elle aurait tant voulu leur expliquer la vérité. Mais Mavic la coupa :
— J'espère qu'il a écopé de la potence, ce traître, souffla-t-il.
— Tes prières ont été entendues, il sera exécuté demain soir au coucher du soleil.
La sorcière se sentit faible à l'énoncé du verdict, ses jambes flageolaient et elle déglutit difficilement alors qu'une boule d'angoisse se forma dans son estomac. Derrière elle, Lance venait de pénétrer dans l'office et la sorcière lui lança un regard noir.
— Tu m'as envoyée en mission pour pouvoir le faire juger et l'exécuter discrètement ?
— De quoi tu parles ?
— J'en reviens pas que tu aies fait ça, souffla-t-elle, bouleversée.
Elle quitta l'office dans un coup de vent mais le dragon la rattrapa dans le couloir et la força à lui faire face et laver les accusations qu'elle avait lancées contre lui.
— J'étais parti hier à Amendo pour discuter des cas d'Harldur et d'Elir, se défendit-il. Je n'ai appris que ce matin pour le procès de Cléan.
— Tu es bien heureux dans ce cas ! Comment ça se fait que Miiko ait décidé soudainement de le juger hier ? Lui as-tu glissé l'idée à l'oreille ?
Florelle savait bien que sa raison parlait moins que sa peine et sa colère mais elle devait trouver un coupable et Lance était tout désigné. Les joues humides de ses larmes, elle poursuivit à déchaîner ses émotions.
— Tu étais jaloux que je lui porte un peu d'attention ? Tu ne sais pas de quoi il a souffert et personne ne l'a défendu ! Moi, je l'aurais fait.
— Florelle, je n'ai rien précipité et, au-delà de ses crimes, il reste au fond de moi une once d'amitié et de sympathie pour cet homme.
— Je ne te crois pas une seconde...
Son jugement était aveugle, bien que le regard bleu de glace du chef transpirait de sincérité. Elle voulait hurler sa rage contre lui, contre la garde, mais se détourna de Lance, après avoir secoué la tête, dégoûtée par la tournure qu'avait pris la situation.
Elle déposa simplement son barda et ses vêtements sales dans sa chambre et se dirigea à pas rapides vers les prisons du sous-sol. Elle avait essuyé ses larmes mais son regard gris brûlait d'une violente colère qu'elle était prête à déverser sur le premier venu qui l'ennuierait. D'un pas assuré, elle tourna à droite au troisième couloir et fut hélée par l'intendant de garde.
— Vous n'avez pas l'autorisation de rendre visite à ce prisonnier !
— Allez me dénoncer à mon chef ! cria-t-elle alors qu'elle était déjà au milieu du couloir.
Elle s'arrêta devant la huitième cellule et, à distinguer la silhouette assise de Cléan, les larmes menaçaient de couler à nouveau. Depuis une vingtaine de jours, elle avait découvert un homme plus loyal et meilleur que ce que tous imaginaient. Il était charismatique, drôle et ils partageaient la même vision de la garde, de la vie et de leurs valeurs. Ils avaient aussi parlé de Lance, Cléan avait raconté des anecdotes qui avaient fait rire Florelle, bien loin de la vision impeccable qu'elle avait de son chef. Et de son côté, elle avait réussi à démêler les sentiments qu'elle éprouvait pour lui. Même si à présent, ce n'était pas l'amour ou l'admiration qui prenait le dessus sur la colère et la rancoeur.
Devant la porte close, à travers la lucarne à trois barreaux, la sorcière, la gorge nouée, ne put prononcer un mot.
— J'imagine que tu as appris la dernière nouvelle, devança Cléan d'un ton triste.
— Pourquoi tu n'as pas dit la vérité concernant Sparo ? Ça aurait pu t'aider.
— Quelles preuves avais-je à avancer ?
— Mes visions auraient pu suffire. Si j'avais été présente... Pourquoi le procès a-t-il été avancé ? questionna Florelle, tremblotante.
— Une simple histoire d'organisation...
— Est-ce que tu sais si quelqu'un a cherché à précipiter ton exécution ? Est-ce que Lance a quelque chose à voir là-dedans ?
Le renard-garou se leva de sa couche et se présenta de l'autre côté de la porte. La sorcière remarqua son regard fatigué et les poches sous ses yeux aux iris rouges. Il n'avait pas dormi depuis la sentence.
— Florelle, personne n'est et ne sera responsable de mon sort à l'exception de moi-même. Si ça peut te rassurer, Lance n'avait même pas été informé de l'avancée du jugement, il était déjà parti en mission.
Face à lui, au destin funeste qui l'attendait, les larmes de la sorcière s'échappèrent de ses yeux. Cléan passa la main à travers les barreaux et les essuya du pouce.
— Ne sois pas triste, je vais rejoindre ma femme et mon enfant, si le Créateur ne me condamne pas au purgatoire, la consola-t-il d'un sourire ému. Et je suis heureux d'avoir passé mes derniers jours en ta compagnie. Tu es une jeune femme exceptionnelle.
Florelle baissa la tête pour dissimuler les sanglots qui secouaient à présent ses épaules, ses articulations blanches de serrer les barreaux qui l'empêchaient d'étreindre ce prisonnier qui était devenu son ami.
— Je ne peux pas, déclara-t-elle entre deux reniflements. Je refuse de te voir mourir.
— Tu n'es pas obligée d'assister à mon exécution, je risque de ne plus être très présentable après ça, dédramatisa le mercenaire.
— Non, je veux dire... Tu ne vas pas mourir parce que je vais t'aider à t'évader, décida-t-elle, résolue. Tu n'aurais jamais dû être capturé à l'origine. Je refuse que tu meurs et je ferais ce qu'il faut pour que tu vives.
— Ne fais pas ça Florelle ! Je te l'interdis ! Ne fous pas tout en l'air à cause de moi ! Si j'avais eu le choix, j'aurais choisi la garde et tu dois en faire de même. Pense à tes amis, pense à Lance.
— Ce n'est rien face à ta vie ! Tu es devenu mon ami et je ne peux pas rester à rien faire !
De l'autre coté de la porte, Cléan secoua la tête, le regard suppliant.
— Ne fais pas ça...
— Prépare-toi, je viendrai demain à la première heure, il faut que j'organise notre fuite et que je trouve une carriole en partance d'Eel.
Le mercenaire pouvait voir à travers les iris gris de l'Obsidienne ses pensées s'agiter autour de cette évasion qu'il refusait. Il ne put la convaincre avant qu'elle ne reparte et dans sa poitrine, son coeur se serra. Il refusait qu'elle se sacrifie pour lui.
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La soirée était largement entamée lorsque Lance se rendit aux sous-sol du château. L'intendant des cuisines venait aussi de descendre les repas des prisonniers : un bouillon de poisson, un morceau de lard, du fromage et deux tartines plus très fraîches. Un plateau se différenciait des autres : une bavette de taureau avec une sauce à l'échalote, une cassolette de carottes cuites au beurre et un morceau de tarte aux fruits qui semblait délicieuse.
— Je m'occupe de celui-là, prévint Lance.
Le chef prit le plateau et se dirigea vers la cellule de son ancien ami dont la porte était ouverte dans l'attente de son dîner.
— Tu as poussé le vice jusqu'à apporter mon dernier repas...grimaça Cléan.
Lance trouva le renard-garou bien triste et amer,, seul et reclus dans sa cellule sombre.
— C'est toi qui m'a fait demander, lui rappela le chef.
— Florelle veut me faire évader, lui avoua Cléan. Je ne lui ai rien demandé, j'accepte ma peine, mais elle est obstinée et je refuse qu'elle fasse ce sacrifice pour moi.
— Elle ne ferait pas ça, nia Lance, les sourcils froncés, incrédule.
— Fais en sorte que cela n'arrive pas. Je ne veux pas qu'elle fasse la même erreur que moi.
L'Obsidien serra la mâchoire, il n'imaginait pas la sorcière faire une telle chose, bafouer ses valeurs pour cet individu, ce criminel. Il était furieux qu'elle envisage cela et il ressentit une once de peur qu'elle ne s'éloigne de lui, qu'elle parte avec un autre qu'elle ne connaissait que depuis quelques jours.
— Est-ce qu'il y a quelque chose entre vous ? questionna-t-il d'une faible voix.
Cléan éclata d'un rire sans joie, comme si Lance avait raconté une blague de mauvais goût.
— Tu es un excellent combattant et je suis sûr que tu es un bon chef de garde mais tu es un incompétent concernant les relations amoureuses, se moqua le renard. Florelle est une fille géniale et alors que j'étais prêt à mourir, elle me redonne l'envie de vivre. Mais pour répondre à ta question, nous ne sommes que des amis et son coeur est déjà pris. Par contre, si tu ne te décides pas, tu la perdras. Elle ne va pas t'attendre éternellement...
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Florelle quitta sa chambre à l'aube, la boule au ventre. Elle avait prévu un plan plus ou moins élaboré, avec une grande part d'improvisation. Elle n'avait eu qu'une demi-journée et une nuit pour organiser la fuite de Cléan. Elle avait rassemblé quelques affaires qu'elle voulait emporter et elle avait été torturée par l'idée de laisser ou non un mot à Lance, lui avouer son crime et expliquer son geste. Puis, elle avait manqué de temps et se dit que, plus tard, lorsqu'elle serait en cavale, elle aurait le temps nécessaire pour lui écrire.
En tenue de garde, elle descendit les escaliers en colimaçon vers les prisons en espérant que tout se passe pour le mieux. Elle devait prétendre emmener Cléan pour une dernière ablution au temple du Créateur, en priant que l'intendant ne soit pas trop regardant sur le parchemin d'autorisation qu'elle avait falsifié.
Une fois à l'extérieur du château, un marchand d'hydromel devait les conduire à l'extérieur de la ville, contre une large partie de toutes les économies qu'elle avait épargnées de sa solde. Une fois hors d'Eel, les deux fugitifs auraient alors peu de temps pour mettre le plus de distance possible entre eux et l'Obsidienne. En s'imaginant à l'autre bout du monde et loin de la colère de Lance, Florelle se sentit mieux, pire que la peine qu'elle risquait de provoquer, la déception de ses amis et la colère du chef la terrifiaient. Puis Cléan revint à son esprit et elle sut qu'elle faisait le bon choix. Déterminée à tout tenter pour lui sauver la vie, la sorcière tomba des nues lorsqu'elle aperçut Lance au pied levé, à l'entrée des prisons, échangeant quelques mots avec l'intendant de garde.
Florelle s'arrêta net et réfléchit à toute vitesse sur l'excuse qu'elle devait à présent fournir pour justifier sa présence ici. Lance, de son côté, pria l'intendant de les laisser seuls.
— Je suis venue faire mes adieux à Cléan, expliqua-t-elle.
— Ce n'est pas la peine de mentir, la coupa rudement Lance. Il t'a dénoncée, il m'a parlé de ton souhait de le faire évader.
La gardienne tomba des nues puis serra les dents de frustration. Pourquoi le renard aurait-il fait une chose pareille ?
— Je constate qu'il était sérieux et toi aussi.
— Lance, je...
— Non, tout ce que tu pourras dire ne fera qu'aggraver ton cas.
Le chef la prit par le coude et la poussa à remonter à la surface.
— Est-ce que je peux au moins le voir une dernière fois ? réclama-t-elle.
— Non.
Elle se débattit mais le chef la maîtrisa facilement et, comprenant qu'elle ne verrait plus son ami et ce malgré tout le mal qu'elle s'était donné pour lui rendre la liberté, Florelle eut les yeux humides. Cléan allait mourir.
La tenant fermement, Lance la conduisit vers leur Q.G. et une réserve jamais utilisée en sous-sol où Lance plaça Florelle.
— Qu'est-ce que tu vas faire de moi ? interrogea la prisonnière, grognement de frustration.
— Je l'ignore encore, lui répondit-il dans une colère maîtrisée. Tu resteras ici quelques heures, le temps que je règle une affaire pressante, expliqua-t-il en verrouillant la porte métallique derrière elle.
Puis, le dragon repartit sans autre explication et laissa la sorcière rager dans son coin. Par totale inutilité mais pour se décharger, elle donna un coup de pied dans une caisse en bois qui trainait. Elle tournait en cage, à jurer contre Cléan, cet idiot !
Il l'avait dénoncée, mais pourquoi ? Parce qu'il préférait mourir plutôt qu'elle ne se sacrifie pour lui ? Elle n'en revenait pas qu'il soit aussi stupide.
Puis elle s'assit et la situation lui remua les entrailles. Le renard-garou allait mourir et elle se retrouvait impuissante, pire, ridicule. Elle n'aurait rien dû lui dire et agir tout de même. Son sort lui importait moins alors qu'au coucher du soleil son ami périra.
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Comme promis, Lance revint chercher Florelle un peu avant le déjeuner. Il ne lui avait pas adressé la parole alors qu'elle était allongée sur un empilement de sac en toile poussiéreux, ni un regard lorsqu'il se dirigea vers les bureaux des officiers. Valkyon s'y trouvait et interpella son frère lorsqu'il le vit.
— Je n'ai malheureusement pas de temps à t'accorder, le coupa immédiatement l'aîné. J'ai une mission qui vient de m'être confiée.
— Comment ça ?
Surprise à son tour, Florelle fronça les sourcils. De quoi Lance pouvait-il parler ? Une mission dont elle n'était pas informée ? Est-ce que cela avait un rapport avec Céan et elle ? Le chef sortit de son dos un parchemin rouge et le montra à son frère qui ne posa pas plus de question. Les parchemins rouges signifiaient qu'il s'agissait d'une mission secrète, confiée à la charge des chefs de garde et dont personne, à l'exception du commanditaire et de l'exécuteur du parchemin, en connaissait le contenu.
— Je pars immédiatement et j'ai besoin que Florelle m'accompagne. Je te laisse gérer la garde jusqu'à mon retour.
— Combien de temps partez-vous ?
— Je l'ignore. Quelques jours, tout au plus. Tu peux brûler le parchemin, j'ai pris note des informations clé qu'il contenait.
Exécutant l'ordre de son supérieur, Valkyon jeta le rouleau incarnat dans le feu de cheminée mourant. Lance attendit que le papier ne devienne cendres avant de se tourner vers Florelle.
— Allons-y.
Les deux Obsidiens quittèrent le bureau et se dirigèrent vers les dortoirs.
— Qu'est-ce que cela signifie ? questionna la sorcière, méfiante.
— Tu verras mais nous devons partir rapidement. Prends des affaires, pour trois ou quatre jours, pas plus.
Florelle ne comprenait pas l'urgence, ni le rôle qu'elle jouait dans cette mission secrète, mais elle obéit. Ayant déjà prévu son départ, elle fut rapide pour préparer un sac et le duo quitta la cité.
Après une heure de marche vers le nord, dans un silence emprunt de concentration que connaissait bien Florelle, cette dernière jugea qu'ils étaient assez loin de la cité pour obtenir des réponses.
— Est-ce que tu peux enfin m'expliquer ? réclama-t-elle.
— Pas encore.
— Quelle est cette mission si urgente ? Et on ne parle pas de ce matin ? insista-t-elle en arrêtant son pas.
— Je te dirai tout lorsque nous serons arrivés.
Le silence reprit ses droits et Florelle son chemin alors que son supérieur n'avait même pas ralenti le pas. Ils ne s'arrêtèrent qu'à une seule reprise pour manger et boire.
Cette demi-journée fut un vrai supplice psychologique pour la sorcière. A chaque heure qui passait, à chaque fois que le soleil paraissait plus bas dans le ciel, elle pensait à Cléan et son pas ralentit. Elle avait encore envie de pleurer ou de fausser compagnie à Lance pour rejoindre Eel à temps pour empêcher l'exécution. Mais l'idée d'arriver trop tard la terrifiait et la rendait malade. A plusieurs reprises, le chef dut la motiver à avancer, mais ne commenta pas la décomposition progressive de son visage. Finalement, après une heure de marche à l'intérieur de la forêt de Skur, Lance s'arrêta à une cabane de chasse, comme il y en avait tant, et commenta :
— C'est une cachette qui appartient à l'Obsidienne et, à part les officiers, presque personne ne connaît son emplacement.
— Qu'est-ce qu'on fait là ? questionna la gardienne, démoralisée.
— Tu comprendras bientôt, tu peux t'installer, je vais faire un feu.
Loin du comportement raisonnable de la gardienne qu'elle était, Florelle jeta son paquetage sur la seule couche de paille et retourna à l'extérieur de la cabane sans répondre à Lance qui s'affairait dans l'âtre de la cheminée. Elle trouva une souche d'arbre sur laquelle elle s'assit et regarda l'orange du soleil couchant baigner le ciel des couleurs chaudes qui la glaçaient. Dans quelques instants, l'astre disparaîtrait à l'horizon et Cléan serait exécuté. A nouveau, elle voulut pleurer et cette fois, elle ne retint pas ses larmes. Elle ferma les yeux au moment où la splendeur du soleil laissa la place au vide terrifiant du crépuscule.
Elle renifla lorsque Lance se posta debout auprès d'elle. Florelle leva les yeux humides et la tristesse laissa place à une colère redoublée.
— Tu es satisfait ? C'était une sorte de torture de m'emmener ici ? C'est pour me punir de mon geste ou m'en sauver que nous sommes là ? Je ne comprends pas !
Pourquoi le visage du chef semblait si serein, voire presque heureux ? Il aurait dû être figé dans un masque de froide colère, de déception. Qu'est-ce qu'elle avait loupé ?
— Il te fallait un alibi, et à moi aussi, expliqua-t-il mystérieusement. Il ne fallait pas que l'on nous soupçonne, j'ai donc volé un parchemin rouge pour simuler le fait que l'on nous confie une mission secrète.
— Mais pourquoi toute cette mascarade ? soupira Florelle dans la totale confusion.
Un bruissement de feuilles lui fit tourner la tête et bien que le soleil ait fini sa course, il restait suffisamment de lumière pour que la sorcière reconnaisse la silhouette mi-humaine, mi-vulpine de Cléan. Dépassant le choc initial de voir son ami avec la tête sur les épaules, Florelle se leva en catastrophe pour se précipiter vers lui et se jeter dans ses bras.
— Comment est-ce possible ? Tu t'es enfui !
— J'ai eu un peu d'aide, avoua Cléan avec un sourire à l'intention de Lance.
La sorcière se tourna vers son supérieur avec cet air incrédule sur le visage.
— Je ne l'ai pas fait pour lui, se justifia ce dernier. Mais tu m'as convaincu de lui poser les bonnes questions.
— Tu lui as tout raconté ? interrogea-t-elle le mercenaire.
— J'ai gardé quelques secrets en réserve, admit-il d'un clin d'oeil amusé. Mais tu m'as fait confiance et il t'a fait confiance. Je te remercie Florelle Blackhill, tu m'as aidé à retrouver l'envie de vivre.
Cléan semblait ému et serrait dans ses mains celles de la gardienne avec fermeté.
— Tu dois partir, Eel doit être en effervescence, le prévint Lance.
— Je ne suis pas sûr que nous nous reverrons un jour, mais merci.
Cléan s'était détaché de Florelle pour rendre une main à son ancien ami. Celui-ci accepta la poignée de main mais ne lâcha pas sa prise avant d'obtenir une dernière promesse.
— On est bien d'accord ... ?
— Je ne vendrai plus mes talents d'Obsidien pour m'enrichir, jura le renard-garou. Je deviendrai meunier ou berger, ajouta-t-il à l'intention de Florelle avec un clin d'oeil entendu.
Enfin, les anciens amis se quittèrent en bon terme et, après avoir enlacé une dernière fois la sorcière, Cléan disparut dans l'obscurité de la forêt.
La nuit s'était entièrement répandue sur les alentours mais la gardienne continuait de fixer l'endroit où son ami s'était enfoncé entre les arbres. Lance la rappela à la réalité en posant une main contre son dos. Ils retournèrent à l'intérieur de la cabane où un feu réchauffait l'atmosphère.
Florelle souriait encore bêtement de savoir Cléan bien vivant, et l'angoisse qu'elle avait ressenti tout au long de la journée s'était comme envolée. Croisant le regard de Lance, son sourire se renforça.
Elle avait mis quelques secondes à comprendre ce qu'il avait fait, ce qu'il avait permis de faire. Elle lui en était éternellement reconnaissante. Mais au lieu de le remercier, elle commença par s'excuser.
— Je suis désolée de la façon dont je t'ai parlé et des risques que tu as été forcés de prendre.
— Nous allons attendre ici quelques jours, le temps que la chasse à l'homme prenne fin, lorsqu'ils comprendront que Cléan est déjà loin.
— Il t'a raconté, pour Sparo, pour sa femme ?
— Je n'ai pas besoin de connaître tous les détails, releva-t-il. Tu étais prête à sacrifier tout ce que tu avais obtenu. Tu as cru en lui et j'ai voulu croire en toi.
Assez subtilement, Lance s'était rapproché de Florelle, au point qu'il pouvait la toucher.
— Je te remercie.
— Je te dois aussi des excuses, poursuivit le dragon. J'ai agi comme un idiot jaloux.
Florelle baissa la tête pour cacher le léger rouge aux joues et dissimuler son sourire teinté d'embarras et de plaisir. Elle sentit la main du dragon repousser une mèche de cheveux avant de l'apposer contre sa joue. Elle releva la tête, son sourire avait disparu, s'abandonnant à la caresse alors que ses joues empourprées brûlaient. Lance semblait tout aussi décontenancé par ce geste qu'il n'avait pas réussi à retenir. Son regard bleu pétillait d'une tendresse et d'une vulnérabilité que la sorcière n'avait jamais décelées chez lui jusqu'à cet instant.
— Je ne suis pas très doué pour avouer mes sentiments, concéda-t-il dans une formule euphémique. Ce que je veux dire, c'est que je suis prêt à prendre tous les risques pour toi.
Florelle posa sa main sur de la sienne, contre sa joue pour en refermer ses doigts par dessus, l'attirant à elle.
— Je ne voulais pas qu'il meurt mais j'avais tellement peur que tu m'en veuilles, avoua-t-elle, le souffle court. J'ai eu peur que tu m'en veuilles, que tu me détestes.
— ... C'est impossible.
Leurs regards se dévoraient, leurs lèvres respiraient le même air et, enfin, s'effleurèrent dans un baiser qu'ils avaient trop longtemps réprimé.
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[Eldarya] [Lance]Le Sang des Sorcières
FantasyFlorelle est une sorcière sans pouvoir qui vit avec sa famille sur Terre. Les Blackhill constituent l'une des lignées de plus anciennes et puissantes d'Europe, et dont les légendes racontent la création du monde d'Eldarya. Entraînée par sa cousine...