La cité d'Eel était en plein tumulte, au milieu d'une agitation bouillante teintée d'urgence mais aussi avec la ferme volonté de montrer qu'elle tenait toujours les rênes.
Ce grouillement d'activité était dû à la venue de trois importantes délégations en trois jours seulement. Leur arrivée fut grandement remarquée et chamboula le quotidien de la garde en pleine crise.
En résumé, l'Obsidienne avait déserté Eel, laissant derrière eux un mort, symbole de leur trahison. Des informations provenant de l'ouest suggéraient que Cierna était sortie de terre et que Florelle Blackhill réunissait une armée de sorcières dans le but d'entamer une guerre. Le Conseil de la Garde d'Eel n'avait pas vraiment jugé la menace dangereuse mais la nouvelle de la recrudescence de sorcières avait fait ressurgir les vieilles craintes et la haine enfouie. Les vainqueurs de la première guerre contre les sorcières avaient jugé préférable d'agir pour étouffer la révolte dans l'oeuf.
Les premiers à arriver en catastrophe furent les kitsune appartenant à la famille de Miiko. Naosuke Hôjo, le père, était le chef de la prestigieuse garde d'Émeraude dans la cité du Tengoku. Il était accompagné de son fils cadet, Kôsuke, qui n'était autre que son second.
La deuxième délégation était des Ren-Fenghuang et notamment la grand-mère d'Huang Hua, Huang Chong, accompagnée d'un jeune Phénix cousin éloigné du même clan, qui lui avait été confié pour parachever sa formation de futur dirigeant.
Enfin, en dernier lieu, étaient arrivés en grande pompe les elfes, membres de la garde de l'Aubépine, provenant de la grande cité elfique de Garancia, au coeur de la forêt d'Alba.
Avec tout ce petit monde, la salle du cristal fut remplie, mais l'idée que la majorité des membres éminents d'Eldarya soient présents n'enchantait pas le Conseil qui passait pour incompétent dans la gestion de la crise qui avait trouvé son origine en son sein.
Les membres d'Eel tenaient leurs places habituelles : Miiko et Leiftan, Janaz et Nevra puis Ezarel, dépouillé de sa seconde qui l'avait trahi également. En rond autour de la table qui restait vide dans la majorité, les invités posaient un regard concentré sur une grande carte qui représentait le territoire géré par Eel.
— Alors, que savons-nous ? questionna le patriarche kitsune de la famille Hôjo.
L'homme était du même poil noir que sa fille mais des fils d'argent parsemaient ses cheveux et sa barbe, taillée en pointe sévère, était blanche à son extrémité, comme la pointe de ses oreilles et de ses huit queues.
Son fils, le second de la fratrie après Miiko, lui ressemblait en tous points mais avec trente ans de moins. Lui aussi était doté de huit queues, signe de puissance.
Miiko détestait son père et, a fortiori, son frère bien qu'elle ait toujours tenu ses distances avec lui, même enfant. La kitsune était une source d'embarras pour son clan, une fille comme premier enfant, avec seulement quatre queues...
Huit était très satisfaisant, neuf parfait, alors quatre, c'était plus qu'une disgrâce pour le clan Hôjo. La chef des Étincelants avait souvent été rabaissée publiquement par son paternel. C'était un fin stratège de guerre mais un père plus que médiocre qui attendait plus de choses de ses enfants que de ses hommes qu'il traitait même avec davantage de considération.
Dès son apprentissage terminé, Miiko avait quitté Tengoku pour la plus prestigieuse des cités, Eel et son joyau, le grand cristal. Elle voulait prouver à son père qu'elle était digne de son patronyme et de l'éducation stricte qu'elle avait reçue. La jeune femme avait réussi au-delà de ses espérances, elle était la chef de la grande Étincelante, qu'elle dirigeait avec brio, avant même ses trente ans.
Malheureusement, son destin se jouait d'elle. Alors que son père avait été indifférent à sa réussite durant toutes ses années, il était bien le premier à venir lorsque tout était sur le point de s'écrouler.
— Dans un premier temps, répondit-elle enfin, nous avons suivi l'Obsidienne jusqu'aux montagnes du Wigné. Nos éclaireurs pensent qu'ils ont extrait des pierres pour s'enrichir avant de partir pour Cierna.
— Ainsi, c'est donc vrai, la cité noire est à nouveau debout ?
— Oui, elle n'a jamais été détruite, contrairement à ce qu'on a voulu nous faire croire, concéda Ezarel. Les sorcières ont préféré enfouir la cité plutôt que de la laisser entre nos mains.
— J'imagine qu'il n'a fallu alors qu'un peu de sorcellerie pour la faire resurgir du passé...
L'homme qui venait de s'exprimer n'était autre qu'Orèl, chef de la précieuse Aubépine, puissante garde d'archers de Garancia, la grande cité elfique d'Eldarya. Il portait de longs cheveux lisses et châtains, un regard noir et méprisant dans une attitude volontiers suffisante et surtout, une vilaine cicatrice sur le côté gauche de sa bouche qui donnait l'impression d'un demi-sourire dérangeant.
Jadis, Ezarel avait appartenu à la garde de Garancia, en tant qu'alchimiste de la Glycine avant qu'il ne la quitte et n'atterrisse à Eel. Parallèlement à son départ, avait éclaté une sombre affaire de vol concernant des grimoires de haute-sorcellerie dans la grande Bibliothèque de Lexandrie. Jamais personne n'avait formellement accusé Ezarel mais des doutes planaient quant à son implication.
Arrivé à la tête de l'Absinthe, ce dernier avait tenté d'élever la garde au même niveau que celle de la prestigieuse Glycine mais la tâche semblait impossible tant les alchimistes de Garancia excellaient dans cette science qu'ils avaient élevée au rang d'art.
— Cependant, nous possédons un avantage, reprit Janaz, la citadelle est en ruines. Nous avons procédé à plusieurs expéditions terriennes et aériennes pour récolter un maximum d'informations.
— Jusqu'où avez-vous pénétré entre les murs ? questionna le général kitsune.
— La ville est déserte, ils sont tous retranchés dans le château, lui répondit-elle. C'est le seul bâtiment qu'ils peuvent objectivement défendre et encore, il faudrait qu'ils aient le temps de creuser des douves et rebâtir quelques murs.
Nevra avait déplié les plans de Cierna. Il avait trouvé les originaux dans la Bibliothèque et avait marqué les failles de la citadelle et du château.
— Combien sont-ils ?
— Difficile à dire, entre trente et quarante, sans compter l'Obsidienne mais des Faeries arrivent tous les jours.
— Une estimation du nombre de sorcières ?
— Difficile à dire, toutes les femmes ne sont pas des sorcières...
— Mais une seule d'entre elles suffirait à nous mettre en difficulté, il faut les éliminer en premier et tuer tous les individus présents.
Orèl annonça ses ambitions sans prendre garde aux termes qu'il utilisait. Il voulait détruire Cierna et tous ceux qui oseraient ne serait-ce que leur prêter attention.
— Quand est-ce que nous pourrions constituer nos troupes ?
— Au plus vite au mieux.
C'était la grand-mère d'Huang Hua qui venait, pour la première fois, de s'exprimer. Étonnamment, elle avait un physique assez proche de celui de sa petite-fille. Elle était jeune, venant de renaître trente ans plus tôt de ses cendres. Les deux femmes auraient pu être soeurs avec la même peau brune, leurs yeux dorés et leur chevelure auburn. La différence se portait sur le style vestimentaire plus classique et plus sage de l'aînée. Hua préférait adopter des couleurs chaudes et des coupes qui mettaient en valeur ses formes avantageuses.
— En deux jours, la totalité de la garde d'Émeraude peut être présente, informa le père de Miiko.
— Général, intervint sa fille. Nous ne pensons pas que l'Émeraude au complet soit nécessaire. Nous disposons des gardes de l'Ombre, de l'Étincelante et d'Absinthe.
— De plus, renchérit Huang Hua, une vingtaine d'hommes du Temple de l'Oiseau de feu est arrivé hier pour assister aux funérailles de Zifu.
Huang Hua s'exprimait avec déférence envers le général, elle qui était à l'aise dans ce genre d'échanges stratégiques mêlés de débats politiques. Toutefois, Naosuke Hôjo refusa catégoriquement sa proposition.
— Le Temple de l'Oiseau de Feu ne doit pas voir sa protection diminuer. Les reliques qu'il abrite sont inestimables pour Eldarya.
— N'ayez pas d'inquiétudes, les reliques sont correctement défendues.
Une tension naquit au sein du conseil entre ceux qui cherchaient à s'imposer et ceux qui se protégeaient de cette main-mise.
— Je pense qu'il nous faut davantage d'informations concernant Cierna, reprit l'aînée des Phénix. Combien de sorcières sont présentes, en savoir plus sur leurs pouvoirs...
— Nous ferons une nouvelle exploration cette nuit mais nous devons être prudents, déclara Janaz.
— Ce n'est pas comme s'ils ne se doutaient pas qu'on les surveillait, daigna répondre Orèl, le chef des archers elfiques.
— Essayer de récolter un maximum d'informations, conclut le Général kitsune sentant les tensions croître. Lors du conseil de demain, nous établirons notre stratégie d'attaque.
Tous les membres opinèrent du chef face à la proposition du chef de Tengoku et tous quittèrent la salle du cristal.
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Plus tard dans la soirée, Ezarel ne décolérait pas. A l'abri des regards dans sa chambre, il était à son deuxième verre de liqueur de bleuet tout en regardant le soleil se coucher sur Eel.
Il avait eu raison concernant Florelle. Cette sale sorcière les avait finalement trahis. Il les avait prévenus mais personne n'avait écouté.
En premier lieu, il avait cru faire entendre raison à Lance au moment où la jeune humaine avait intégré l'Obsidienne mais c'était peine perdue. Cette petite garce avait mis le grappin dessus et il ne doutait pas que le fruit délicieux qui se nichait entre ses cuisses pouvait faire douter le plus solide des hommes.
Puis, il s'était tourné vers Miiko mais l'extraordinaire capacité de prémonition de Florelle avait vite fait oublier à la kitsune la menace qu'elle représentait.
Certes, la sorcière provenait de la Terre, peut-être était-elle moins encline à ressentir de la haine envers les premiers Faeries qui avaient chassé sa race. Et cela s'était bien passé pendant les premières années durant lesquelles Florelle remplissait son devoir au sein de la garde sans vague.
Tout ça, jusqu'au moment où la tentative de guérison du Grand cristal à l'aide de la Flûte de Hamelin avait échoué.
A ce moment-là, ils n'avaient pas eu le choix que de se tourner vers une autre solution, leur dernière en réalité : créer un nouveau cristal à partir du coeur d'un dragon.
Personne ne voulait sacrifier de gardiens mais la situation l'exigeait. Le bien-être commun du monde d'Eldarya l'exigeait.
L'erreur fut peut-être d'avoir mis la mort du guerrier sur le dos des sorcières. Ils auraient dû maquiller le meurtre de façon plus sophistiquée, faire croire à un accident mais surtout ne pas faire resurgir les démons du passé. Et tout avait dérapé.
Sans compter sur le fait que la sorcière avait eu des visions de la mort de Valkyon. Bien que toutes les précautions avaient été prises, le chef de l'Obsidienne et sa compagne s'étaient rendus sur les îles de Zekhi. Le vieux gardien du phare de Diios avait averti Ezarel et Miiko de leur venue et ils avaient décidé, toujours avec Hua, de limiter les largesses de Lance et de nommer Zifu à la place de second de la garde.
Finalement, il n'avait pas fallu grand chose pour que la sorcière confirme les attentes de trahison de l'alchimiste.
Il avait eu raison mais le temps n'était pas aux leçons mais aux actions. Ezarel était d'avis à frapper fort et vite pour exterminer la vermine qui reprenait vie, comme le suggérait Orèl. Il prêtait une attention particulière au sort qu'il réserverait à Altè. La garce avait été mise en cloque par Valkyon, ce qui assurait son allégeance vis-à-vis de Lance plutôt que d'Ezarel.
Au même moment, Huang Hua pénétra dans la chambre de l'alchimiste. Elle était contrariée mais elle rejoignit Ezarel, se posta dans son dos et entoura son cou de ses bras. Elle déposa un baiser sur son crâne et lui relâcha sa tête qui reposa contre la poitrine de la Ren-Fenghuang.
— Tu es encore en train de ruminer, constata-t-elle.
— Oh oui, j'en reviens toujours pas qu'Altè ait décidé de partir rejoindre ces traitres. Je lui ai tout appris et voilà ce qu'elle me fait ! Ce n'est pas tant qu'elle soit partie qui m'énerve, mais qu'elle ait emporté tous mes livres !
— Je sais, mais on les récupérera, ne t'en fais pas.
Hua sentit qu'Ezarel hochait la tête. Elle aurait aimé que lui aussi sente son trouble.
Depuis qu'elle avait emménagé à Eel, d'abord temporairement puis sans vraiment de date de départ, elle était tombée sous le charme d'Ezarel. L'alchimiste, qui avait aussi ses intérêts, n'avait pas dû lui faire la cour bien longtemps pour qu'elle cède. Elle le trouvait très arrogant mais aussi extrêmement brillant et drôle. Il lui faisait l'amour avec fougue et endurance, maîtrisant parfaitement l'aspect physique.
Mais il lui manquait un autre élément fondamental : il n'était pas amoureux.
Hua faisait tout pour stimuler les sentiments et elle gardait espoir qu'il l'aime un jour, mais il ne lui portait pas le même intérêt qu'elle. Le simple fait qu'il ne lui demandait pas comment elle allait ou bien qu'il ne remarque pas qu'elle soit tracassée, était un élément en soit de son égard limité.
— Je me suis entretenue avec ma grand-mère tout à l'heure, concernant le futur de notre espèce et notre lignée.
Ezarel lui accorda un regard et elle poursuivit.
— Elle souhaite que je m'accouple avec Feng Sonji.
Les Phénix étaient une race qui s'était naturellement raréfiée avec le temps et si rien n'était fait pour assurer leur pérennité, ils disparaîtraient définitivement.
Les unions libres étaient rares alors les aïeuls encourageaient les jeunes générations à s'unir dans le but de procréer, indépendamment des questions de sentiments. C'était une corvée qui incombait à chaque Fenghuang, compensé par la joie de devenir parents. Hua avait-elle même été conçue et élevée par sa mère et son mari qui n'était pas son géniteur. Son père, lui, avait eu d'autres enfants avec d'autres femmes. Par contre, les deux amants occasionnels s'étaient suffisamment bien entendus pour concevoir par trois fois. Hua partageait donc le même sang que ses deux frères aînés.
Ce mode de fonctionnement était atypique mais indispensable, les femmes n'étant plus fécondes après leur troisième résurrection.
Hua était déjà morte une fois et la guerre approchant, elle se doutait que la vieille Chong voudrait un ou une héritière. La venue de Feng Sonji n'était donc pas tout à fait hasardeuse.
— Quand est-ce que ... vous débuterez ? questionna Ezarel.
— A la prochaine lune et ce, une fois par mois jusqu'à ce que je tombe enceinte.
La jeune femme ne voulait pas le montrer mais le processus la mettait mal à l'aise. Elle savait comment cela fonctionnait, elle le savait depuis toute petite mais le fait qu'à présent elle devait s'y soumettre, l'angoissait.
Elle se raisonnait en pensant que seule la première fois serait vraiment délicate, après tout Feng Sonji avait l'air d'être tout à fait correct. Peut-être accepterait-il de prendre leur temps pour se connaître avant d'agir.
— Si tu veux, je peux te fournir des substances pour te donner toutes les chances d'être fécondée rapidement et éviter aussi que ça ne traîne dans le temps.
La proposition d'Ezarel sortit Hua de ses réflexions. Elle fut reconnaissante envers son amant et voulut lui signifier quand il reprit :
— Et si j'arrive à mettre la main sur Altè avant qu'elle ne mette bas, je pourrais lui faire avaler une boisson abortive, se réjouit-il. Ça lui apprendra à pactiser avec l'ennemi.
Hua resta bouche bée face à l'absence de considération d'Ezarel face à la Vie, elle qui avait pour but de concevoir. Elle ne sut pas quoi lui répondre alors qu'elle voyait la lueur d'une joie mauvaise dans le regard de l'alchimiste.
— Je... je vais aller à la veillée de Zifu, reprit-elle plus bas.
— D'accord, à plus tard.
La phénix quitta la chambre, elle y était rentrée avec des idées perturbantes et elle en ressortait horrifiée. Lentement, elle prit la direction de la crypte du château d'Eel pour aller rendre hommage au fidèle gardien qui avait veillé sur elle pendant de précieuses années. Dans la salle, dix-huit hommes provenant du Temple de l'Oiseau de Feu se recueillaient et Hua fut émue de cette loyauté.
Elle échangea quelques mots avec chaque soldat qui la défendaient elle, la Flûte de Hamelin et les cendres de ses frères à renaître, puis elle prit un siège et pria le mogwai étendu sur une estrade.
Elle avait déjà beaucoup pleuré son garde du corps depuis qu'ils l'avaient trouvé exsangue au milieu de l'arène du Bastion d'Ivoire. Elle l'avait fixé, incrédule, mais l'abattement avait laissé la place à la colère. C'était une colère étrangement raisonnée et teintée de culpabilité. C'était elle qui avait eu l'idée de nommer Zifu au poste de seconde de l'Obsidienne et il avait accepté sans imaginer que sa mort serait causée par son chef. Si seulement Hua avait envisagé un tel scénario, elle aurait choisi de tuer le chef à la place de son jeune frère.
Elle soupira, tant d'erreurs s'accumulaient mais elle ne pouvait pas abandonner. Le but ultime de toutes ces machinations étaient de sauver Eldarya, rien de plus. Sans le Cristal, tous les Faeries allaient progressivement disparaître et c'était son rôle en tant que membres d'une première grande race d'empêcher que cela n'arrive. Ils avaient fait le bon choix, mais n'avaient pas procédé assez habilement et une nouvelle guerre se profilait à l'horizon d'un avenir déjà funeste.
Le Phénix veilla tard avant de retourner dans sa chambre individuelle. Elle n'était pas d'humeur à partager sa couche avec l'elfe.
Au petit matin, elle fut réveillée en catastrophe par une messagère de l'Étincelante qui la priait urgemment de rejoindre la salle du cristal.
A peine habillée, Hua marchait rapidement dans le couloir où elle croisa les elfes de Garancia qui se déplaçaient toujours avec élégance mais avec un regard hautain qu'ils adressaient à tous ceux qu'ils jugeaient inférieurs. Tous en définitive.
A l'intérieur de la salle du cristal, un brouhaha régnait, ponctué de disputes intestines et d'exclamations indignées. Huang Chong échangeait furieusement avec le Général Hôjo et Janaz, les sourcils froncés, était énervée face à Orèl, le chef de l'Aubépine.
— Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer ce qu'il se passe ici ?
Personne ne prit la peine de répondre à Hua, tous pris dans leur conversation animée. Seule Miiko se détacha de Nevra pour venir la voir. Elle était inquiète, sérieusement inquiète.
— Le Temple de l'Oiseau de Feu a été attaqué cette nuit. Les reliques ont été dérobées.
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Lance et Florelle s'étaient enduits le visage et les cheveux d'une mixture noire, les rendant invisibles dans l'obscurité de la nuit.
Les bâtiments du Temple de l'Oiseau de Feu étaient disposés en U, entourant un jardin, et cerné de hauts murs d'enceinte. Le coeur de l'édifice était le pavillon du Jiken qui gardait jalousement en son sein les précieuses reliques.
Lance connaissait bien les lieux, étant venu régulièrement depuis qu'il avait intégré la garde, contrairement à Florelle qui le découvrait pour la première fois. Les murs étaient peints en rouge, les toits en forme de pagode étaient rehaussés de statues peintes en or à l'effigie des Phénix. Le temple devait être magnifique lorsqu'il était baigné de soleil.
Or les deux Obsidiens n'étaient pas là pour faire du tourisme. Ils pénétrèrent dans l'enceinte du temple alors que le lieu dormait paisiblement. Puis, ils attendirent le signal, scrutant les alentours. Le couple ne parlait pas, n'échangeait pas un mot mais les yeux de Lance balayaient les alentours à l'affût. Florelle admirait ses iris bleu de glace qui, à la lumière de la lune, ressemblaient à deux phares blancs dans la nuit.
La sorcière était remplie de reconnaissance envers son amant. Il était loin d'être enthousiaste par ce que la sorcière avait imaginé à partir de ses visions et pourtant, il était là pour elle.
Au loin, le son percutant d'une cloche retentit, crevant le silence placide des montagnes, un cri d'alarme qui réveilla tout le monde.
Les pluies diluviennes des derniers jours avaient rempli le fleuve qui sillonnait le tréfonds de la vallée et inondait le village qui vivait de ses ressources. Dans une telle situation, les gardiens du temple accouraient pour les aider. Alors ils ne furent pas surpris par la brusque montée des eaux au beau milieu de la nuit et ils ne se doutaient pas que les pluies n'étaient pas responsables, contrairement aux pouvoirs d'une sorcière capable maîtriser l'eau.
Lance et Florelle, grimés et vêtus de noir, se tapirent dans l'ombre, attendant que les hommes désertent le temple pour agir à leur guise. Les gardiens réagirent rapidement et une dizaine d'hommes quittèrent l'enceinte du sanctuaire. Après tout, c'étaient ces mêmes villageois qui les nourrissaient, confectionnaient leurs vêtements et qui leur fournissaient tout ce qui leur était nécessaire. L'échange était plus qu'équitable.
Les hommes partis, Lance s'élança. Il fut rattrapé in extremis par Florelle une seconde avant que deux retardataires ne passent devant eux à la suite de leurs collègues. Il lui jeta un regard reconnaissant et ils se mirent un chemin du pavillon principal. La mission n'était pas vraiment adaptée à des Obsidiens, Lance se fit la réflexion que l'Ombre aurait été plus efficace, mais Nevra et ses hommes devaient être en train d'espionner Cierna, à l'instar des nuits précédentes. La citadelle n'avait pas franchement grand chose à cacher. Il n'y avait d'ailleurs rien du tout à Cierna...
Le couple pénétra dans le pavillon du Jiken tout en sachant que tous les occupants n'avaient pas quitté le temple. Il leur était formellement interdit de quitter le pavillon, sous aucun prétexte, même en cas de crue du fleuve.
Il y avait quatre gardiens à neutraliser et ce fut un jeu d'enfant. La sorcière voulait absolument utiliser des méthodes furtives, bien que ce ne soit pas leur domaine de prédilection, mais il était important que personne ne soit blessé. Ils devaient éviter les morts et éviter ainsi les colères et rancunes.
— Dépêchons-nous, murmura Lance à sa compagne alors que les gardiens étaient allongés et inconscients.
En premier lieu, Florelle déroba la Flûte de Hamelin. Ils avaient trouvé le reliquaire la contenant et la transférèrent précautionneusement dans un coffret. Lance les conduisit aux urnes renfermant les cendres des deux frères de Huang Hua. Feng Shin et Feng Xiu étaient morts il y avait respectivement quatre-vingt et quinze ans et depuis lors, les Phénix attendaient qu'ils renaissent de leurs vestiges.
C'était une occasion à ne pas manquer.
Comment tuer un Phénix ? Comment tuer un être suprême dont la mort n'était que le signe d'une renaissance ? Leur force était également leur point faible. Leurs cendres. Si le feu était leur allié, l'eau devait être leur ennemi. Il suffisait de disperser les restes dans une grande étendue d'eau et jamais ils ne pourraient revenir à la vie.
Toutefois, le but de ce cambriolage était surtout de voler les reliques et non pas de les détruire, prouver que Cierna pouvait attaquer, qu'elle était déterminée à exister. Ces cartouches constituaient également des éléments dans une future négociation.
Il fallait absolument que la citadelle gagne du temps, retarde au maximum l'attaque d'Eel. Et, peut-être, en échange de leur clémence, ils accepteraient de restituer les cendres des Phénix. Par contre, pour la Flûte, étant un objet créé par les sorcières, ce n'était que légitime que de la récupérer et de la garder, définitivement.
Une fois leur forfait commis, Lance et Florelle quittèrent le Temple de l'Oiseau de Feu et rejoignirent Lamia et Mélina au sommet d'un col. Les deux sorcières attendaient. La cousine Blackhill s'était transformée en yéti et Lamia, blottie contre elle, se protégeait du froid dans le pelage épais et doux.
La première reprit forme humaine quelques instants, les yeux pétillants de curiosité.
— Alors, vous avez réussi ?
— Bien sûr, se vanta Lance.
— J'en reviens pas ! Comment tu savais que la moitié des effectifs allait quitter le temple pour Eel ?
— Ça tombait sous le sens. Ils allaient se rendre à Eel pour se recueillir.
— Vous n'avez rencontré aucune résistance ?
— Mon petit doigt m'a aidé, avoua Florelle en secouant son auriculaire, un sourire malicieux aux lèvres.
— Ton pouvoir est vraiment incroyable ! s'exclama Mélina. Grâce à ça, on est sûr de gagner !
— Pas d'enthousiasme excessif, le plus dur reste à venir, la tempéra Lance. Ce n'est pas tout d'avoir récupéré la citadelle, faut-il encore la garder.
Florelle hocha gravement la tête à l'énoncé de ce fait.
Puis, grâce à Mélina, changée en roc, le retour ne prit que deux heures, alors qu'il fallait plus d'une demi-journée de marche pour atteindre les montagnes inaccessibles du Shize.
A l'approche de la citadelle, Lance observa les alentours mais le ciel était noir, les nuages dissimulaient la lune. Il n'aurait pas vu une Ombre même s'il était devant lui.
Mais ils savaient que les hommes de Janaz étaient là, à guetter, observer, se questionnant de savoir ce qu'ils avaient bien été faire loin de leur nouvelle demeure. Ils le découvriraient au petit matin.
L'Obsidienne était bien au clair, peu importait que les ennemis pénètrent dans la citadelle, mais aucun ne devait franchir le mur d'enceinte du château. Aucun, à l'exception d'un seul gardien de l'Ombre.
Le pied posé à l'abri des regards, Florelle et Lance rejoignirent la salle du dôme en verre qui n'existait plus. Il y faisait tout aussi noir qu'à l'extérieur mais cette fois, ils virent le vampire qui avait pénétré dans ces lieux.
Nevra était là, à les attendre, impatiemment.
— Quelles sont les nouvelles d'Eel ? s'enquit immédiatement le dragon.
Demain matin, un conseil de guerre se réunit. La garde d'Émeraude de Tengoku et la garde d'Aubépine de Garancia sont prêtes à être appelées en renfort. Des troupes vont arriver des quatre coins du continent et les premières attaques contre Cierna seront lancées dans la semaine.
— Nous ne disposons que de très peu de temps, craignit Lance.
— Nous devons en gagner et c'est pour ça que nous avons fait ce que nous avons fait ce soir ! le raisonna Florelle.
Nevra, dont l'oeil passait de l'un à l'autre, questionna :
— Où avez-vous été ?
— Tu le sauras demain matin, répondit Lance froidement.
— Je risque ma peau pour vous ! s'énerva le vampire. Alors je pense que je mérite de savoir !
— Nous avons volé la Flûte de Hamelin et les cendres des Fenghuang au Temple de l'Oiseau de Feu.
Nevra était interloqué, mais un sourire malin naquit à la commissure de ses lèvres.
— Alors là... bien joué !
— Nous espérons que, par peur que nous détruisions les cendres, ils envisageront de négocier plutôt que d'attaquer. Il nous faut gagner du temps pour mettre en place notre dernière carte ! déclara Florelle, le regard inquiet.
— Mon seul regret, c'est que je pourrais pas voir de mes yeux la tête d'Ezarel, de Miiko et d'Huang Hua en apprenant la nouvelle, se plaignit Lance d'un sourire amusé.
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[Eldarya] [Lance]Le Sang des Sorcières
FantasyFlorelle est une sorcière sans pouvoir qui vit avec sa famille sur Terre. Les Blackhill constituent l'une des lignées de plus anciennes et puissantes d'Europe, et dont les légendes racontent la création du monde d'Eldarya. Entraînée par sa cousine...