Chapitre Trente-Quatre - Les Théodosiens

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Les vingt-sept anciens gardiens de l'Obsidienne étaient réunis dans la salle du Dôme en présence de Florelle, Huang Hua et Cléan. La majorité avait rejoint soit l'Onyx ou le Béryl mais ils restaient tous Obsidien dans l'âme.

— Nous avons été convoqué par les Théodosiens, leur informa Florelle.
— Pourquoi ?
— Eel a soumis le procès de Lance aux sages, clarifia Hua. Vous avez été témoins de la mort de Zifu.
— C'est une blague, on ne peut pas juger un duel...

Cléan hocha la tête, en accord avec Mavic, il était furieux de cette décision.

— Et surtout, c'était pour venger Valkyon ! s'insurgea Caméria.
— Tous les éléments de la mort de Zifu vont être pris en compte. Je vous demande d'être le plus honnete possible, leur rappela la sorcière. Il est inutile de cacher quoique ce soit.

Tout le monde le savait, le temple des Théodosiens était imprégné d'une magie millénaire. Il était impossible d'utiliser ses capacités magiques et surtout, il était impossible de mentir. Vouloir tromper ou dissimuler la vérité pouvait également entrainer des conséquences pour le menteur.

Après encore quelques débats houleux, les anciens Obsidiens quittèrent les lieux, laissant les trois officiers seuls.

— Je trouve que c'est une sage décision d'avoir fait appel à eux, avoua Hua.
— Tu parles ! Les lâches ! Incapable de prendre une décision, Eel préfère refiler le problème à d'autres.
— Les Théodosiens sauront être justes et magnanimes.
— Aucune mort n'est impunie pour eux... Florelle, est-ce que tu arriverais à prédire ce qu'il adviendra ?
— Tout est envisageable, répondit l'Opale. Plusieurs futurs également. Tant qu'ils n'ont pas débuté les interrogatoires des témoins, j'imagine que je ne pourrais pas statuer non plus... Peut-être sur la fin. Mon seul souci, c'est que si Lance est condamné, nous n'aurons pas d'autre choix que d'accepter.

Dans le cas contraire et puisque les Théodosiens étaient soutenus par toutes les cités d'Eldarya, Cierna entrerait en guerre contre chacune d'elles qui n'auraient pas d'autres choix que d'attaquer. La cité serait alors réduite à néant. Dans le passé, quelques cités anciennes avaient remis en cause l'autorité judiciaire et le pouvoir des sages. Mais plus personne ne se souvenaient de leur existence même.

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Le temple des Théodosiens se situait sur la plus septentrionale des montagnes du Wigné, sur les Terres d'Amendo. Il était formé de vingt-quatre colonnes blanches qui constituaient une façade ouverte et conduisait vers une seconde partie fermée. En son centre, une statue haute de six mètres représentait communément la Justice.
Étonnamment, cette statue était très similaire à celles que l'on pouvait croiser sur Terre. Florelle oubliait parfois que les deux mondes avaient cohabité jadis et que, malgré leur évolution respective, il restait des éléments communs aux deux univers. Ainsi, la statue, une femme en robe fluide était aveuglée d'un bandeau et tenait dans ses mains une balance et une épée.
À ses pieds nus, étaient allumés des cierges et des offrandes des différents cités qui faisaient vivre, également via une taxe, le conseil des Théodosiens et le personnel qui veillaient à l'entretien du temple.

Sous le temple, le plus gros de l'infrastructure s'enfonçaient dans la montagne. Le vent glacial qui balayait le sommet laissait place à une chaleur douce mais qui s'intensifiait au fur et à mesure de la descente de l'escalier qui sillonnait la roche. Le jour ne pouvait pénétrer les salles et les couloirs inférieurs, uniquement éclairés de torches. Les serviteurs qui guidaient les gardiens, étaient choisis uniquement sur des critères strictes, ils devaient être sourds, muets, ne sachant ni lire, ni communiquer de quelques manières que ce soit. Ces mesures drastiques, parmi d'autre, empêchaient toute corruption.

Dès qu'elle s'était glissée dans l'escaliers, Florelle avait senti la magie des lieux, du maana qui infiltrait les murs. C'était à la fois familier et déroutant. Tous les témoins de Cierna furent réunis dans une même pièce, éclairée de bougies et aménagée sommairement.

— J'ai comme l'impression d'être...vidée, remarqua Lizy qui s'affala sur l'un des fauteuils à disposition.
— C'est parce que le temple désactive tout forme de maana des personnes qui y pénétrent, expliqua Hua. Ainsi, aucune magie de dissimulation ne peut être utilisée, ni aucune magie offensive. Il est interdit de mentir mais surtout, il est impossible de mentir.

Alors qu'elle avait pris place dans un fauteuil au dossier haut, Florelle ferma les yeux et tâcha de se concentrer. Elle n'avait aucune vision même si elle essayait de toute ses forme. Savoir son pouvoir neutralisé ici la rendait nerveuse. Elle ne pourrait pas entrevoir verdict. Puis elle pensa à Lance, était-il déjà sur place ? Y aurait-il d'autres gardiens d'Eel ?

Un à un, les témoins furent appelé et la salle se vida. Ceux qui restaient avaient difficilement la notion exacte du temps qui défilait. Certains jouaient aux dés, aux cartes ou lisaient. Florelle fermait les yeux pour éviter de penser, d'angoisser. D'autres pariaient sur qui sera le prochain sélectionné. Puis il ne resta que Florelle.

Elle fut enfin appelée après une attente interminable où le stress l'avait rendu fébrile. Elle suivit les serviteurs qui la conduisirent devant une grande double porte close et gravée d'innombrables symboles.
A l'aide de gestes, le serviteur pria Florelle de retirer ses bottes et chaussettes. Pantoise, elle se plia à la demande et put enfin pénétrer le coeur du temple.
C'était un hémicycle taillé dans la roche et agrémenté de marbre blanc, de bois précieux et de voilages clairs. En surplomb du centre, sept sièges où trônaient les sept Théodosiens. Ils étaient tous vêtus d'amples robes blanches qui couvraient jusqu'à leurs mains et leurs pieds. Les têtes étaient recouvertes d'un tissu qui dissimulait leur visage. Ainsi, il était impossible de deviner leur identité, leur race, leur âge et même leur genre.

Au coeur du tribunal, Florelle se plaça derrière la barre du tribunal, les yeux fixés au sol. Debout, les pieds nus sur un dome de verre à travers lequel, la sorcière pouvait voir les rivières de laves dansaient sous son regard hypnotisé. Le temple était en réalité battit au coeur d'un volcan actif. La chaleur était désagréable sous sa plante mais supportable. Un moyen sans doute pour que les témoins, focalisé sur leurs sensations, ne puissent élaborés un mensonge à servir.

Enfin, la sorcière se détacha du spectacle et leva les yeux vers l'assemblée.

— Florelle Blackhill, tu es entendue dans le procès de Lance Valent, débuta une voix sonore.

La disposition de la pièce rendait impossible de localiser le propriétaire de cette voix masculine et sous les voiles, aucun mouvement ne permettait d'en connaitre l'origine.

— Je ne comprends pas vraiment pourquoi vous avez tenu à m'entendre. Je n'étais pas présente à la mort de Zifu.
— Nous t'avons convoqué en tant que témoin de la mort de Valkyon Valent, répondit une autre voix.
— Je n'y étais pas non plus, réfuta la sorcière.
— Pas physiquement...
— ... mais tu l'as vue.
— Raconte-nous, enchaina trois autres Théodosiens.

Florelle hocha la tête et rapporta du mieux qu'elle put ce qu'elle avait vu de la mort du second de l'Obsidienne qui s'était déroulée dix-huit mois plus tot.

— Sur la main de son assassin, il y avait le tatouage d'un arbre aux racines de serpents. Je l'avais raconté à Lance qui a vu ce tatouage sur Zifu.
— D'autres individus portent le même tatouage.
— La Phénix l'a confirmé.
— Mais lors du duel, Zifu a avoué son crime, défendit Florelle. Les autres vous l'ont dit je pense.
— En effet. As-tu assisté à la mort de Zifu avait qu'elle n'ait lieu ?
— Eh bien... j-je.. euh...je-je ne pense pas.

La chaleur sous ses pieds s'intensifia et se diffusa à tout son corps. Florelle baissa les yeux sur ses pieds brûlants et vit des symboles gravés sur le verre s'illuminer. Elle fronça les sourcils et, malgré son trouble, en reconnut quelques-uns.
C'était de la sorcellerie.
En fonction des réponses qui s'accordaient plus ou moins avec la vérité, le verre laissait passer ou non la chaleur du magma en dessous. C'était de la belle et puissante haute sorcellerie qu'utilisaient les Théodosiens depuis des siècles mais ils ne se vantaient pas de la provenance...

Revenue à ses esprits, Florelle se concentra à formuler une réponse exacte et qui sauverait sa peau sensible. Est-ce qu'une vision de Zifu mort aurait pu empêcher Lance d'agir ? Elle n'avait pas toujours de souvenir de ses visions... Le doute s'immisça la chaleur s'accrut encore.

— Et même si je l'avais vue, cela ne signifie pas que cela se serait produit à l'identique, réfuta-t-elle. Je peux voir différents avenirs possibles mais en fonction du libre-arbitre de chacun, un seul adviendra.
— Et pour le passé...
— ...puisqu'il s'est déjà réalisé ?
— Je peux voir le passé selon le point de vu de plusieurs individus qui assistent à la même scène.
— Intéressant.

Florelle entendit des messes basses, ils discutaient entre eux sans qu'elle ne puisse discerner leurs props mais ils débattaient.

— Ton pouvoir est très intéressant.
— Tu pourrais nous rejoindre.
— Ton aide nous serait très précieuse.
— J'ai déjà une occupation, et une cité ce n'est pas rien, déclina Florelle avec un sourire en demi-teinte. Mais si je pense à une reconversion professionnelle, je reviendrai vers vous...

Il y eut un gloussement vite tari puis une autre série de voix conclurent l'entretien.

— Nous en avons fini avec toi Florelle Blackhill. Maintenant, nous allons entendre le principal suspect...
— Lance Valent.
— Lance...

Florelle quitta l'hémicycle et reprit ses chaussures. Son regard chercha des yeux le dragon qui ne venait pas. Le serviteur prit son bras à l'approche du témoin suivant mais Florelle le pria d'attendre.

— Je voudrais juste le voir, je ne vais pas lui parler...

C'était inutile d'essayer de négocier. Les règles étaient les règles. Le serviteur affermit sa prise quand la silhouette du dragon émergea du couloir d'en face : homme frêle, courbé par les chaines qui reliaient poignets et chevilles et qui cliquetaient à chaque pas.

— Lance, je... tenta Florelle avant d'être emmenée de force par un autre serviteur envoyé à la rescousse.

La sorcière rejoignit les autres, toujours perturbée d'avoir entraperçu son amant, sans avoir même pu entendre le son de sa voix.

— Ils m'ont interrogé sur mes visions. Ils sont avec Lance, expliqua-t-elle aux autres qui l'interrogeaient.
— Tu as pu le voir ?
— Comment il va ?
— Non, elle n'a pas pu le voir, les calma Hua. Ils n'autorisent aucun contact avec l'accusé.
— Dans la pénombre, je n'ai pas vu grand chose, accrédita Florelle. Mais il tenait debout...
— C'est bon signe, non ?
— Bon signe de quoi ? Ça ne va pas nous aider à deviner ce qu'ils vont décider !
— Il faut rester optimiste !
— Mais pas naïf et il vaudrait mieux se faire une raison. Il est condamné !
— Comment tu oses dire ça, c'est notre chef !
— C'était notre chef...
— Ça suffit ! les coupa la Phénix. Peu importe ce que vous pensez, garde-le pour vois. Nous avons rempli notre mission, attendons maintenant le verdict.

Sa réplique eut l'effet de faire taire tout le monde et Florelle lui adressa un regard de gratitude. L'angoisse la rongeait déjà suffisamment pour devoir en plus supporter les querelles futiles des autres.

L'attente fut longues et bien plus pesante. Les Théodosiens avaient toutes les cartes en main pour établir leur résultat. Florelle élaborait des plans pour faire échapper Lance, soudoyer les serviteurs, se faire emprisonner à sa place, le faire passer pour mort ou le remplacer par un autre. Toutes ces élucubrations l'aidaient à ne pas penser au pire. C'était inenvisageable de vivre sans lui, l'imaginer mort ou pire, enfermé à vie.

Tout ça, ce n'était que les conséquences de la machination d'Eel.

Puis vint les serviteurs qui conduisirent l'assemblée dans l'hémicycle où toutes les personnes impliquées étaient réunies. D'un côté, Florelle, Hua et les anciens Obsidiens et de l'autre, Ezarel et Janaz qui représentaient Eel. Au centre, Lance.

Cette fois, Florelle et les autres purent le détailler plus distinctement et le résultat n'était pas glorieux.
Cinq mois d'enfermement et de privation avaient fait leur terrible oeuvre. Il avait fondu et flottait dans ses vêtements,l es mêmes depuis sa capture, sales et puants. Son visage aussi était amaigri et on pouvait le voir malgré une barbe négligée. Son bras gauche était en écharpe pour soulager une épaule bandée récemment.

Son corps était marqué par les stigmates de sa rude captivité et Florelle était bouleversée de le voir dans cet état.

Puis elle croisa son regard et son coeur se serra. Ses iris bleu de glace étaient autant, voire plus tranchantes encore. C'était le même homme, toujours aussi fort et déterminé malgré ses blessures et sa fragilité apparente.

Les Sept prirent la parole en commençant par résumer les faits et faire un exposé des différents témoignages recueillis à charge et à décharge.

Tout le temps où ils parlaient, la sorcière ne put se détacher de Lance et même s'il se bornait à garder la tête droite et le regard haut. Est-ce que ça sera la dernière fois qu'elle le verrait ? Est-ce qu'elle pourrait lui parler avant qu'il ne soit trop tard ? Jamais elle ne s'était sentie aussi incertaine face au sort de quelqu'un qu'elle aimait autant.

— Le Conseil des Théodosiens déclarent Lance Valent coupable de la mort de son second Zifu.

Une vague d'indignation s'éleva dans la salle, coupée immédiatement par une voix.

— Cependant, nous ne pouvons ignorer certains éléments cruciaux.
— Le premier étant l'assassinat de Valkyon Valent par la victime. Même s'il n'était que l'exécuteur d'une mission, il n'en reste pas moins coupable selon la loi.
— Pour autant, nous ne tolérons aucune forme de vengeance ou de représailles, quelles qu'elles soient.
— Par ailleurs, le contexte de duel est un élément en faveur de l'accusé.
— La victime a eu l'opportunité de se défendre, de se battre à armes égales et à niveau similaires.
— Si Maître Zifu avait gagné, alors Lance Valent serait mort et nous ne serions pas ici réunis.
— Par conséquent, la sentence requise est l'exil de Lance Valent hors de la cité d'Eel et de tous les territoires gouverné par cette même autorité.
— Les Théodosiens ont rendu leur jugement.

Sur cette dernière sentence, le conseil des Sept se leva et disparut dans les tréfonds du temple où ils régnaient maîtres indiscutables.

Florelle avait retenu son souffle pendant ces longues secondes et à présent, elle hésitait à exulter, Touts étaient incrédule puis Lizy s'exclama de joie, et tous les autres reprirent son écho. Lance était libre. Les anciens obsidiens exultaient et même Hua semblait en accord avec le verdict. Le visage d'Ezarelé tait défait mais Florelle n'y accordait aucune importance. Enfin, ils allaient pouvoir rentrer à Cierna, tous ensemble.

[Eldarya] [Lance]Le Sang des SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant