Chapitre Trente - Manoeuvres délicates

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Florelle avait un sourire tendre au-dessus du berceau de l'enfant. La renaissance d'un Phénix était un événement exceptionnel auquel peu de Faeries pouvaient se vanter d'avoir assisté. Feng Shin était mort pour la deuxième fois il y a quatre-vingt ans et débutait sa troisième vie. Les Phénix renaissaient environ dix à douze fois avant que le processus ne s'enraye et que les cendres restent des cendres.

A part quelques anciennes sorcières rancunières contre la race des Fenghuang, les autres membres de Cierna considéraient la renaissance de Shin comme une heureuse nouvelle et l'enfant reçut des offrandes, bien que maigres, en signe de bienvenue.
Pour sa protection, il avait été transféré en secret dans une autre chambre du château et étroitement surveillé par des Obsidiens. L'enfant nouvellement né était un élément d'une valeur inestimable pour les négociations en cours avec Eel.

Gizel rinça la tétine à l'eau, le visage étrangement fermé contrairement aux deux derniers jours depuis la naissance. Florelle remarqua son trouble sans en deviner la cause.

— Qu'y-a-t-il ? la questionna-t-elle toutefois.
— Que comptes-tu faire de lui ? rétorqua la soigneuse d'une voix faible de celle qui redoutait la réponse.
— Je ne sais pas encore. C'est notre ultime carte, le plus puissant levier pour faire plier Eel. Il faut le protéger.
— Ce n'est qu'un bébé, Florelle ! Pas une pièce de jeu sur un échiquier !
— Il ne restera pas longtemps un enfant, regarde-le...

Les deux jeunes femmes posèrent leur regard sur Shin qui dormait à poings fermés. Deux jours qu'il avait quitté son urne et pourtant, il ressemblait déjà à un nourrisson d'un mois.
A l'exception de leur première naissance, à la sortie de la matrice maternelle où l'enfant se développait à un rythme classique, les Phénix bénéficiaient, lors de leurs renaissances, d'un développement physique accéléré. Ils ne devaient pas non plus tout réapprendre, tant et si bien qu'au fur et à mesure de leur évolution, les souvenirs, apprentissages et acquisitions antérieures revenaient sans effort. Ainsi, ils acquéraient la marche, le langage puis la lecture, le calcul et tous les savoirs didactiques sans repasser par le savoir théorique. Ils devenaient adultes en moins d'un an, autant sur le plan physique, émotionnel qu'intellectuel.

— Écoute, Gizel, je sais que tu aimes cet enfant et que tu veux le protéger mais lorsqu'il grandira, il retrouvera ses anciens préjugés. N'oublie pas que les sorcières sont les ennemies des Phénix et Feng Shin faisait partie de ceux qui nous ont chassées.

La sorcière aux cheveux flamboyants était peinée par ces propos mais elle savait que c'était la vérité et qu'il était inutile de se voiler la face.

— Mais, peut-être que s'il grandit avec nous, s'il voit et comprend que ce que nous cherchons à faire est dans l'intérêt de tous alors, peut-être, faut-il espérer qu'il ne voudra pas nous tuer.

La gardienne avait déclaré ça avec un sourire sardonique auquel Gizel répondit.

— Y-a-t-il de l'avancement pour le cristal ? questionna-t-elle ensuite.
— Non, pas vraiment, mais j'ai une idée, un peu désespérée et très dangereuse sûrement, lui avoua Florelle. Je dois y aller d'ailleurs.

▲▼▲

Lance s'apprêtait à partir pour rejoindre les négociations prévues ce jour. Mélina, déjà transformée en owlett, l'attendait dans la cour du château lorsque Florelle accourut à leur suite. À sa tenue de vol, le chef de la garde comprit qu'elle souhaitait l'accompagner et s'en étonna.

— Que fais-tu ?
— Je ne sais pas trop, avoua-t-elle, confuse. Est-ce que tu me fais confiance ?

L'Obsidien n'aimait pas voir le regard de sa compagne aussi peu assuré. Lui-même n'avait que peu dormi ces derniers jours, empêché par les peurs que Florelle lui avait transmises. La question n'était pas de savoir s'il lui faisait confiance mais s'il en avait le choix. Il s'était promis de la soutenir alors il caressa sa joue d'un geste réconfortant.

— Je te fais confiance, lui répondit-il avec le plus d'assurance possible.

Les deux Obsidiens s'envolèrent sur le dos de l'oiseau et rejoignirent le lac d'Elin et les émissaires d'Eel, déjà présents sur place. Cette fois-ci, ce n'était pas le général kitsune ou Huang Hua mais Miiko et un elfe aux cheveux longs et bruns et au visage marqué d'une cicatrice sur le coin de sa bouche. Il se présenta comme étant Orèl, le chef de l'Aubépine, la garde archère de Garancia.

La kitsune déroula un parchemin où, méthodiquement, elle avait rapporté toutes les demandes faites par Lance. Le dragon ne douta pas que chaque élément avait été ardemment débattu avec le conseil. Plus Eel perdait du temps à déblatérer autour des négociations, plus les sorcières en disposaient pour travailler sur le cristal. Miiko voulut débuter son argumentaire, soigneusement élaboré, mais Florelle lui coupa l'herbe sous le pied.

— J'aimerais que le chef de la garde de Glycine vienne à Cierna, déclara-t-elle soudainement.
— Je te demande pardon ? s'exclama la kitsune, incrédule.

Lance posa sur sa compagne un regard tout aussi ahuri que ceux de Miiko et d'Orèl. Il ne s'attendait pas du tout à une telle demande mais tacha de rester stoïque.

— C'est de la folie ! râla l'elfe. Dans quel but ? Que préparez-vous ? C'est une incantation magique ? Vous prévoyez de nous attaquer ?
— Bien sûr que non ! contra Florelle durement. En échange, nous vous proposons de vous remettre l'une des deux urnes des Phénix.

Cela eut l'effet escompté de faire taire Orèl et de faire réfléchir Miiko qui n'avait pas quitté cette expression de surprise sur son visage. Lance aussi n'avait pas pu empêcher ses sourcils de se hausser de surprise. Il voulait afficher un masque impénétrable et faire croire à Eel que la décision était préméditée mais il se demandait bien à quoi la jeune femme jouait. Il aurait aimé être informé de cette décision et en discuter ensemble. Le chef aurait sûrement refusé, raison pour laquelle Florelle ne lui en avait pas touché un mot plus tôt.

— Nous devons en discuter et, si le conseil d'Eel est d'accord, nous reviendrons dans deux jours, tenta Orèl.
— Non, nous sommes prêts à revenir immédiatement avec l'urne. C'est une offre qui ne vous sera faite qu'une seule et unique fois. C'est votre seule chance.
— Vous bluffez, vous avez besoin de nous, alors pourquoi cette mascarade ?
— A vous de décider...

Florelle mit fin à la conversation et quitta la tente d'un geste impétueux et théâtral et rejoignit Mélina, toujours transformée en animal. Lance et les émissaires d'Eel en sortirent quelques instants plus tard et le chef s'approcha des sorcières.

— À quoi tu joues ?
— Est-ce qu'ils ont accepté ?
— Ils retournent à Eel pour en discuter, ils nous préviendront.

Mélina poussa du bout du bec sa cousine qui lui fait part de sa brusque demande.

— J'ai besoin d'alchimistes pour l'incantation du cristal, se justifia-t-elle. J'ai peur que nous n'y arrivions pas sans aide.
— Tu veux vraiment ramener des elfes de Garancia à Cierna ? C'est introduire un loup dans la bergerie !
— Fais-moi confiance !

Toujours très sceptique par cette précipitation, Lance se tut pour ravaler son agacement et se contenta de laisser sa compagne gérer l'affaire. Ils restèrent présents sur les lieux jusqu'à ce qu'Eel valide leur requête. Au moment où Hua dut entendre la proposition, elle avait dû se précipiter pour accepter et faire preuve de force de conviction pour convaincre ses pairs. Rien n'aurait pu l'empêcher de récupérer l'un des otages de Cierna. C'était aussi sur ce point que comptait Florelle.

Le soleil amorçait sa descente lorsque les deux camps se retrouvèrent le même jour pour l'échange. Florelle, Lance et Mélina avaient fait l'aller-retour pour chercher l'urne et avaient encore patienté une demi-heure avant que les hommes de l'Étincelante n'arrivèrent au loin. Fronçant les sourcils, Lance aperçut Huang Hua, accompagnée de Miiko et finalement, la silhouette svelte de Denreli, le chef de la Glycine. Personne ne prit la peine de pénétrer sous la tente, l'elfe de la nuit suivit Hua et Miiko qui approchaient, Lance et Florelle à leur rencontre. Ce n'était pas la première fois que Florelle croisait la route d'un elfe de la nuit. Ils étaient similaires à leurs cousins sylvestres mis à part leurs oreilles plus longues, la couleur jaune de leur iris et bien sûr la couleur anthracite de leur peau.

Face à face, le regard haut et méfiant, la sorcière tendit l'urne à la Phénix.

— Comment es-tu sûre que nous n'avons pas échangé les cendres contre de la vulgaire poussière ? questionna-t-elle.
— Les urnes sont scellées avec un sort magique, si vous tentez de l'ouvrir, elle se brise.
— Ainsi, vous constatez qu'aucun mal ne leur a été fait.

Hua serra les restes de son frère avec soulagement et Florelle eut une pensée pour Shin, le nouveau-né dans son berceau au coeur de Cierna. Il était préférable de garder l'information secrète.

— Nous nous reverrons dans deux jours, conclut Lance.
— C'est le temps dont vous disposez en compagnie de Denreli. Si vous dépassez ce délai, nous considérerons qu'il sera otages de Cierna et nous attaquerons, posa Miiko qui ne semblait pas apprécié d'être ainsi manipulée.

Après un regard entendu, le groupe se sépara et l'elfe de la nuit emboita le pas à Lance et Florelle jusqu'à Mélina. La sorcière sous forme d'owlett détailla curieusement l'alchimiste. Contrairement à sa cousine, c'était la première fois qu'elle rencontrait cette race d'elfe de la nuit.
Denreli lui, n'avait pas desserré les lèvres, se contentant de poser le regard sur Mélina qui eut un mouvement de recul. Son regard jaune était dérangeant, perçant mais aussi détaché sans crainte comme celui d'un grand sage ou d'un vieil ermite. Sur sa peau anthracite, il portait un sarouel gris clair orné de perles et un veston assorti qui couvrait son dos mais dévoilait son torse affuté. Ses cheveux étaient teints en rouge vif, rasé sur les côtés et long dans son dos.

Les trois voyageurs montèrent sur le volatile géant qui s'envola difficilement. Le poids qu'ils constituaient les ralentit et Florelle se fit la réflexion qu'ils ne pouvaient pas exploiter Mélina de la sorte sur le long terme. Ils allaient devoir acheter d'autres montures à la fois terrestres et aériennes.
Ils arrivèrent à la cité au milieu de la nuit mais le repos ne pouvait pas encore s'offrir à eux, à l'exception de Mélina, épuisée.
Florelle fit venir l'une des sorcières, nouvellement arrivée à la citadelle. Talyn était l'une des plus âgées parmi ses soeurs mais sa maîtrise du tatouage magique restait inégalée.

— Tu vas être marqué par sa magie qui est aussi dissimulée partout à travers Cierna, expliqua Florelle. En premier lieu, tu ne pourras plus utiliser ton maana pour des manipulations alchimiques. Tu seras libres de circuler dans le château uniquement mais de nombreuses portions te seront interdites et marquées par des symboles.

Denreli s'installa sur un tabouret et Talyn, armée d'un pinceau Choryu et de son encrier, débuta son oeuvre vocalisant un son sans parole.

— Est-ce douloureux ?

C'était la première fois que l'elfe noir s'exprimait avec un accent chantant des îles du sud. Talyn répondit à base de gargarismes que seul Florelle put comprendre.

— Ce n'est pas douloureux, sauf si vous ne respectez pas les règles imposées, traduisit-elle.
— Pourquoi ne parle-t-elle pas ?
— Talyn a malheureusement été mutilée lorsqu'elle était jeune en raison de sa race. Entre autres, on lui a coupé la langue.

L'alchimiste n'avait plus posé de question et après quelques coups de pinceaux de Talyn, il s'impatienta.

— Puis-je enfin savoir pourquoi vous m'avez fait venir ici ?
— Viens, l'invita Florelle.

Le chef elfique suivit la sorcière et Lance qui était revenu entre temps. En plus des protections magiques de Talyn, l'Obsidien exigeait que le garancien soit toujours accompagné, exigence à laquelle denreli céda sans compromis.
Son regard s'attarda sur chaque pierre et chaque Faerie qu'il croisait et Florelle savait que tous ces éléments étaient précieusement mémorisés. Après tout, ils avaient affaires à un officier de la Glycine et il ne fallait pas faire l'erreur de le sous-estimer.

Finalement, le groupe déboucha au sous-sol et sur la pièce de travail sur le coeur, vide de vie au beau milieu de la nuit.
Silencieusement, Florelle pénétra la première, se posta auprès du coeur du dragon et partout où elle posait le regard elle voyait des livres empilés, ouverts, annotés de feuilles volantes et de glyphes magiques.
L'elfe entra à sa suite et bien qu'il osbervait tout autour d'eux, rien ne lui permit de comprendre le travail qui était fait ici.

— Qu'est-ce que cela signifie ? questionna rudement Denreli.
— Tu n'as donc jamais vu de tes propres yeux le coeur fossilisé d'un dragon ? se moqua Lance avec un sourire amusé.

L'alchimiste posa ses iris jaunes sur le caillou auquel il n'avait pas réellement fait attention dans un premier temps. Il caressa la surface rugueuse avec un demi-sourire incrédule.

— Où l'avez-vous trouvé ? Vous avez l'intention de créer un nouveau cristal, comprit-il enfin.

Florelle expliqua alors en partie la vision du dragon la conduisant à lui et leur objectif pour tenter de le transformer en cristal.
À partir de cette révélation, l'elfe hocha la tête et marmonna dans une langue inconnue des deux Obsidiens. Lance, les sourcils froncés, n'aimait pas du tout ce charabia auquel il ne comprenait pas un mot.

— Ça suffit, l'arrêta le chef.
— C'est très risqué de vouloir faire ça, débuta Denreli. Si vous échouez, il n'y aura plus de cristal et progressivement, la vie à Eldarya s'éteindra.
— Mais le cristal se meurt et personne n'a réussi à le sauver, contra Florelle.
— Dans ce cas, laissez-moi repartir à Garancia avec le coeur et les plus grands experts de la garde de la Glycine travailleront à ce projet.
— Il en est hors de question, refusa-t-elle catégoriquement et bien qu'elle s'attendait à cette proposition. Les sorcières ont créé le premier cristal, mes ancêtres. Alors il n'y a que nous pour réussir à en faire un second. Si la Glycine ou d'autres étaient capables d'en faire un, vous auriez déjà réussi.
— Tu disposes de toute la lecture nécessaire et n'oublie pas que tu n'as que deux jours, renchérit Lance qui aimait ajouter un peu de pression sur les épaules de l'alchimiste.

▲▼▲

Florelle entrouvrit les yeux et les ferma de fatigue dans la seconde. A travers les rideaux improvisés qui masquaient le soleil naissant, les dortoirs, calmes, baignaient dans une harmonieuse lumière matinale. Les yeux toujours fermés, comme son esprit toujours à moitié endormi, la sorcière prit une inspiration et étendit ses jambes. Elle remarqua alors la présence de Lance à ses côtés, partageant un lit d'une place, largement inconfortable.

— Tu sais de quoi je rêverais tout de suite ? lui susurra Lance au creux de son oreille d'une voix encore pâteuse de sommeil.
— A mon avis, je dirais que tu donnerais tout pour un peu d'intimité, sourit-elle en faisant référence à l'excitation qu'elle pouvait ressentir chez lui.
— Il y a toujours les douches. A cette heure, il n'y a personne, suggéra-t-il.
— Je ne suis pas sûre de vouloir savoir ce qu'il se passe réellement dans les douches, ricana-t-elle. Mais il reste les cellules des prisons...
— Si nous devions mourir aujourd'hui ou demain, j'aimerais encore pouvoir t'aimer.

Difficilement, Florelle se retourna pour faire face à Lance. Bien qu'ils venaient de se réveiller de quelques heures de repos, le visage du chef était marqué par la fatigue, les cernes sous les yeux, la naissance d'une barbe piquante qui le vieillissait et son regard bleu de glace qui la détaillait comme s'il cherchait à graver les traits de la sorcière dans son esprit. Un nouvelle vague d'angoisse et de culpabilité envahit Florelle dont les yeux s'embuèrent de larmes.

— Je suis désolée de t'avoir entraîné là-dedans.
— Ce n'est pas ta faute. Eel a tué Valkyon, ce sont eux qui ont déclenché tout ça.

A l'évocation du second des Obsidiens, Florelle eut l'impression qu'une foule d'autres événements s'était déroulée depuis.

— Tout n'est pas encore perdu.
— Il faudra organiser un plan d'évacuation de la citadelle, lui conseilla-t-elle. Au cas où nous échouons, il faut pouvoir protéger un maximum de monde.

Lance eut une expression indéchiffrable et enlaça Florelle le plus tendrement possible. Il savait que peu importait s'ils échouaient, évacuer n'empêcherait rien. Eel, Garancia et Tengoku les traqueraient jusqu'au dernier par simple esprit de revanche.
L'histoire de la courte renaissance de Cierna ferait le tour du monde, ainsi que celle des sorcières qui avaient détruit le cristal et mis fin à tout espoir de vie à Eldarya. Peu importait de rétablir la vérité, tous ceux qui avaient alors ne serait-ce que poser un pied à Cierna seraient jugés et condamnés. Fugitifs éternels dans toutes les cités, dans tous les villages, les cierniens seraient chassés et tués.

Toutefois, Lance garda pour lui ses certitudes, se contentant de dissimuler ses craintes. Florelle avait besoin qu'il soit fort pour deux.

— Je dois aller me préparer pour les négociations, se résolut-il à dire pour rompre leur étreinte.
— Tu as raison, allons voir où ils en sont.

Le couple, sans prendre le temps de passer aux cuisines, prit la direction des sous-sols et de la salle de travail autour du cristal. L'aide apportée par Denreli était fulgurante. Ses connaissances et maîtrises de la haute sorcellerie, combinées au savoir elfique, avaient permis des progrès considérables, au point où les préparatifs furent presque achevés. Sous l'impulsion de l'elfe de la nuit, Brunehilde et Gizel avaient travaillé d'arrache pied et, comme eux, ils avaient les traits tirés et les yeux fatigués à lire et relire les mêmes paragraphes.

Ils étaient déjà tous à pied d'oeuvre à l'exception de la femme enceinte qui, de par son état, bénéficiait de plus de repos.

— Alors ? s'enquit Lance après avoir salué le groupe.
— Le sort est presque prêt... les informa Denreli, stoïque.
— Vraiment ?
— On n'y est pas encore, le calma Brunehilde. Il nous reste encore plusieurs points à discuter et des hypothèses à débattre. Ici, regarde, l'interpella-t-elle. Dans ce recueil, il est expliqué qu'il faut verser du sang sur le coeur mais à l'origine, Millaryn n'avait a priori versé que du sang de sorcières...
— Hors, la mention a été barrée, compléta Denreli.
— Ce qui veut dire ? s'égara Lance.
— Le premier cristal est imparfait dans sa conception. Sinon il aurait été fonctionnel pour des milliers d'années. Or, nous ne disposons que d'un seul coeur et à défaut d'en trouver un tous les quatre-cent-cinquante ans...
— Vous voudriez créer un cristal parfait, comprit l'Obsidien.

Toutes les personnes présentes hochèrent la tête et cela plongea Florelle dans ses réflexions.

— Je pars dans le lac d'Elin en fin de matinée, informa Lance en s'adressant à l'elfe de la nuit. Après cela, il faudra retourner à Eel.
— Je souhaite rester, affirma Denreli, et vous aider à mettre en place l'incantation. J'ai beaucoup plus d'expérience en alchimie.
— Si nous ne te ramenons pas, Eel va lancer une attaque contre nous...
— J'ai rédigé ceci, expliqua l'alchimiste en tendant un parchemin. Il demande au Conseil d'Eel de nous donner deux jours de plus.
— Tu vas devoir venir avec moi pour leur expliquer vous-même, j'ai bien peur qu'ils refuseront de m'écouter.
— Le travail que nous faisons ici est plus important, argumenta Denreli qui n'avait pas l'habitude de voir ses décisions remises en question. Le parchemin certifie de ma libre décision de rester ici et j'en assumerai les conséquences. Il est signé de la devise de la Glycine, dans ma langue maternelle.

Lance échangea un regard avec l'elfe, puis Florelle. Il n'avait pas vraiment le choix et espérait que cela suffise à gagner encore du temps.

— De quoi avez-vous besoin dans ce cas ? renchérit la sorcière alors que le dragon quittait la pièce.

Lance se prépara et alla faire un point avec les Obsidiens disponibles puis, ensemble, ils prirent la route vers le lieu des négociations et sans Mélina cette fois.
Sur place, le général Hojô et Orèl, le chef des archers de l'Aubépine, étaient seuls et déjà attablés à l'intérieur de la tente des pourparlers.

La situation devenait délicate car Cierna demandait beaucoup mais rendait peu et cela pouvait vite tourner au vinaigre. Le seul point à débattre ce jour était le fait de prolonger le séjour de l'elfe de la nuit et Orèl, d'ailleurs, débuta immédiatement la discussion d'un air dédaigneux.

— Il semblerait que nous n'avez pas tenu parole mais je n'en suis que peu surpris.
— Il a souhaité rester encore deux jours et m'a demandé à vous remettre ceci.

Curieux, l'elfe déroula le parchemin et le général kitsune en lut le contenu au-dessus de l'épaule de son collègue.

— Pensez-vous qu'ils auraient pu falsifier ce document ? lui glissa-t-il à l'oreille.
— Impossible.

Les yeux du gardien de l'Aubépine lançaient des éclairs et Lance le voyait réfléchir à la façon dont tourner cet élément à son avantage.

— Je constate que Denreli est passé à l'ennemi, déclara-t-il alors.
— S'il a demandé deux jours de plus, c'est peut-être que son travail est important que les dissensions entre nos cités. Si vous ne respectez pas sa décision, cela montre le respect que vous avez pour votre égal...
— Ce n'est pas mon égal, elfe ou non. Tout ce que je sais, c'est que vous êtes une menace...

Sentant que le vent tournait en sa défaveur, Lance se leva et quitta la tente. Il leva le bras pour rassembler au loin les hommes qui l'accompagnaient et marcha à pas rapide jusqu'à sa monture à l'abri d'un bois. La situation tournait mal et il fallait fuir rapidement. Tant pis pour les deux jours supplémentaires, ils avaient déjà réussi à gagner du temps, à reculer une guerre qui était, de toute façon, inévitable. Après tout, le sort du cristal était presque achevé.

Lance courut sur les derniers mètres et encore plus lorsqu'il entendit un cor résonner au loin. Sa course fut arrêtée nette par une flèche d'une précision fulgurante.
Le trait le transperça à l'épaule et le cloua au sol avec la violence de l'impact. La douleur fut si intense et soudaine qu'il en fut sonné. Émergeant d'un bosquet en face de lui, huit Obsidiens se précipitèrent comme un seul homme vers lui, mais une nouvelle volée de flèches ininterrompues créa ainsi une barrière physique entre les gardiens et leur chef. De l'autre côté de la plaine, une troupe, composée d'une quarantaine de gardiens aux couleurs or et pourpre de Tengoku, courait dans leur direction, l'arme au clair et prête à engager un combat qu'ils savaient gagné d'avance.

Lance, bien que la douleur lui faisait serrer les dents, comprit que l'attaque était programmée dès le début, indépendamment de ce qu'il aurait pu dire ou faire.

— Fuyez ! ordonna-t-il à ses hommes prêts à se battre.
— Non ! On ne part pas sans toi !
— C'est un ordre ! Fuyez et allez prévenir Cierna ! Exécutez le plan !

Mavic, Bronn, Lizy et les autres hésitèrent, déchirés du sacrifice que Lance leur ordonnait de faire. Pourtant c'était le chef et il fallait obéir. La rage au ventre, ils prirent les montures et coururent le plus vite possible vers Cierna.
Ils étaient déjà loin lorsque les hommes du général kitsune approchèrent de Lance. Ce dernier fut relevé sans ménagement et amené auprès d'Orèl comme un trophée, le premier signe d'une victoire annoncée.

— On va te faire parler, menaça l'elfe d'un sourire carnassier.

[Eldarya] [Lance]Le Sang des SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant