39- Échapée

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Rogue avait le regard fixé sur Hermione.
Assis chacun d'un côté de la cellule, l'un en face de l'autre, ils ne se quittaient pas des yeux. Depuis combien de tant s'observaient-ils ainsi, se jaugeant l'un l'autre ?
Ils ne savaient pas, ne savaient plus, si toutefois ils l'avaient su.
Un poids pesait sur leur cœur, leurs pensées ne tournant plus qu'autour d'un seul sujet : l'autre.

Hermione ne savait que penser.
Elle avait été ébranlée dans ses certitudes, et elle ne le supportait pas.
Elle avait toujours deviné ce que Rogue avait pu faire, avait dû faire dans sa jeunesse.
Il ne pouvait en être autrement.
Mais le voir ainsi, en être sûre et en être le témoin, l'avait choquée.
Et pourtant...
Pourtant, elle avait envie de se jeter sur l'homme assis droit devant elle, elle avait envie de le serrer dans ses bras, de lui parler, de l'écouter lui parler.
Mais elle était seulement capable de l'observer, encore et toujours, sans vraiment le voir, comme si l'image en face d'elle s'usait et se ternissait à force d'être regardée sans répit. Hermione gravait sur sa rétine l'homme en noir, l'homme qu'elle aimait.
Malgré tout.

Cependant, ce n'était plus pareil.
Elle devait reconnaître que du dégoût s'était insinué en elle.
Comment avait-il pu... ?
Comment pourrait-elle passer outre cela, à présent ?

Severus ressassait, encore et toujours, l'horreur de son passé.
Il broyait du noir, les yeux rivés sur Hermione. Qu'allaient-ils devenir, à présent ?
Le rejetterait-elle définitivement ?
Il serra les dents.
C'était de sa faute à lui.
Jamais, jamais il n'aurait dû se laisser aller à ce qu'il éprouvait maintenant.
Il le savait, il l'avait toujours su.

Alors pourquoi ?

Parce qu'il en avait eu besoin.
Et Hermione n'avait pas mesuré l'ampleur de ses actes, et elle s'était crue forte alors qu'elle n'était encore qu'une gamine qui entrait tout juste dans la vie, la vraie vie, voulait-il dire, celle où il faut se battre sans cesse et où tout semble vous échapper.
Le prenait-elle pour un monstre ?

« Tu n'es pas un monstre, tu n'es pas un assassin », s'était-elle bornée à dire, sûre et certaine de tout comprendre.

La chute avait été rude, pensait Rogue.

Combien de temps encore resteraient-ils face à face, emmurés dans le silence lourd de pensées ?
Combien de temps encore avant que la nuit ne tombe, à moins qu'elle ne soit déjà là ? Combien de temps encore avant que Bellatrix ne revienne ?

Un bruit, soudain.
Rogue et Hermione tournèrent d'un même mouvement la tête vers la porte de leur geôle.
Le silence, de nouveau.
Puis un son étouffé.
Des voix.
Hermione se mit debout, en alerte.
Etait-ce Bellatrix qui revenait ?
Allait-elle la torturer encore, lui montrer les actes passés de Rogue pour la faire souffrir ?

Hermione tendit l'oreille.
Son sang battait dans ses tympans.
Elle avait les yeux rivés sur la porte devant elle. Le léger bruissement de la cape de Rogue sur le sol bétonné lui fit savoir qu'il se levait à son tour.

Elle respirait profondément, pour se calmer.
La présence de Rogue dans son dos la perturbait, l'arrivée imminente de Bellatrix lui faisait peur.
C'est alors que, non loin d'elle, de l'autre côté de la porte, quelqu'un prononça le prénom d'Hermione.

La jeune femme écarquilla les yeux.
Avait-elle rêvé, à force de n'entendre que le silence ?
Elle avait cru reconnaître la voix de...

- Hermione ?... fit une voix hésitante. Tu es ici ?
- Ron ! s'exclama Hermione, l'espoir s'engouffrant avec force en elle. Ron, je suis ici, derrière la porte !

Un martèlement de pas.

- Harry ! Hermione est là !

Hermione sentit son cœur faire un soubresaut. Un grand sourire, le sourire de celle qui n'y croyait plus, illumina son visage creusé et fatigué, et elle se retourna vers Severus, oubliant un bref instant ce qu'elle ressentait à son égard depuis la vision des souvenirs de Bellatrix.

FrontièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant