Je gribouille sur les quelques visages que je venais de dessiner dans mon carnet. Je n'arrive pas à leur faire des lèvres qui me plaisent et ça gâche tout le croquis. Je tourne la page et me lance dans une nouvelle tentative.
–Formez des équipes de deux.
Au centre du terrain de basket-ball, le nouveau professeur de sport s'adresse aux autres élèves. Je n'y fais pas attention, même si j'ai remarqué que depuis quelques instants, il porte sur moi un regard étrange. Comme si je le dérangeais.
À bout de nerfs, je finis par refermer mon carnet et le ranger dans mon sac. Les jambes croisées, je pose mes coudes contre mes genoux et couvre mon visage de mes mains. Je soupire bruyamment avant de me décider à me lever en direction des toilettes. Lorsque je pose mon sac sur mes épaules et traverse la cours en direction de la porte, j'entends le professeur interpeller quelqu'un.
–Hé, toi là bas ! Il hurle, sa voix resonnant très fort dans la salle.
Je continue mon chemin sans y pretter attention, et lorsque j'arrive au niveau de la porte, je l'entends crier encore plus fort et je m'arrête cette fois. Je me retourne en espérant que ce "toi, là bas" ne fasse pas allusion à moi mais c'est sans surprise que je vois ses yeux braqués dans ma direction depuis l'autre bout de la salle, ses mains posées contre ses hanches.
–Moi ? Je marmone comme s'il pouvait m'entendre.
–Je peux savoir où tu vas ? Il m'interroge, toujours en criant.
Au ton de sa voix, je ne pense pas qu'il s'attende à une réponse concrète, que je lui dise que je comptais aller aux toilettes. J'ai plus l'impression que par sa question, il me dit que je ne suis pas censé partir où que ce soit.
Je vois tous les regards braqués sur moi alors qu'il me crie de le rejoindre.
Qu'est-ce qu'ils ont tous à me fixer comme ça ? Ils m'empêchent de marcher normalement.Je serre les bandoulières de mon sac à dos et tête baissée, marche en direction du professeur. Même si je ne les vois pas, je sais qu'ils ont encore tous les yeux sur moi et rien que d'y penser, j'ai l'impression de ne plus savoir marcher.
Lorsque je lève les yeux, le professeur est juste en face de moi, toujours les mains sur les hanches mais cette fois, je distingue bien ses sourcils froncés.
–Pourquoi tu n'es pas en tenue ? Il me demande.
Je baisse de nouveau la tête, incapable de tenir son regard dur et sévère. Je ne réponds pas. Non pas parce que je n'ai pas de réponses mais parce que je sais que le reste des élèves me regardent toujours.
–Je t'ai posé une question, petit.
J'ai envie de creuser un trou dans le sol et d'y rester pour le reste de l'année. Je sais que plus je mets de temps a répondre, plus cette humiliation durera mais je suis juste incapable de lui répondre avec autant d'yeux braqués sur moi.
–Il est dispensé, intervient une fille qui s'approche de nous.
Je lève légèrement les yeux pour croiser ceux de Sonya, une fille avec qui je partage le même cours de sport. Elle me sourit gentiment et dirige de nouveau son regard vers le professeur. Je ne sais pas pourquoi elle intervient mais je suis vraiment soulagé qu'elle l'est fait. Ce n'est pas une surprise par ici, le fait que je sois dispensé de cette matière de toute façon.
–Dispensé ? Mais tu as l'air très en forme, dit-il en posant une main sur mon épaule.
Je lève brusquement la tête, surpris de son geste et recule instinctivement. Sa main tombe de nouveau sur son côté et son regard durcit.
–Je t'accepte avec ces vêtements juste aujourd'hui. Choisis un partenaire.
Je recule encore d'un pas et secoue la tête, sentant l'angoisse qui monte en moi.
–Choisis un partenaire, il répète, le ton plus dure.
Je recule de nouveau d'un pas alors que je sens un douleur naissante dans la poitrine. Je ne peux pas faire ça. Du sport. Encore moins de la gymnastique en binôme.
–Bon, je vois que tu es têtu.
Il regarde autour de lui pendant un court instant avant que ses yeux s'arrêtent sur quelque chose. Il prend son sifflet entre ses lèvres en fixant ce quelque chose au loin, les yeux plissés. Je suis son regard vers ce qui s'apparente être un élève.
–Hé, Keller ! L'interpelle le professeur.
L'élève en question est à quelques métres, en face du panier de basket. Il frappe la balle sur le sol et la rattrape lorsqu'il entend son nom. Il se retourne et dirige son regard dans notre direction.
–Tu as un binôme ?
Il regarde dans la direction d'une fille qui lui sourit. Elle le fixe pendant un court instant avant que son sourire disparaisse lorsqu'elle le voit détourner le regard vers le prof en secouant la tête.
–Non, il répond enfin.
–Tu vas te mettre avec celui-là, alors.
Non, non, non, non.
Le professeur s'éloigne en me lançant un dernier regard, vainqueur. Je suis incapable de riposter, de dire non, ou juste de m'enfuir lorsque je le vois se rapprocher de moi, laissant sa balle tomber sur le coté en chemin.
Lorsqu'il s'arrête juste en face de moi, il me cache de toute sa taille. D'aussi loin, je n'avais pas remarqué à quel point il était grand. Pourtant je ne suis pas petit, je fais un mètre soixante dix-neuf. Il me fixe de ses yeux clairs et aucun de nous ne daigne parler.
Une éternité semble s'écouler avant que je me rende compte que je le fixe encore.
–Stan, il dit simplement.
Je recule d'un pas lorsqu'il tend la main vers moi.
–Et toi ?
Sa voix est la deuxième chose qui me surprend après sa taille. Elle transperce ma peau, carresse chaque partie de mon estomac et se dissipe dans tout mon corps. Je fixe sa main tendue sans lever les yeux sur lui. Je ne sais pas pourquoi mon cœur bat aussi fort mais je sens déjà mes mains trembler. J'ai l'impression que je vais tomber d'une minute à l'autre, de ne plus sentir jambes.
Je lève de nouveau les yeux vers lui et il me fixe toujours, l'expression neutre. Ses yeux bruns ne me quittent pas et j'ai presque l'impression qu'il peut voir à travers ma peau, mon cœur qui s'affole.
–Vous faites quoi, là ?
Il ne me lâche pas du regard, le visage toujours baissé dans ma direction. Et lorsque je sens la présence du professeur dans mon dos, je le contourne et prends mes jambes à mon cou.
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Entre nous deux [bxb]
RomanceAyden n'a jamais vraiment eu beaucoup d'amis, mais ça ne l'a jamais dérangé. Surtout qu'il n'est pas du genre à se gêner quand il s'agit de fixer les gens de ses grands yeux bleus lorsqu'ils s'adressent à lui. Pourtant, lorsque Stan Keller pose sur...