36. Eugène Guérin

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Mardi 28 Février

Pourquoi j'ai fait ça ? Voilà la question que je me pose en boucle depuis mercredi dernier et encore plus depuis qu'on est revenu du voyage. J'ai vraiment été stupide ! Encore plus que d'habitude. Je suis vraiment trop con.

J'ai la boule au ventre la deuxième journée de suite en allant au collège. Il n'y a qu'un sujet dans la bouche de tous les troisièmes et il se répand rapidement dans la bouche de tous les élèves. Il s'agit du voyage en Allemagne.

Même ceux qui ne connaissent pas Delmar et Théo parlent de leur baiser, mais ce n'est pas le plus important, car la majorité des élèves s'intéressent surtout à la nude de Lisa. Même si à part la 3ème 2, à priori personne ne l'a vu, tout le monde en parle. Pleins de rumeurs plus ou moins vraies se propagent. Et c'est de ma faute.

Tout le monde connaît son visage maintenant dans le collège. Elle était là hier, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit de retour aujourd'hui. J'espère qu'elle ne sera pas là, car la culpabilité me ronge et son visage abattu me rappelle mon méfait.

En arrivant devant le collège, le regard froid de Vincent glisse sur moi suivi d'un lever de sourcils. Il sait ce qu'il s'est passé et m'a aidé, mais j'ai l'impression qu'au moindre faux-pas de ma part, il n'hésitera pas à me balancer. Je dois donc essayer de pas trop l'agacer. C'est tellement stressant.

Lisa arrive en retard en classe et s'excuse dans un murmure avant de se précipiter sur sa paillasse. Ses yeux sont rouges. J'imagine qu'elle a passé toute la nuit à pleurer dans son lit. C'est dur de se faire dévisager et savoir que tout le monde parle de toi dans ton dos, et même devant toi. Je m'y suis habitué et elle aussi va devoir apprendre à le faire.

Dans un sens, je lui donné une bonne leçon d'humilité en l'affichant sur ce site. Non ? Elle était vraiment méchante avec moi avant. Ils étaient tous méchants. Ça lui apprend ce qui arrive à ceux qui m'emmerdent.

J'ai plein de gaz aujourd'hui. Vincent à côté de moi, toute la matinée, semble au bord de l'explosion à force de retenir sa respiration, mais j'y suis pour rien. Ma vie est trop stressante, je dessine quelques trucs sur mes cahiers pour me détendre. Je mange rapidement à la cantine, mais je n'ai pas très faim, ce qui est assez rare pour être remarqué.

Je traîne dans les couloirs du collège en évitant les profs et surveillants. La cour est remplie d'élèves et j'ai trop peur d'entendre parler de Lisa en écoutant par inadvertance leurs conversations.

En parlant de celle-ci, en passant devant les escaliers, j'entends des reniflements. Elle est cachée derrière une porte. Je crois qu'elle pleure. Je devrais peut-être feindre de ne pas l'avoir entendu ? Je suis vraiment stupide.

Je pousse la porte afin de lui faire remarquer ma présence. Elle est recroquevillée sur elle-même et sert contre elle son téléphone. Ce fichu téléphone, elle aurait dû y faire plus attention. C'était ridiculement facile de le lui prendre. Elle me jette un regard noir,. Ses yeux brillent.

- Quoi ? Tu veux te foutre de moi toi aussi ? Tu veux m'insulter ? lâche-t-elle avec amertume.

Je ne sais pas quoi dire alors je m'assois à côté d'elle. J'ai vraiment la boule au ventre.

- J'ai pas besoin de ta pitié, murmure-t-elle.

- Tu n'es pas partie mangé ? m'inquiète-je.

- J'ai pas faim...

Je suis tellement désolé. Elle semblait le mériter sur le coup, mais devant son air abattu, je me sens minable.

- Ça passera. Les autres oublieront ou tu t'y habitueras, la rassure-je du mieux que je peux.

- Je ne crois pas non.

- Tu te souviens du mec qui avait dessiné une croix gammée sur le tableau de Mme Tendilong en 5ème ?

- Vite fait. Pourquoi tu parles de ça ? demande-t-elle en haussant les sourcils.

- Bah, les jours qui ont suivi tout le monde en parlait puis après les vacances tout le monde l'a oublié. En plus, bientôt, on quitte le collège. Personne ne se souviendra de cet incident.

- Ce mec était grave chelou et en plus il a quand même dessiné une croix nazi. Il méritait qu'on lui parle mal, affirme-t-elle. Moi, j'y suis pour rien dans l'envoi de cette photo.

- C'est toi qui l'as prise quand même.

- Et c'était destiné à aucun des tocards de ce collège de merde ! vocifère-t-elle.

Et voilà, elle commence à insulter. Ça me hérisse les poils. Avant les injures me passaient par-dessus l'épaule, mais depuis le voyage, je me sens surpuissant. Je veux répliquer !

- Je crois que tout le monde se comporte mal avec toi pas parce que t'as pris cette photo, mais parce que Djamila a dit que tu l'avais envoyé exprès pour te faire remarquer. Peut-être que si t'avais été plus sympa sur le coup, elle aurait fermé sa bouche. Peut-être que si tu ne te comportais pas comme une connasse, les gens se rendraient compte que tu souffres et te laisserais tranquille. J'dis juste ça comme ça.

Je me relève et m'apprête à partir, mais ma honte me rattrape. Je me retourne pour voir Lisa. Elle a recommencé à pleurer. Je suis un monstre. Je grince les dents et reviens vers elle.

- J'suis désolée d'avoir été si méchante avec toi, hoquette-t-elle. Avant. T'es le seul à avoir tenté de me parler gentiment depuis hier matin...

- Non ! C'est moi qui suis désolé d'avoir dit ce que je viens de dire. C'est toi la victime dans cette histoire et je ne devrais pas en rajouter...

- Je hais vraiment celui qui a envoyé cette photo ! C'est sûrement quelqu'un de la classe et je lui en voudrais à tout jamais pour ça....

- T'as raison, c'est vraiment un connard, murmure-je.

Je suis infâme, mais je commence à aller mieux. Ça me fait du bien de savoir qu'elle me considère comme autre chose qu'Eugène le dégoûtant, mais comme un gentil gars. Elle saura jamais que je suis celui qui a posté la photo et on deviendra ami. Je reste avec elle jusqu'à ce que la sonnerie retentit. Quand Vincent nous voit arriver ensemble devant la salle de classe, il fronce les sourcils. Il doit penser que je suis un malade. Il a peut-être raison.

Souvenir de la 3ème 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant