10. Eugène Guérin

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Jeudi 3 Novembre

C'est la rentrée. Je suis tellement fatigué que ce matin, j'ai mis mon pull à l'envers. Je ne m'en suis rendu compte que quand j'ai vu Mélissa poser un regard de pitié sur moi. D'habitude, je n'existe même pas dans son monde. J'ai échangé mon pull de sens au milieu de la cour. C'est sûr que c'est bien plus logique avec l'étiquette derrière et le renne au nez rouge devant. Noël est dans plus d'un mois, mais j'ai déjà hâte !

La prof de Français n'est pas là, mais on n'a pas le droit de rentrer chez nous. On passe donc deux heures en salle de permanence avec un surveillant qui roupille à moitié sur sa table. Je m'assois à côté de Vincent par habitude. Il n'a pas l'air enchanté, mais ne me demande pas de bouger. Il regarde des vidéos YouTube, son téléphone caché dans son sac. J'essaie de voir par-dessus son épaule, mais ça l'agace. Je le vois serrer les dents et contracter sa mâchoire.

- Si je voulais qu'on regarde à deux, je t'aurais prêté un écouteur. Alors éloigne-toi de moi face de pizza.

Je pourrais m'offusquer de ce surnom, mais j'ai déjà entendu pire. Je ne remarque même plus les insultes de ce genre. Je dessine des trucs sur mon cahier tandis que dans la salle, la plupart des élèves discutent de leurs vacances en jouant au petit bac. J'écoute leurs conversations en me curant le nez. J'aime bien le goût salé de mes crottes de nez. Il y a eu une fête à Halloween d'après les discussions. Je ne m'étonne pas de faire partie de la moitié de la classe non invitée.

- T'y es allé toi ? demande-je à mon voisin.

Il se tourne vers moi lentement et me fusille du regard.

- Je ne sais pas laquelle de mes actions a pu te faire croire qu'on était ami ou que j'aimais discuter avec toi, mais ce n'est pas le cas. Ce n'est déjà pas agréable de sentir mes narines être agressées par ton épouvantable odeur corporelle en permanence, mais si c'est pour bavasser et me soûler avec une fête dont je n'en ai rien à battre, je préfère que tu t'abstiennes et que tu fasses comme si je n'étais pas dans cette pièce. Merci, finit-il quasiment en criant.

J'ai les oreilles rouges et tout le monde nous regarde. Le surveillant, réveillé par l'agitation, demande à Vincent de se calmer, mais celui-ci attrape simplement son sac et sort de la salle l'humeur massacrante. Je ne regarde personne et me contente de sucer mon pouce en continuant mes dessins. Je ne lui ai rien dit de particulier pourtant, il aurait pu répondre simplement par un non sec. J'aurais compris.

Je vois qu'Akem et Djamila sont assis à côté et se sourient. Je suis content qu'ils soient à nouveau en couple. J'aime bien les couples même si Akem me fait un peu peur. Je regarde en direction de Maxime, mais il ne semble toujours pas concrétiser avec Mélissa malgré la séance de cinéma. Si je m'intéresse à leurs histoires, c'est parce qu'ainsi, j'ai l'impression d'en faire parti.

La matinée est longue. En musique, la prof nous demande de chanter le premier couplet de Quand la musique est bonne à différent rythme chacun son tour. Maxime passe en premier et le rappe. Il est plutôt bon, mais la prof n'a pas l'air d'aimer.

Quand je suis stressé, j'ai des gaz. C'est mon tour de passer et tout les yeux sont posés sur moi, je sue un peu à cause de ça et je serre les fesses. Mais dès que j'ouvre la bouche, un long pet se fait entendre. Un pet assez odorant. Je vois Églantine éclater de rire au ralenti, très vite suivi par le reste de la classe. Je ne me démonte pas et chante rapidement avant de me rasseoir au bord des larmes. C'est un jour de classe comme les autres.

Je mange à la cantine avec un 6ème que je ne connais pas puis passe le reste de l'heure au CDI.

En dernière heure, on a allemand et je suis tout excité. La prof va nous annoncer le nom de nos correspondants et nous donner leur fiche d'identité.

- Avec Frau Hunde, la professeure de français de vos correspondants, on a essayé de faire les paires les plus possibles en fonction de vos personnalités mais étant donné qu'ils sont moins nombreux, il y aura douze correspondants allemands avec un Français et sept avec deux français.

Elle a commencé à distribuer les fiches à ceux-là. Hadia et Djamila ont la même correspondante ainsi que Maxime et Léopaul, Charlotte et Camélia, Laure et Caroline, Ilyess et Akem, Delmar et Théo ainsi que Lisa et moi. Il n'y aucun groupe français-allemands mixte à part le notre. Je suis enchanté, mais Lisa semble dégoûtée.

- Madame ? Vous ne vous êtes pas trompées ? Si vous nous mettez par centre d'intérêt ou personnalité, il n'y aucune chance que je sois avec Eugène, proteste-t-elle en prononçant mon prénom d'un air dédaigneux.

Je la trouve tellement gentille d'habitude, mais là elle a juste l'air soûlé. Je suis un peu triste, mais je ne le montre pas.

- Ça va vous permettre d'apprendre à vous connaître alors. Bon, comme vous le savez, le voyage se déroulera durant la semaine du carnaval. Alors je veux que vous prépariez un exposé sur différents types de carnaval dans le monde. Vous le ferez par groupes de deux ou trois sans contrainte à part pour ceux qui ont le même correspondant qui sont obligés de le faire ensemble. Ne soufflez pas Lisa. Soyez original, je n'ai pas besoin de dix exposés sur le carnaval de Rio. Vous passerez un peu avant le conseil de classe, ça vous fera une note d'oral.

- C'est un exposé en allemand Madame ? demande-je sans lever la main.

- Ça dépend. Vous êtes en quelle classe ? En latin ? En anglais peut-être ? En français ? Non ? Vous avez donc votre réponse !

Je crois que les profs ne m'aiment pas. J'ai un petit rhume et de la morve qui me coule du nez. Je me lèche un peu les lèvres, mais Vincent, dégoûté par le spectacle, me donne un mouchoir en papier.

- Merci, lui murmure-je, mais il ne me regarde déjà plus.

Le reste du cours passe très très vite !

- N'oubliez pas de me donner les premiers chèques pour le voyage la semaine prochaine et maintenant que vous avez les fiches d'identités de vos correspondants, pensez à leur envoyer un mail !

Sur ces mots, la cloche sonne et tout le monde se jette hors de la classe sans un regard en arrière. Vincent fait tomber ma trousse en sortant. Je m'agenouille pour ramasser mes affaires et je vois une main gracile m'aider. Je lève la tête, c'est Lisa. Elle a toujours une posture assez droite à cause de son corset. Je la trouve super jolie. Je trouve toute les filles jolies en fait.

- Je suis désolée pour tout à l'heure, j'avais pas à être méchante. En fait en lisant, la fiche de notre correspondant, je pense savoir pourquoi elles nous ont mis ensemble. Tu m'excuses ? fait-elle avec un petit sourire gêné.

Je hoche la tête. Elle fait déjà mieux que plus la plupart des gens en s'excusant.

- Pourquoi elles nous ont mis ensemble du coup ?

- Il aime dessiner comme toi et il aime bien le jus de pamplemousse comme moi mais c'est mince comme rapprochement. Peut-être qu'on était juste les derniers de sa liste sans correspondants et c'est tout.

C'est plus plausible. Ça m'a fait rire mais elle m'a juste regardé bizarrement puis elle est partie, une fois que toutes mes affaires ramassées. 

Souvenir de la 3ème 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant