Ce livre est un exutoire temporaire, éphémère. Il n'y a ni roleplay, ni invention romancée derrière ceci. Simplement un besoin d'extérioriser dans un endroit que j'affectionne particulièrement : un puits presque sans fond. Silencieux. Vide. Je ressens, pour je ne sais quelle obscure raison, le besoin de coucher ici mes tristes pensées, peut-être afin de les oublier, de les noyer dans ces pixels. Et je ne sais pas pas où commencer, alors partons chronologiquement.
Depuis mes premiers contacts avec les humains de mon âge, je savais que quelque-chose n'allait pas, et n'irai probablement jamais. Harcelé, encore, et encore, inlassablement, j'en suis progressivement venu à me méfier de tout contact, mot, geste, signe, de la part des gens. Je me souviens cependant avoir été un enfant candide, qui faisait facilement confiance à autrui, jusqu'à l'abus. Croire les autres a peut-être été l'une de mes plus grosses faiblesses, source de tant d'abus. Je ne sais pas distinguer les mensonges, la sincérité, les faux-semblants, et j'en passe.
L'exemple le plus flagrant peut me faire passer pour quelqu'un d'innocent. Ou de très con. En primaire, peut-être CP ou CE1, un enfant s'amusait à me jeter son capuchon de stylo. Serviable, je lui rendait à chaque fois. "Peut-être l'a-t-il fait tomber", "il n'a pas fait exprès", "c'est qu'un jeu", "il ne vise pas vraiment mes yeux". Ça a duré bien vingt minutes. D'autres enfants se sont ramenés pour admirer ce lamentable spectacle. J'en viens à haïr mon éducation de m'avoir encouragé à être au service des autres, tel un bon petit chien. Car inlassablement, je lui rendais ce bout de plastique. D'autres élèves le réclamaient, pour me le jeter ensuite. Je ne me rebellais pas. Je ne sais même plus comment ça s'est terminé. Cet incident loin d'être isolé m'a conforté dans mon désir d'arrêter d'être si dévoué envers les autres. Mais coincé dans cette situation où être trop serviable me valait des bleus, et où me rebiffer contre cette éducation déshumanisante et canine m'en valait tout autant, à cela s'ajoute une incapacité à faire les choses à moitié, à trouver un juste milieu, j'étais en train d'imploser, de me déchirer.
C'est probablement à ce moment là que j'ai commencé à porter différents noms, identités et facettes. Lola, Anaïs, Sam. Ces trois noms étaient les miens. Chacun correspondait à une personne que je voulais devenir. La première était altruiste et aimée. La seconde, solitaire mais réfléchie et sage. Le dernier, un fier et battant chevalier. Je me présentais parfois sous ces noms là aux inconnus. Mais moins par envie d'être eux que par honte d'être moi. C'est à ce moment que j'ai renié ma propre identité, et commencé à oublier mon nom. Evidemment, je n'étais pas plus moi que ces personnages inventés. Je n'étais plus rien, plus personne. Une enveloppe vide. Un être détruit à tout juste huit ans, âge de ma première tentative de suicide. Un cerveau trop lourd et un esprit trop douloureux pour mes frêles épaules. Comment, à cet âge, est-il possible d'être plus sûr de son envie de mourir que du métier de ses rêves ? Là où les autres voulaient être pompier, policier, vétérinaire, je voulais être mort.
J'ai été dans cet état végétatif jusqu'à mon arrivée au collège, à 300 bornes loin de chez moi, loin de ces jeunes monstres. Ce fut une délivrance, mon Eden. Ayant forgé au fil du temps une épineuse carapace impénétrable, je ne risquais plus d'être blessé, si ce n'était par moi-même. J'y ai rencontré des personnes extraordinaires, pour certaines ayant eut un passé similaire au mien. Mais je ne baissais pas ma garde pour autant. Jusqu'à la rencontre de la personne qui est toujours actuellement celle à qui je tiens plus que tout. Une jeune fille, qui était tout ce à quoi j'aspirais quelques années plus tôt. Altruiste et aimée de tous. Plus jeune, et pourtant mon modèle, encore maintenant. C'est la première fois que je baissais ma garde. Avec elle, ma lourde armure toxique de plomb tombait, elle me rendait vulnérable et pourtant plus fort. C'est à ce moment que j'ai décidé de la protéger, car tant qu'elle était là, j'irais bien. Elle me présenta à des personnes toutes aussi formidables, que je n'avais jamais pris la peine d'apprendre à connaître auparavant. J'avais onze ans quand j'ai découvert la notion d'amitié.
Ça m'a aidé à reconstruire les quelques miettes qui restaient de mon identité. Et c'est elle qui m'a nommé, qui m'a donné une nouvelle identité. Marie-Lo, l'insensible cœur de pierre, bourrin mais protecteur. n'a jamais aimé, n'aime pas la joie. Quelques jours après, tout le monde m'appelait ainsi, et j'ai commencé à m'accepter tel quel. La personne que j'incarnais à ses yeux me plaisait, et j'ai gardé cette identité, fier d'avoir l'impression de compter un peu pour quelqu'un. Mais elle a également le pouvoir de me réduire en cendre à son bon vouloir. Cette perspective m'effraie, et pourtant, je n'arrive plus à reprendre mon armure en sa présence. La deuxième personne envers qui je laisse tomber cette carapace est un ami que j'ai blessé par ce biais. Nouveau ici, ignorant mon caractère trop épineux, et étant tout autant taquin, je lui ai lacéré les mains, à plusieurs reprises. Et pourtant, il continuait à revenir, encore. Ce n'était pas sans me rappeler le môme innocent que j'étais, trois ans à peine plus tôt. J'ai laissé tomber mes défenses tout en maintenant mon rôle de guerrier avec cette joyeuse compagnie. Et quel plaisir d'être entouré de personnes en qui je pouvais aveuglément placer ma confiance.
Et des années plus tard, on se voit encore. Mais si à mon égard, la confiance que je place en eux reste inchangée, je ne peux toujours pas garder mon armure en leur présence. Et malheureusement, cette fille ne semble pas porter autant d'attention qu'avant. Quand je suis parti, après le collège, ce fut un véritable déchirement. Mais maintenant, c'est presque comme si elle acceptait à contre-cœur qu'on se voit. Bien évidemment, je ne néglige pas le fait qu'elle soit adulte et ait énormément de choses à gérer, comme chacun de nous désormais. Mais c'est toujours de moi que découlent les invitations à se voir. Les messages sont de moins en moins fréquents et les échanges de plus en plus brefs. Mais je ne sais toujours pas distinguer la sincérité du mensonge, alors peu importe ses dires, dans le doute et la confiance, je la croirait. Car, trop loyal et trop bien dressé, je suis un bon chien, même si chaque pas qui nous éloigne me consume peu à peu.
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Ce texte n'étais pas destiné à finir ici, mais ce livre étant prévu pour, autant rajouter une poubelle à cette déchetterie mentale. Plus long que d'ordinaire, car plus descriptif sans doute. Plus chiant aussi, certainement.
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Bribes d'un Esprit Tourmenté
Non-FictionCe livre est une compilation d'écrits tentant de retranscrire ce qui est constamment agité dans un coin de ma tête. Sur le papier et l'écran sont couchés mes ressentiments afin de vous aider à me cerner, ainsi qu'à m'aider moi-même à comprendre ce c...