Le Bouton

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     Il est des moments ainsi où, dans mon mental, le seul mot d'ordre est le désordre. Les boites à souvenirs sont grandes ouvertes, dans mon crâne se mélangent myriade de musiques auxquels sont associés souvenirs, émotions, douleurs, colères. Je suis dans un de ces moments, musique criarde dans les oreilles, me hurlant d'envoyer au loin cette douleur. Ces moments me font me haïr, moi et mon fichu cerveau qui réfléchi trop. Trop de pensées, mes doigts n'arrivent à en saisir au vol qu'une infime petite partie. Dégage avec ton putain de sac, morveux, ne me touche pas ou je t'explose ta sale tronche contre la vitre du bus ! Pourquoi tout s'embrouille ainsi dans mon esprit ?! Traversons au feu rouge, tant pis pour le conducteur, il payera les réparations de sa caisse avec ma carte bleue pleine de sang. J'vais être en retard, et j'n'en ai rien à foutre parce que ce boulot de con me tue. J'ai besoin de partir loin d'ici. Tant d'images de cette soirée. Au secours. Je rentre, je bois. J'suis lamentablement stupide. J'avais quelque-chose d'important à dire mais j'ai oublié, recouvert de toutes ces pensées aussi parasitantes qu'handicapantes qu'inutiles que... Putain. Et cette voix, encore, toujours, qui me susurre au creux de mon oreille interne, un si limpide poison que je me plaît à déguster, chaque gorgée la rendant plus forte, plus assourdissante.

     Et dans ce tourbillon de pensées, qui ne m'était pas arrivé depuis bien deux ans, dans les mêmes circonstances, fait amusant, j'en reviens à lorgner sur un bouton. Dans ma tête, un compteur qui s'affole, à coté, son disjoncteur. J'ai la possibilité de tout couper. Émotions, sentiments, de la colère à l'amour, plus rien, du néant, a nouveau une coquille vide, une âme désemparée et perdue. Un retour en arrière, six ans précisément. Je l'ai déjà fait. Ne plus aimer, ne plus pleurer, ne plus rien ressentir du tout. Définitivement cette fois. Je lorgne sur ce bouton depuis longtemps, peut-être depuis toujours. Je veux appuyer dessus. Mon index s'est posé dessus il y a un bon moment déjà, sans appliquer la force, la volonté, nécessaire à son activation. Peut-être cette fois-ci trouverais-je le courage de l'enfoncer une bonne fois pour toute. Mais je n'aime pas les points de non-retour, j'en ai déjà passé trop et j'en ai marre qu'ils mènent successivement à un enchaînement de mauvais choix, de mauvaises idées. C'est tout ce qu'il me reste de raison pour m'en dissuader. Mais tant qu'il restera des gens qui pourraient être attristé de ma disparition, et assurément qu'il y en a malgré les dires de cette voix, je resterai ici, au moins pour les protéger, de moi surtout. Cocace et stupide situation.

     La raison, cette loque, cette charpie ensanglanté, presque aussi malmenée que mon esprit en général, est tout ce qui m'empêche d'annihiler toute forme d'émotion. Car je sais pertinemment que des personnes en souffriraient. Ou du moins je tente de m'en convaincre. Pourtant ce n'est pas l'envie de feindre ma mort qui manque, non pas pour voir qui viendra à mon enterrement car je n'en ai rien à foutre, mais parce que je ne veux plus vivre ainsi. Partir pour de bon, comme un repos éternel, vivre en autarcie loin de cette humanité étouffante, pouvoir crever à tout moment si ça me chante, ou bien passer des mois entiers à ne rien faire d'autre qu'imprimer dans mon esprits les reliefs d'une boîte laquée, devenir fou si ce n'est pas déjà le cas, peu importe. Ce monde me tuera assurément avant moi, c'en est une certitude.

     Appuie sur ce bouton. Non, tais-toi, ou fais-le pour moi ! Tu es faible. Bordel, j'en reviens à coucher par écrit mes échanges avec cette foutue voix qui reprend forme, c'est dire à quel point je me suis une fois de plus voilé la face sur mon état de santé de plus en plus critique. Il est certain, je redeviens fou, et toutes les occupations de mon esprit dément que j'ai pu trouver ne suffisent pas. Écrire, dessiner, bricoler, manger, jeûner, veiller, hiberner, rien n'y fait. De tous, seul le fait d'aimer apporte un semblant de cure, tel une drogue aussi dure qu'illégale, putain d'endorphine. Et le boulot m'aliène, anesthésie mon corps mais fait bouillir mon esprit, ça ressemblerait presque à un burnout pourtant il est banal et parfaitement réalisable, surmontable. Mais le temps, toujours le temps, ce crétin qui s'enfuit sitôt que l'on arrive à l'effleurer, un amour dérobé. Oui, un jour, c'est certain, je presserai ce bouton.


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     Ouais, s'il est un art dans lequel j'excelle, c'est le mensonge, surtout envers moi-même. Je me suis menti sur mon état mental, à faire comme si tout s'arrangeait, alors que c'est tout le contraire, tout est plus embrouillé et brouillon, et bordel, ceci n'est qu'une légère brise avant que cette tempête n'éclate.

Bribes d'un Esprit TourmentéWhere stories live. Discover now