Chapitre 1

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Un père, une mère, deux enfants, assis autour d'une table pour prendre un repas bien mérité. Une occasion normale, en somme, mais qui changea lorsque la mère pris la parole.

- Les enfants, j'ai quelque chose à vous dire...

Les deux concernés se regardèrent, la même confusion dans leurs yeux identiques. Pourquoi prenait-elle cet air si grave tout à coup ? Qu'avait-il bien pu se passer ? Etait-ce l'annonce d'un divorce, le début de la ruine de leur famille ? Pourtant leurs parents ne se disputaient pas si souvent, et les jumeaux l'auraient su, du moins ils l'imaginaient. Au fur et à mesure que l'idée se développait dans leur esprit, leurs deux visages perdaient leur couleur, passant du beige habituel au blanc.

- Maman, si c'est ce que je crois que tu veux dire, je ne veux pas l'entendre, la coupa sa fille avant que sa génitrice n'ait le temps de terminer sa phrase.

En disant cela, la jumelle se leva de sa chaise. Elle n'avait plus faim.

- Maurina, rassied-toi et écoute ta mère, lui ordonna son père.

En soupirant, la jeune fille obéit. Elle n'en avait pas envie. Elle voulait partir loin d'ici. Elle ne voulait pas voir le regard triste de sa mère. Elle ne voulait pas entendre ce que celle-ci avait à leur dire. Elle voulait se boucher les oreilles. Elle ne voulait plus être là.

La main de son jumeau prit la sienne, et Maurina sentit son rythme cardiaque redescendre. Ils étaient deux dans cette épreuve, et elle n'allait quand même pas laisser son jumeau affronter seul cette mauvaise nouvelle !

- ... La voiture nous a quitté, termina leur mère.

Les jumeaux se détendirent légèrement, comprenant que leur famille restait entière, mais ils prirent peu à peu conscience de ce que cela impliquait.

Une ambiance pesante s'installa. A table, seul le bruit des couteaux et des fourchettes se faisaient entendre. Chacun avait le regard fixé sur son assiette, ayant peur d'être le premier à rompre ce silence de plomb. Le père jouait avec les brocolis, les mettant d'un côté de son assiette puis de l'autre, comme s'il se demandant si la couleur verte de ce légume était vraiment bonne pour la santé. Mais ses pensées étaient tournées vers la voiture. Cette chère voiture qu'ils avaient dû abandonner à la casse. Certes, sa femme l'avait déjà prévenu par téléphone, mais quand elle l'avait annoncé devant toute la famille, cette disparition prenait une dimension concrète. Il ne pouvait plus rester dans le déni en affirmant que cela devait être une simple plaisanterie de mauvais goût. Sa femme ne faisait pas cela. Pas devant les enfants, surtout pas devant leurs jumeaux qui venaient juste d'avoir 18 ans et le permis, et qui avaient fait leurs premiers pas sur cette voiture.

A présent mals à l'aise, les jumeaux mâchaient méticuleusement leurs brocolis, constatant pour la première fois que ces légumes n'étaient pas aussi mauvais qu'ils n'y paraissaient. Le jumeau, Paul, se souvenait encore de la première fois qu'il avait pu la conduire... Il l'avait fait avant sa sœur, ce qui l'avait rendue furieuse. Ce sourire moqueur qu'il lui avait fait voir, avant de caler sans même avoir fait un mètre. La dispute qu'ils avaient eu lors de laquelle Maurina voulait essayer aussi, pour battre son frère. Leur échec commun. Cela avait été la première et la dernière fois que leurs parents les avaient laissé essayer la voiture avant qu'ils n'aient officiellement l'autorisation de conduire avec. Mais après il y avait eu la conduite accompagnée, durant laquelle ils se disputaient sans arrêt pour savoir qui allait prendre le volant, le chronomètre qui avait été installé afin de rendre égaux les temps de conduite...

Tous ces beaux souvenirs flottaient autour de la table, traversant les mémoires et retraçant l'histoire de cette belle voiture rouge, rutilante. Cette couleur coquelicot vernie, qui faisait apparaître la Twingo toujours propre, sans défaut, même si cela n'était qu'une apparence qui s'envolait dès qu'un doigt touchait la carrosserie et devenait gris avec toute la poussière.

La mère se rappelait encore du jour où ils l'avaient acheté, quelques mois avant la naissance de leurs jumeaux. Depuis, tellement de temps s'était écoulé, tellement de kilomètres aussi. 280 000 kilomètres. C'était le nombre qu'indiquait le compteur avant que la dépanneuse ne l'embarque pour la casse.

- Mais... Maman, qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda finalement Paul, rompant le silence.

Consciente que cette question allait être posée, leur mère inspira cependant un bon coup, reprenant ses esprits et se remémorant la scène.

- J'étais à un feu rouge, il est passé au vert, mais le moteur a coupé. J'ai tout essayé, débrayer, enlever et remettre la clé sur le contact, mais rien n'y faisait. Ensuite, je l'ai mise sur le côté. Oui les enfants, je vois vos regards ! J'ai mis mon gilet jaune cette fois-ci, je ne l'avais pas oublié à la maison.

Paul et Maurina étouffèrent un ricannement. Ils se souvenaient très distinctement de cette panne dans la montagne dans la nuit noire. La voiture était vide de tout dispositif réfléchissant, et leur mère avait commencé à pousser sur la voiture. Les jumeaux, quant à eux, étaient restés à l'intérieur, tenant à deux mains le frein à main au cas où quelque chose arriverait. Mais lorsque la pente avait été face à eux, la voiture avait été plus difficile à arrêter que prévu. Ils avaient mis un certain temps à retrouver leur mère qui, habillée de noir, avançait sur le bas côté.

- Bref, soupira leur mère, là n'est pas la question. DONC j'ai appelé l'assurance et tout le tralala pour expliquer la situation. Quand le dépanneur est arrivé, il a constaté que le problème venait du moteur.

- Qu'est-ce qu'il avait le moteur ? demanda Paul

- J'y arrive, si vous ne me coupiez pas. Vous savez les enfants, si vous me coupez tout le temps la parole, on n'y arrivera jamais. Et c'est important de raconter les choses correctement, du début à la fin, donc...

- C'est bon Maman, on ne t'as coupé que deux fois pour l'instant, on t'écoute tu sais, précisa la jumelle.

- Vas-y continue Virginie, ne t'occupes pas d'eux, conseilla leur père, les regardant d'un air menaçant. Et vous, taisez-vous un peu !

- Oui Papa, oui Maman, dirent-ils tous les deux en chœur.

A ce moment-là, la température de la pièce chuta d'un degré. Le regard de leur père était glaçant, et même avec l'aura angélique qu'ils venaient de créer, ils frissonnèrent. Comprenant qu'ils étaient à la limite de la patience de leurs parents, leurs yeux se tournèrent vers ceux-ci avec une attention renouvelée.

La voiture nous a quittés...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant