Chapitre 23

8 1 2
                                    

Incapable de se rendormir, Paul la regarda partir, à la fenêtre, la boule au ventre. A présent que la dispute était passée, il se sentait puéril, pire qu'un enfant de 4 ans. Il fut tenté de courir pour la rattraper, mais les chuchotements de ses parents l'informaient de l'impossibilité de cette solution. Ils ne le laisseraient pas sortir de la chambre, ou même accompagner sa sœur après sa crise pour retrouver son lit. Mais que faire si quelque chose arrivait à sa jumelle ? Si les personnes étranges ressurgissaient ? Si le GPS faisait à nouveau fausse route ? Il imaginait déjà les crises de panique de l'adolescente, seule dans la voiture. Sa méfiance en Jack s'accentuait à chaque pas que sa sœur faisait hors de la maison, comme un mauvais pressentiment. Quand elle fut hors de vue, il commença à paniquer. Elle ne devait pas y aller ! Tant pis pour l'argent, tant pis pour Jack et son employé qui ne pouvait supposément pas venir ! Fébrilement, il prit son téléphone et l'appela.

Maurina sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Le sortant, elle vit le numéro de son frère et soupira. Cela lui rappelait son départ de la maison, quelques minutes auparavant. Elle avait fermé la porte, suivie par le regard attentif de ses parents. Ils ne lui avaient pas posé plus de questions quant à sa destination. Par l'attitude de ceux-ci, quelque chose clochait. Pourquoi ne lui demandaient-ils pas où elle allait ? Comment elle y allait ? Ce qu'elle allait faire ? Comment se faisait-il qu'ils restent éveillés si tôt dans la journée ? La jeune fille secoua la tête, regardant son téléphone vibrer. Elle ne répondrait pas à son frère.

En pensant à son jumeau, l'adolescente sentit monter de la colère. La colère de l'avoir laissée seule, de l'abandonner devant une mission si délicate. Au deuxième jour de travail, son seul appui lui avait été enlevé. Fusionnels, ils pouvaient passer leurs journées ensemble, et savaient tout – ou presque – de ce que faisait l'autre. Les jumeaux se protégeaient mutuellement en fonction des situations, s'entraidaient et se soutenaient. Mais ce matin, son frère l'avait lâchement abandonnée, préférant son petit lit douillet à la mission importante que leur avait confié Jack. Le téléphone s'arrêta enfin de sonner et la jumelle soupira. Ce souffle d'air contenait toute sa colère et son indignement face à son frère indigne. Y avait-il également une certaine peur d'être seule, que tout ne se passe pas comme il le fallait ? Elle secoua la tête. Cela n'était pas possible. Elle était forte. Elle était courageuse. Elle allait y arriver.

Paul regarda nerveusement son téléphone. Sa jumelle n'avait pas répondu. Son anxiété allait en grandissant. Ce n'était que leur deuxième jour de travail, il ne pouvait pas la laisser seule, il n'avait pas le droit ! Anxieuse avec un sentiment d'abandon, c'était ainsi que sa sœur avait quitté la maison. Il se sentait idiot à présent. Pourquoi son lit avait-il été si important ? Certes, la méthode pour le réveiller n'avait pas été des plus adéquate, mais la jeune fille avait fait pour le mieux. Pourquoi son sommeil était-il passé en premier ? Certes, ils s'étaient couchés tard, mais l'adolescente avait eu les mêmes problèmes que lui à se réveiller. Pourquoi avait-il été si peu enclin à se lever ? Certes... Il secoua la tête. Cette question ne se répondait pas avec des certes, mais avec une exactitude : il avait eu la flemme. Le jeune homme se prit la tête entre les mains, en colère contre lui-même et en proie à une anxiété grandissante. Que faire s'il arrivait quelque chose à sa jumelle ? Il ne se le pardonnerait pas. Prenant son courage à deux mains, il se décida à tout annoncer à leurs parents.

Maurina arriva au point de rendez-vous avec Jack, les mains moites et stressée. Les rues ne lui avaient jamais paru aussi noires, les lumières ne l'avait jamais autant agressée, et le chemin n'avait jamais été aussi long. Un instant elle avait regretté de ne pas avoir répondu, et la pensée de rappeler son frère l'avait traversée. Cependant la jeune fille s'était ravisée, en se répétant la même devise. Elle était forte. Elle était courageuse. Elle allait y arriver.

- Bonjour Jack ! salua-t-elle en voyant l'homme.

Celui-ci lui retourna la salutation, avant de lui demander où était son frère. Même si la jeune fille s'était attendue à la question, cela lui fit mal. L'excuse était pourtant toute trouvée, mais rien ne voulut sortir de ses lèvres. Etait-il si difficile de mentir en disant qu'il était malade ? Ou de dire la vérité ? Pourquoi ses lèvres refusaient de s'ouvrir, et sa gorge était-elle bloquée ? Non. L'adolescente se rappela une nouvelle fois sa devise. Elle était forte. Elle était courageuse. Elle allait y arriver.

- Heuu.. il ... il y avait une mouche, commença-t-elle.

Son cerveau tourna à plein régime. Pourquoi une mouche ? L'excuse n'était absolument pas la bonne ! La mouche était l'insecte qui les avait conduit à cette galère, que venait-elle faire ici ? Etait-ce ce qui lui avait coincé la gorge, l'empêchant de s'exprimer ? Son cerveau rejeta aussitôt cette idée. Si l'insecte avait été à l'intérieur de sa gorge, il serait ressorti. Physiquement. Pas avec des mots. La jumelle avait l'impression que sa tête fumait, à force de tenter de trouver des solutions pour compléter sa phrase. Comprenant que rien ne venait, elle se laissa aller à l'improvisation. Dans tous les cas c'était son dernier jour. Tant pis pour ce que Jack penserait.

- ... la mouche, continua-t-elle, heu... a été avalé par Paul. Heu... Du coup il a attrapé un rhume, et il ne peut pas venir. Heu... ce n'est vraiment pas de sa faute ! Il est allé voir le médecin hier soir et cela n'allait toujours pas mieux, termina-t-elle d'une traite.

La jeune fille reprit son souffle avant de fixer son interlocuteur. Celui-ci avait-il compris ? L'histoire était-elle passée ? Même pour elle, cela semblait invraisemblable. Le plus invraisemblable étant qu'elle l'ait inventé en quelques minutes à cause d'une erreur de langage. L'adolescente adressa une silente excuse à son frère pour les absurdités dites. Elle se reprit bien vite. Le jeune homme était bien plus en faute pour ne pas être venu !

- Tout s'est bien passé hier ? demanda l'homme.

Elle soupira intérieurement en voyant qu'il ne continuait pas le sujet. S'il l'avait fait, ses joues aurait commencé à prendre la jolie couleur tomate du mensonge, et ses mensonges, déjà peu crédibles, seraient devenus encore plus visibles que la lune au milieu de la nuit. Cependant, la question posée l'empêcha de partir plus loin dans ses pensées.

- Il y a eu... répondit Maurina avant de s'interrompre soudainement.

Son frère lui manquait. Lui aurait pu répondre à cette question sans hésitation, en pesant le pour et le contre. Fallait-il mentionner les péripéties de la route ? Cela risquait-il de perturber son travail du jour ? En voyant le visage en attente de réponse de Jack, elle y vit une demande silencieuse de l'homme d'y répondre positivement. La jeune fille ne se sentit plus de répondre par la négative.

- Non, il n'y a rien eu hier, continua-t-elle. Heu... Merci pour l'expérience que tu nous as donné. En fait, en plus, heu... On a décidé de s'arrêter aujourd'hui, que Paul soit là ou pas. C'est notre dernière distribution. On aura assez d'argent, et puis heu... finalement on souhaite profiter de nos vacances.

L'adolescente se mordit nerveusement la lèvre. La bombe avait été lancée. Leur envie de quitter l'équipe était à présent dite. Ses yeux se relevèrent doucement vers le visage de l'homme, attendant sa réaction avec anxiété. Mais celui-ci avait toujours ce même sourire au visage. Cependant quelque chose clochait. Peut-être était-ce par l'absence de son jumeau, mais le visage bienveillant de son interlocuteur lui faisait peur. Etait-ce ? Oui, se répondit-elle à sa propre conscience. Les yeux de l'homme ne souriaient pas, ils étaient froids et calculateurs. La jeune fille se reprit. Pourquoi son imagination partait-elle si loin quand son frère n'était pas là ? Ayant fini son dialogue intérieur, elle fit un sourire gêné à l'homme.

La voiture nous a quittés...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant