Chapitre 21

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- On est rentrés ! annoncèrent-ils en chœur le plus énergiquement possible.

- Bon retour ! leur lancèrent leurs parents depuis la cuisine.

Si les jumeaux avaient l'impression d'avoir fait de leur mieux pour ne pas faire transpirer leur inquiétude, ils avaient l'impression que leurs parents également s'étaient forcés. Quelque chose sonnait bizarrement.

- Alors, comment s'est passée votre journée ? commença leur mère alors qu'ils s'asseyaient pour manger. Vous ne nous avez pas donné beaucoup de nouvelles, on commençait à être inquiets !

Le regard des enfants passa des pâtes présentées devant eux à son visage. Ils devaient paraître naturels ! Ils n'avaient pas menti aujourd'hui. Ils n'avaient pas fait quelque chose d'interdit. Ils n'avaient pas été victimes d'un coup de fusil. Ils n'étaient pas allés en Espagne. La liste était tellement longue qu'ils sentaient leur tête tourner au fur et à mesure. Non ! Ce n'était pas le moment, la concentration était nécessaire.

- Hum.. On est partis tôt ce matin, commença Paul.

L'histoire dura un bon moment, interrompue de temps en temps par Maurina pour faire plus réaliste. Ils résumaient leur après-midi en une journée, ce qui limitait les mensonges.

- Regarde, on a même fait nos CV ! s'exclama la jumelle en brandissant une feuille de papier.

Sa mère la lui prit des mains avec respect. Ses yeux survolèrent l'œuvre de sa fille, ses sourcils se fronçant de temps en temps. L'adolescente se triturait nerveusement les doigts, inquiète du jugement qui allait avoir lieu. Son CV avait été brandi dans un élan de fierté, mais à présent, il était jugé avec minutie, et nul doute qu'il y en avait à redire.

- Bravo Maurina. Je suis fière de toi, la gratifia Virginie avant de lui rendre le CV.

Le regard de la jeune fille passa de la feuille à sa mère, avant de revenir au CV. Abasourdie. Tel était le mot qui décrivait le mieux son état actuel. Pas une seule remarque. Pas une seule critique. Son œuvre avait été examinée avec tellement de minutie que les imperfections présentes devaient se voir à des milliards de kilomètres !

- Mais, Maman, commença-t-elle. Je suis sûre que tu as vu dix milliards de fautes, et plein d'autres choses à améliorer. Alors pourquoi tu me dis ça ? Enfin, je veux dire... Tu as froncé les sourcils et tout, expliqua la jeune fille. Et puis, en plus, dans ton travail, il y a encore plus de choses auxquelles tu dois faire attention, donc pourquoi tu ne m'as pas fait de remarques ?

Paul soupira. Sa sœur recommençait. Si elle était tête brûlée et enthousiaste, toujours pleine d'entrain, elle détestait les compliments. Dans tout ce qu'elle faisait il y avait forcément un défaut, et au lieu de se dire que son travail était bien, son regard se fixait sur un nouvel objectif plus haut. Perfectionniste. Maurina était perfectionniste à l'extrême, ce qui pouvait la conduire dans des crises de rage lorsqu'elle n'y arrivait plus, ou à l'abandon total de la chose non réussie. Il n'y avait pas de demi-mesure. Si auparavant, la jeune fille avait pu se contenter de ce qu'elle avait pour l'après-midi, c'était justement parce que le temps était compté et qu'aucun d'eux ne pouvait juger un CV.

- Maurin', qu'est-ce que tu aurais fait si je t'avais fait une remarque ? demanda sa génitrice.

La tête de l'adolescente se pencha d'un côté, puis de l'autre, au fur et à mesure qu'elle réfléchissait.

- Je serai partie dans ma chambre pour le modifier, et pour te montrer une version meilleure ? répondit-elle après un long moment de réflexion.

- Et où est-on en ce moment ? lui lança Virginie.

- A table ?

Si sa réponse avait sonné comme une question, cela percuta l'adolescente. Manger. Soir. Dormir. Il n'était plus temps de penser au travail, ou à quoi que ce soit s'en rapprochant. Une fois reposée, alors ils en reparleraient calmement. Mais à quoi bon le faire maintenant ? Surtout connaissant son tempérament... En y repensant, ses joues chauffèrent. Non, cela était sûr. Elle n'allait pas faire de crise ce soir. Sa susceptibilité pouvait aller dormir, tout comme son désir de perfection et ses éventuelles colères. La journée avait été assez fatigante comme ça.

- Mais vous n'avez vraiment rien fait d'autre aujourd'hui ? questionna innocemment leur père.

Les jumeaux se lancèrent un regard inquiet.

- Non, c'est tout ! répondit Paul. C'était déjà bien assez pour aujourd'hui... Et vous ? C'est plutôt rare que vous soyez en mission un jour où vous êtes normalement à la maison...

L'adolescent était ravi. Il avait réussi à détourner la conversation. Mais un pressentiment étrange lui comprimait la poitrine. Etait-ce le fait de mentir si ouvertement à ses parents ? Où y avait-il autre chose ? Comme s'ils savaient qu'une partie de la vérité ne leur avait pas été dévoilés. La paranoïa commençait à prendre trop d'emprise sur son esprit. Ses craintes étaient infondées.

- On ne peut pas tout vous dire, mais on a pu tester un nouveau type de bracelet, répondit son géniteur après un échange silencieux avec sa femme. Disons qu'ils... avaient vraiment besoin de nous aujourd'hui, et ils nous ont même dit que l'on pouvait vous mettre dans la boucle pour cela.

En disant cela, il sortit deux bracelets noirs de sa poche, et le leur donna. Ceux-ci semblaient ordinaires, comme des bracelets en caoutchoucs trouvés dans n'importe quelle boutique souvenir. Mais sachant que leurs parents les leur confiait, les jumeaux comprenaient qu'il y avait plus. Un secret était caché au creux de leurs mains, et l'avoir en leur possession était un véritable honneur. Il s'agissait de la première fois qu'ils recevaient quelque chose venant directement de leur travail. Mystérieux dans toutes leurs activités, ils laissaient habituellement leurs enfants dans l'ombre, parlant juste de la belle journée ensoleillée – ou nuageuse – qu'ils avaient eu.

Ils eurent tous deux des difficultés à enfiler le bracelet, celui-ci étant légèrement trop petit pour bien passer jusqu'au poignet. Cependant, une fois enfilé, ils le sentirent étrangement lourd. Le tâtant, les enfants se rendirent compte qu'il avait durci.

- C'est un bracelet à mémoire de forme, expliqua fièrement leur mère. Une fois que quelqu'un l'a au poignet, il ne peut pas l'enlever à moins d'avoir les éléments pour.

Le frère et la sœur se regardèrent abasourdis, puis fixèrent leur poignet. Ils allaient devoir garder cela demain ?

Le repas se termina sans plus de surprises, et les jumeaux partirent se coucher. Ils étaient fin prêts, chacun dans son lit, quand Maurina se décida à parler.

- Ils étaient bizarres les parents ce soir... commença-t-elle. D'où ils nous offrent des cadeaux comme ça ? En plus ça vient du travail, et j'ai l'impression d'avoir un truc contre mon gré au poignet.

Son jumeau acquiesça.

- C'est comme s'ils étaient au courant, continua-t-il. Mais c'est juste pas possible. On est mégas discrets, et puis demain c'est le dernier jour, tu te rappelles ? On le dit à Jack le matin. En plus maintenant qu'on a notre super idée... Plus qu'à la mettre à exécution !

Sa sœur hocha la tête, tout sourire. Tout allait bien se passer, elle en était convaincue.

Allant éteindre la lumière, elle eut l'impression de voir une lumière rouge sur son poignet. Son imagination lui jouait des tours. Le sommeil l'accueillit dès son arrivée sur le lit et elle n'eut pas le temps de développer plus.

La voiture nous a quittés...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant