Chapitre 2

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- Il y avait une mouche dans le moteur, elle a tout grillé. Vu la vieillesse de la voiture, l'assurance ne reprend presque plus rien. On a dû lui dire au revoir.

- Non, non et non ! Ca par contre c'est une blague ! s'écria Maurina. Je veux bien avaler que la voiture est morte, couic, tout ce que vous voulez, mais pas que c'est à cause d'une mouche !

Son jumeau la regardait en acquiesçant, tout en observant du coin de l'œil l'expression de leurs parents. Quand une plaisanterie était faite, le coin de la bouche de leur père se relevait subtilement, signe qu'il essayait de se retenir de sourire. Mais là, son regard était terne, ses yeux baissés, et il regardait sa fille avec plein de compassion, comme s'il partageait entièrement son point de vue. Voyant cela, il donna un petit coup de pied à sa sœur, en lui montrant le visage de leur père. Maurina, tout d'abord perplexe par le geste de son frère, se tourna également vers leur géniteur.

- Non, c'est pas possible ! Ce n'est pas une blague ? Une saleté de mouche peut vraiment arriver et bousiller un moteur comme ça. Désolée d'avoir du mal à y croire, mais à ce moment-là, pourquoi je n'en ai jamais entendu parler avant ? demanda-t-elle, abasourdie.

- C'est un cas très rare, ça n'était jamais arrivé auparavant sur aucune voiture. Le moteur est prévu pour pouvoir contrecarrer ce genre de problèmes, mais là toutes les conditions ont été réunies pour que la mouche soit l'élément fatal. Expliqua leur père.

Maurina restait étrangement silencieuse, trop silencieuse. Ses yeux verts habituellement pleins de vivacité étaient vides, son visage poupin restait sans émotions. La voiture était partie, elle n'était plus là, une mouche avait eu raison d'elle, même les réparations n'étaient pas envisageables. La jumelle s'éloigna encore davantage de la réalité, toujours plus loin, toujours plus profondément dans ses réflexions.

Paul lui lançait des coups d'œil furtifs, vérifiant comment allait sa sœur. Était-ce dû au choc ? Ou alors, c'était encore autre chose. Il ne savait plus que penser. Certes, il était très perturbant que, pour la première fois de l'humanité, une voiture soit décédée à cause d'une mouche, mais sa sœur aurait dû être contente ! Ils allaient peut-être pouvoir être mentionnés dans le journal, ou même à la télévision, qui sait ? Mais le regard concentré de sa sœur, ses sourcils froncés et sa mèche de cheveux noir qu'elle mâchouillait lorsque tout n'allait pas bien faisaient savoir à son jumeau qu'elle ne pensait à rien de tout ça. Juste à la perte de cette voiture rouge pivoine.

- Je vais me coucher, annonça-t-elle d'une voix éteinte.

Cela fit sursauter tout le monde. Maurina avait été la première à briser ce silence de plomb, cette atmosphère pesante qui s'était installée. Son frère la suivit dans son élan. Ils partageaient la même chambre après tout, il n'allait pas arriver plus tard au risque de la réveiller. Paul avait comme l'impression que sa sœur allait tomber comme une souche.

Une fois que son frère eut franchi le pas de la porte, elle alla la fermer. Son regard retrouva de la vie et il sut qu'il avait retrouvé sa sœur.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé tout à l'heure ? lui demanda son frère, inquiet.

La jeune fille le regarda d'un air interrogatif.

- De quoi parles-tu ?

- Tu disais plus rien, on aurait dit que tu t'étais enfermée dans ton monde quand Maman a eu terminé de raconter la mort de la Twingo. Même Papa et Maman se demandaient ce que tu avais, on t'as rarement vue comme ça tu sais ? Tu es si triste que ça qu'elle soit partie à la casse ?

L'adolescente sourit de toutes ses dents.

- Re-de quoi tu parles ? Certes, on a eu de beaux souvenirs avec elle, mais il y a pas mort d'homme quand même ! C'est dommage que ça se soit passé de cette façon, mais on n'y peut rien. On va pas lui organiser un enterrement aussi ? rigola-t-elle

Son frère, lui, ne rigolait plus. Il avait été inquiet depuis le moment où elle avait eu cet air absent, et elle souhaitait balayer cela avec un peu d'humour et faire comme si de rien n'était ? Qu'est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête ?

- Bon, si tu veux pleurer, tu pleures. Si tu veux rire, tu ris. Mais j'en peux plus ! J'ai l'impression d'avoir une sœur bipolaire en face de moi ! Si tu faisais la tête tout à l'heure, c'était bien pour une raison, non ? Alors dis-la moi, parce que là tu me fais tourner bourrique ! explosa-t-il.

Maurina le regarda avec des yeux ronds. Il avait perdu son sang-froid. Un sourire narquois naquit sur ses lèvres. Ces moments-là étaient assez rares pour qu'elle puisse en profiter. Cependant, voyant le regard toujours menaçant de son jumeau, l'adolescente se décida à répondre. Il était inutile d'aller plus loin, sa qualité première n'était pas la provocation, et elle se sentait quand même un petit peu mal de l'avoir poussé jusque-là.

- Je pourrais te faire un re-re-de quoi tu parles, mais je crois avoir saisi le sens de ta question, réfléchit Maurina. Mais en fait je n'ai jamais fait la tête. Dès que Maman a eu fini ses explications, j'ai d'abord trouvé ça vraiment gros... T'imagines, toi, une mouche dans le moteur ? Et puis ça m'a donné une idée, la meilleure idée du siècle, et j'ai commencé à y réfléchir.

- Ah ! Tu veux dire que cette tête, ça veut dire que tu réfléchis ! réalisa son frère.

Vexée, l'adolescente s'arrêta. Ce n'était pas du tout rare pour elle de réfléchir, contrairement à ce que sous-entendait son jumeau ! Certes, ce n'était pas non plus chose fréquente, mais il ne fallait pas exagérer, ni d'un côté ni de l'autre. Puisque c'en était ainsi, son frère n'en saurait pas plus ! Pas question qu'elle lui révèle ses plans ou quoi que ce soit ! Ils lui appartenaient ! Elle sortit en claquant la porte d'un geste rageur. Pourquoi Paul ne pouvait-il pas être gentil plus de 5 minutes ?

Alors que l'adolescente revenait vers leur chambre après avoir pris une douche bien méritée, elle croisa son père. Toujours boudeuse, elle souhaita un bonne nuit distrait. Celui-ci la prit dans ses bras, lui souhaitant un bon sommeil.

- Tu sais, si tu as besoin de parler, je suis là Maurin', tu n'es pas obligée de tout garder pour toi, lui chuchota-t-il. Ce n'est pas parce que tu es majeure depuis un mois que ça y est, nous ne sommes plus là pour toi.

La voiture nous a quittés...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant