Chapitre 28

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Ouvrant la porte sur la chambre d'hôpital, Paul découvrit sa sœur toujours dans un profond sommeil. L'impression était étrange. Une salle blanche, au milieu de laquelle trônait sa jumelle, branchée à tout un tas de tuyaux et fils différents. Son cœur se serra. Il n'aurait vraiment pas dû la laisser seule, ou même la laisser partir. Le visage serein de sa sœur le rassura. Ses rêves semblaient plutôt paisibles. Peut-être même était-elle en train de donner une bonne leçon à ceux qui avaient osé la mettre dans cet état ? Il se retint de rire. L'adolescent la voyait bien courser des malfrats avec sa chemise d'hôpital, tenant un tube dans la main pour attaquer. Le scénario manquait cruellement de crédibilité, il devait bien se l'avouer.

Soudain il la vit ouvrir les yeux, et tenter de se lever. Des bips stridents commencèrent à résonner dans toute la pièce. En tant que personne réveillée et en pleine santé, le bruit lui était déjà difficilement supportable, mais après un accident... Cela serait trop pour sa jumelle. En effet, quelques secondes plus tard elle retomba dans le lit, épuisée par le bruit. Ses parents arrivèrent à la même conclusion que lui, et ils paraissaient quelque peu mécontents de la situation. Ils lui firent signe de sortir, et demandèrent au personnel médical s'il était possible de discuter.

L'adolescent savait déjà ce qu'ils allaient se dire, ou du moins une partie de la conversation. Assister à la deuxième partie, à savoir, à quel point Maurina risquait d'avoir des séquelles, ne l'intéressait pas. Il se sentait déjà bien assez coupable comme ça. Paul s'assit donc sur une chaise, non loin de la porte qu'ils venaient de franchir. Son père lui lança un regard surpris.

- Tu ne viens pas ? On va parler avec l'équipe médicale.

Le jumeau tourna la tête négativement.

- Ca ne m'intéresse pas. Maurin' s'est déjà un peu réveillée, je veux être pas loin au cas où elle se re-réveille.

Le jeune homme comprenait la surprise de son père. Il avait des tendances plutôt... analytiques. Comprendre un diagnostic médical l'aurait généralement intéressé au plus haut point. Peut-être aurait-il enfin pu poser certaines des questions qui lui restaient depuis l'enfance concernant les hôpitaux, leur fonctionnement... et une analyse médicale de sa sœur ! Il s'agissait d'un point qui l'intéressait plus que tout. Elle était une énigme de la nature. Trop d'énergie dans son corps. Pas assez de cellules dans son cerveau. Comment tout cela pouvait fonctionner ? Où trouvait-elle toutes ses farces et attrapes dont elle seule avait le secret ? Sa jumelle était tellement différente, comment avaient-ils pu devenir jumeaux ?

Mais il n'avait pas envie de poser ces questions maintenant. Même les réponses ne l'intéressaient pas. Peut-être, plus tard, quand sa sœur serait sur le point de sauter de fenêtres en fenêtres, essayant de faire le ninja, se poserait-il ce genre de question. Mais elle n'avait pas retenté l'expérience depuis son dernier échec, trois ans auparavant. L'adolescente avait bien sauté de fenêtre en fenêtre, sans tomber, ce qui était un exploit. Cependant, la dernière fenêtre était celle de la cuisine, et son pied avait glissé. Sa jumelle s'était retrouvée à l'intérieur de la cuisine, les pieds dans le plat, s'éclaboussant au passage de sauce au poivron. Sa sœur n'aimait pas ces légumes, cela lui avait servi de leçon.

Il sourit à ce souvenir. Que ferait-il sans sa sœur, sans ses bêtises, ses farces et attrapes ? La plupart se soldaient par des échecs, signant leur fin dans l'esprit de sa jumelle, mais quand il s'agissait de réussites... Elle ne s'arrêtait plus.

Sans même s'en apercevoir, il avait commencé à pleurer. L'adolescent voulait la revoir comme avant, sautant de fenêtres en fenêtres, voltigeant, rigolant, courant... Peut-être même volerait-elle à un moment donné ? L'imagination de sa soeur était telle que cela ne l'étonnerait pas.

Soudain il entendit des bips en provenance de la chambre de sa sœur. L'adolescent se leva précipitamment et s'approcha de la porte, la main sur la poignée. Il s'arrêta dans son geste. Et si les bips étaient tellement forts que sa jumelle s'était évanouie à nouveau. Prenant une grande bouffée d'air, il actionna la poignée.

Le spectacle qu'il trouva derrière lui garantit que non, sa sœur ne s'était pas évanouie. Les bips qu'il avait entendu signifiaient qu'elle avait enlevé – ou devrait-il dire arraché – les tuyaux la reliant à la machine, laissant une trace écarlate sur son bras. Assise sur le rebord de la fenêtre, elle s'apprêtait à prendre de l'élan pour sauter. Non. Maurina n'allait pas faire ça. Pas dans sa condition actuelle. Il se gifla intérieurement d'avoir même pu penser qu'elle pourrait à nouveau sauter de fenêtre en fenêtre. Il n'en était pas question ! Une blessée ne fait pas ce genre de choses ! Mais pourquoi ? Même s'il manquait à Maurina quelques cellules cérébrales, le manque n'était pas au point de la faire sauter de la fenêtre. A moins que... le puzzle prenait sens sous ses yeux.

Il se rendit compte qu'il était resté figé sur le pas de la porte, et que quelques secondes de plus, et elle serait partie. Le garçon s'élança, et l'attrapa par la taille. Il ne la laisserait pas s'en aller. Pas comme cela. Pas une nouvelle fois. Pas alors qu'il pouvait choisir de l'arrêter.

- On ne peut vraiment pas te laisser tranquille deux minutes, la sermonna-t-il.

Sa voix n'était pas aussi sûre qu'il aurait voulu la faire paraître. L'adolescent voulait être plus ferme, lui faire comprendre à quel point elle lui avait fait peur, et qu'il ne fallait plus recommencer !

Maurina se retourna d'un coup, manquant de les faire tomber dans le vide tous les deux. Ils se rattrapèrent in extremis.

- Je suis tellement contente de te revoir Paul ! s'exclama-t-elle.

Sa voix aussi n'était pas aussi sûre qu'elle voulait la faire paraître. Comment se faisait-il qu'il y ait autant de trémolos ? Lui avait-il tant manqué que ça ? Ou était-ce le stress qui redescendait, en découvrant que non, elle n'avait pas été prise en otage et était en territoire ami ? Mais la présence de son frère lui faisait réaliser qu'elle avait des choses à lui dire.

- Tu sais, je suis désolée... C'est vrai que c'est pas forcément très sympathique de se prendre un seau d'eau froide dès le matin, au réveil. Mais je voulais tellement y aller, honorer notre part du contrat avec Jack. C'est mon honneur, de respecter les engagements, mais j'ai eu l'impression que tu t'en fichais. Donc ça m'a énervée. J'aurais juste pas dû m'énerver autant.

Paul était bien conscient qu'il n'avait pas bien agit lui non plus de son côté. Voulant montrer sa sincérité, et à quel point il pouvait jouer le rôle du grand frère de temps en temps, il essaya de la soulever pour la porter jusqu'à son lit. Mais c'était sans compter son absence de muscles. Ils se retrouvèrent tous deux par terre. Lui, honteux, sa jumelle, pliée de rire.

- Je crois que ça valide mes excuses, pas vrai ? lui répondit-elle entre deux fou-rires.

Le rire était contagieux, et bientôt les jumeaux étaient pliés en deux, en train de rigoler. Plus ils y pensaient, plus cela repartait de plus belle. La respiration en était difficile, mais ils ne pouvaient plus s'arrêter. Après plusieurs minutes, ils finirent enfin par se calmer. Ce ne fut qu'à ce moment-là qu'ils réalisèrent qu'ils n'étaient plus seuls. Leurs parents et le personnel médical étaient revenus, et attendaient visiblement des explications.

Cela les fit redescendre d'un coup.

- Alors... bonjour ? tenta timidement Maurina.

Cette entrée en matière sembla n'intimider personne. Elle reprit sa respiration, lançant un regard désespéré à son jumeau, qui haussa les épaules, la laissant seule se débrouiller. Les ennuis allaient arriver, et ils étaient nombreux.

- Jeune fille, savez-vous qu'il y a des caméras dans cette pièce ?

L'adolescente reçut de plein fouet la première attaque de ce qui semblait être une infirmière. La quarantaine, elle portait l'uniforme bleu typique, comme ceux vus à la télévision. La charlotte présente sur sa tête lui donnait un air encore plus austère. Si la jumelle avait pu s'enterrer sous terre, elle l'aurait fait.

La voiture nous a quittés...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant