Chapitre 31

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- Comment tu veux que je reste énervée dans cette situation ? lui répondit sa jumelle. Oui, tu m'as saoûlée, et j'avais tout envie de te rebalancer en travers de la figure. Mais vu la façon dont tu t'excuses, c'est comme si j'avais plus rien le droit de te reprocher. Tu me prends les reproches de la bouche. Je propose une chose : on remet les tablettes à 0. On pardonne l'autre, et ça reste une histoire marrante à raconter, non ?

Si Paul avait pu ouvrir la bouche encore plus grande, il l'aurait fait. Une histoire marrante ? Qu'y avait-il de drôle à passer à deux doigts de la mort, de faire une course poursuite, de terminer dans un hôpital ? Cette fois-ci, c'était le jumeau qui commençait à bouillir. Il était encore trop tôt !

- Ca va, commence pas à t'énerver, le calma sa sœur. T'en rigoleras pas après de t'être pris un seau d'eau dans la figure qui a déclenché la dispute du siècle, avec les parents qui rappliquent derrière ? Ou alors d'essayer de s'enfuir de l'hôpital par la fenêtre avec une main gauche endommagée, par un excès de paranoïa ? Il faut relativiser, tu sais. Sinon on avance à rien. J'imagine déjà la future blague Carambar. « Qu'est-ce qui est blanc et qui descend ? » : une Maurina prise de paranoïa !

Elle commença à s'esclaffer. Sa blague était hilarante. Mais visiblement, son frère n'était pas du même avis. Il semblait encore plus énervé qu'auparavant. Elle se mordit la lèvre. Peut-être était-elle partie trop loin ?

- Je veux bien remettre les pages à 0, énonça froidement Paul. Mais tu vas trop loin. Il y a besoin de plus de temps pour rigoler de quelque chose. Il y a des fois où je ne te suis vraiment pas. Finalement, je vais rentrer. Bonne nuit à l'hôpital, on se revoit demain. Je crois que j'ai besoin de réfléchir.

Sur ces mots il quitta la pièce. L'adolescent était sur le point d'exploser, mais cela, sa jumelle semblait passer par-dessus ! Tout comme les péripéties qui venaient de lui arriver. Non ! On ne pouvait pas en rigoler, on ne devait pas en rigoler, il n'y avait et n'aurait jamais rien de drôle à cela ! Il était peut-être un peu trop sérieux, mais également réaliste. Le jeune homme faisait partie de ceux qui pensent qu'il y a des choses dont on peut rire et d'autres pas. Il se sentait trahi par l'attitude de sa sœur.

De l'autre côté de la porte, Maurina regardait par la fenêtre, les lèvres pincées. Son humour douteux allait continuer à la sauver de certaines situations, que cela plaise à son frère ou non ! Si elle ne pouvait plus rire de ses propres circonstances... Les larmes lui montèrent aux yeux, et elle se recroquevilla, en boule. La peur. Les « et si ». Les « pourquoi ». L'ampleur de l'affaire dans laquelle ils s'étaient engagés. La peur d'être seule, abandonnée. L'impression d'être impuissante. Ce stress à l'idée que l'on ne contrôle rien. Puis, il y avait ce vide. Ce néant ressenti, aussi apaisant qu'oppressant. Cette tentation de s'éloigner définitivement des siens, de faire une croix sur sa vie. Leur crédulité quant au travail qui leur avait été proposé... Les larmes avaient commencé à couler.

Il fallait qu'elle arrête ! Elle se faisait du mal à ressasser toutes ces pensées négatives, et c'était bien le reproche fait à son frère ! Comment pouvait-il vivre comme ceci ? S'essuyant rageusement les larmes qui avaient réussi à couler, elle pensa au cadeau qu'ils allaient offrir à leurs parents. A leur air surpris lorsqu'ils verraient que leurs enfants étaient devenus adultes. Qu'ils avaient réussi à leur faire une surprise digne de ce nom, encore mieux que les chocolats moulés dans du « Papa et Maman je t'aime ».

Un rire lui échappa. Ce cadeau était mémorable, de par la dispute qui l'avait précédé et la tête de leurs parents qui avait suivi. Il y avait une leçon qu'elle en avait retenu. Aucun d'eux n'étaient confectionneurs en chocolat. Ce n'était pas faute d'avoir essayé.

De son côté, son jumeau était resté silencieux. Lorsqu'il avait fermé la porte, ses yeux s'étaient fermés, ressassant encore et encore les événements traumatisants des dernières 24 heures. Le garçon ne comprenait toujours pas comment ils pourraient un jour en rire. Peut-être était-ce une raison pour laquelle ils étaient opposés. Se compléter pouvait être un atout ou une faiblesse. L'atout lorsque, à deux, tout était possible. La faiblesse, car ils se disputaient si souvent. Leurs points de vues étaient tellement divergents. Comment l'adolescent pouvait même imaginer se glisser un jour à la place de sa sœur ? Cela était tout bonnement impossible ! Mais ce qui lui semblait le plus impensable, c'était de ne plus avoir son opposée auprès de lui, pour lui chercher des noeux dans les cheveux. Pour lui dire de sortir. Pour le narguer sur les muscles qu'il n'avait pas. Pour lui faire des farces et attrapes dont elle seule avait le secret. Sa jumelle n'avait pas compris à quel point sa remarque lui avait fait mal. Comme si elle se moquait de ses inquiétudes. Voir le bon côté des choses ? Pourquoi pas. Se moquer des inquiétudes qu'il avait eu ? Elle n'avait pas le droit.

Paul rentra dans un état second, et ses parents ne lui posèrent aucune question.

Maurina fixait le ciel bleu de sa fenêtre, pensive, se demandant comment la suite de leur aventure allait se dérouler.

..........

- Vous pouvez partir, déclara l'infirmière.

La phrase avait sonné comme une libération pour la jeune fille, qui enfila son manteau en quatrième vitesse. Depuis le moment qu'elle attendait ! Ses yeux ne cessaient de fixer l'heure depuis plus d'une heure, et le passage de l'aiguille sur neuf heures avait semblé sonner sa libération. Le regard menaçant du personnel de santé la fit ralentir. Elle avait bien compris qu'il ne fallait pas faire de gestes brusques avec son poignet, qu'il fallait faire attention à son corps... Mais, pour sa défense, elle avait déjà une attelle, celle-ci était sensée la protéger ! Cependant, toutes ces réflexions restaient pour l'adolescente, le courroux de la dame qui lui faisait face lui faisait déjà bien assez peur.

Les parents travaillaient aujourd'hui, ce qui signifiait qu'elle allait rentrer par ses propres moyens. Depuis que TwinTwin les avait lâchés, ils se covoituraient l'un l'autre à leur travail avec la voiture qui leur restait. Mais celle-ci n'avait pas la même place dans le cœur de la famille. L'automobile paraissait fade, sans vie. Ses phares la faisait ressembler à un visage triste, et elle était très lourde. Quand ils la conduisaient, les jumeaux avaient l'impression d'être dans un vaisseau spatial. Sa perte ne leur aurait pas fait beaucoup d'effet.

Maurina eut un pincement au cœur. Pour dire la vérité, TwinTwin lui manquait, avec sa belle couleur jaune, ses phares qui rendaient toute la voiture pétillante de vie, son vrombissement lors des accélérations trop soudaines. Il s'agissait d'une voiture en or. Même l'absence de direction assistée avait son charme. Ils alternaient avec son frère pour faire de la musculation concrète en se garant sur des places plus qu'étroites. Le jeu était de s'y placer le plus rapidement possible.

Encore dans ses pensées, ce fut machinalement que la jumelle appuya sur la sonnette de sa maison. Les bus s'étaient enchaînés, ses pensées aussi, et elle était quelque peu surprise d'être arrivée si vite. Regardant sa montre, l'adolescente se rendit compte que ce n'était pas le cas, la notion du temps l'avait juste quittée. L'écran lui renvoyait dix heures. 

La voiture nous a quittés...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant