Chapitre 19 (version éditée)

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Olivia, installée à son secrétaire dans ses appartements, griffonnait des lignes. Elle aimait s'adonner de temps à autre à l'écriture qui lui permettait d'exprimer les tourments de son cœur. Quand elle se sentait soulagée, après avoir noirci quelques feuillets, elle les faisait toujours disparaître en les brûlant. Elle ne tenait pas à ce que quelqu'un tombât un jour sur des confidences aussi intimes.

La jeune femme s'adossa à son fauteuil et regarda onduler la flamme du bec de gaz, unique source de lumière de la pièce. Dehors, il faisait nuit noire. Et cette obscurité lui rappela Narcisse.

Le comportement qu'avait eu son époux lors de la fuite de Layl l'avait profondément touchée. Il avait choisi de venir la chercher pour qu'elle seule décidât de la façon dont on devait procéder avec son cheval, puis il l'avait laissée s'occuper elle-même d'approcher l'animal en détresse malgré le danger qu'il représentait.

Si Narcisse possédait bien des défauts, il offrait en revanche à sa femme la liberté de faire ses propres choix et prenait toujours ses désirs en considération – tant qu'il n'était pas directement impliqué, évidemment. Olivia avait bien conscience que peu d'hommes agissaient comme lui, et du privilège qui lui était accordé. Ainsi ne pouvait-elle ignorer que, malgré son rejet et ses emportements, son mari éprouvait à son encontre une certaine forme de respect.

Si seulement il avait renoncé à disparaître des heures entières, sans doute aurait-elle pu lui pardonner ses autres manquements. Mais elle ne cessait de songer à la bouche vorace de Charlotte Laval posée sur celle de son époux lors du bal des Marchal, et cela ravivait ses plaies les plus profondes.

Inspirée, elle s'empara de sa plume qu'elle trempa dans l'encrier, puis en appliqua la pointe sur le papier crème. Elle s'épancha longuement, retranscrivant ses interrogations comme si elle espérait leur trouver ainsi des réponses.

Un coup résonna à la porte, l'interrompant dans sa tâche. Nina se mit aussitôt à aboyer et bondit hors de son panier. La jeune femme abandonna là son écriture et se leva.

Quand elle ouvrit, elle avisa sans surprise Narcisse derrière le battant. Lui seul pouvait venir la visiter à une heure pareille.

— Je suis navré de vous déranger, Madame, cependant votre cheval, n'ayant plus l'habitude d'être en box, est à nouveau en train de s'agiter... J'ai peur qu'il ne se blesse.

Olivia grimaça, contrariée. Il s'était mis à pleuvoir des cordes en fin d'après-midi, et elle avait voulu tenter l'expérience de conduire Layl dans une stalle pour l'abriter, mais une fois enfermé, l'étalon avait très vite paniqué. Afin de l'apaiser, elle avait de nouveau utilisé la méthode enseignée par Anne, puis parlé doucement pendant un long moment à son compagnon quand l'exercice avait porté ses fruits.

Le répit ainsi obtenu avait de toute évidence été de courte durée.

— Merci de m'avoir prévenue, Monsieur. Je vais me vêtir au plus vite et descendre à l'écurie.

— Bien, je vous attends dans le hall.

Narcisse tourna les talons, et Olivia se hâta d'enfiler une tenue d'amazone sur sa chemise de nuit, puis son pardessus et ses bottines. Elle enferma Nina dans ses appartements pour que cette dernière ne se perdît pas dans l'obscurité du parc ; la petite chienne se mit à gémir derrière le vantail.

Dans le hall, tout de noir vêtu, son mari l'attendait comme prévu. Ils ne prononcèrent pas un mot et se dirigèrent ensemble au pas de course vers les écuries. La pluie continuait de tomber à grosses gouttes.

NARCISSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant