Chapitre 29 (version éditée)

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Olivia observait les étoiles qui scintillaient au-dessus d'elle, les coudes posés sur la rambarde du balcon, se rejouant depuis plus d'une heure la scène qui s'était déroulée dans la salle à manger.

Elle avait encore du mal à croire ce qu'elle venait de vivre. Que Narcisse avait répondu à son baiser, qu'il l'avait même approfondi, bien qu'il eût fini par se rétracter. Aussi avait-elle décidé qu'elle lui laisserait désormais le temps de s'ouvrir à elle et de faire un nouveau pas dans sa direction, s'il en ressentait l'envie.

La porte-fenêtre grinça soudain dans son dos.

La jeune femme crut tout d'abord qu'il ne s'agissait là que de la brise, avant de sentir une présence derrière elle. Les épaules raidies par la tension, elle n'esquissa pas le moindre geste pour se retourner et ferma les yeux.

Dans le silence de la nuit, une chouette hululait au loin.

Olivia ressentit tout à coup une légère caresse sur sa joue, à peine plus poussée que le contact d'un drap froid sur sa peau nue. Un effleurement subtil, tout comme l'agréable odeur qui vint lui chatouiller les narines. Ce parfum, elle était capable de le reconnaître entre mille. L'exquise fragrance des pivoines rose poudré plantées dans le parterre face à l'entrée du manoir. Ses fleurs préférées. Ainsi Narcisse s'était-il aperçu qu'elle aimait se promener entre les vivaces et les arbustives pour les respirer. Il l'avait donc bel et bien observée.

— Vous osez couper mes pivoines ? chuchota-t-elle alors que son mari continuait de lui frôler la joue avec un bouton à demi éclos.

— Je n'en ai sacrifié qu'une, en réalité. Je ne me serais jamais risqué à en faire tout un bouquet.

— Vous me connaissez bien mieux que je ne l'aurais imaginé.

— En effet. Je suis plutôt observateur quand il s'agit des personnes qui éveillent ma curiosité. Et vous m'intéressez beaucoup, Madame. Infiniment plus que vous ne le soupçonnez.

Le souffle de la jeune femme s'emballa tandis qu'elle prenait la pleine mesure de ses propos. Cela faisait si longtemps qu'elle espérait l'entendre se livrer un tant soit peu.

Olivia tourna son visage vers Narcisse et attendit qu'il poursuivît, les yeux braqués dans ses prunelles. Ses mains se firent tremblantes, et son estomac ainsi que sa gorge se nouèrent d'appréhension.

— Je crois que...

Narcisse se tut. Le silence retomba entre eux et s'étira.

— Oui... tenta-t-elle de l'encourager alors qu'il peinait à s'exprimer.

— Je...

Sa voix, vibrante d'émotion, était un peu rauque. Quand il détourna le regard, confus, la paume d'Olivia vint se nicher contre sa joue en une caresse apaisante. Le jeune homme se crispa, ses traits se durcirent, puis son attention se reporta à nouveau sur sa femme.

— Je vous aime également, Madame. Je suis tombé amoureux de vous et je vous en veux pour cela.

Olivia fut d'abord sonnée par cet aveu qu'elle avait tant espéré, mais que, depuis ses noces, elle n'aurait jamais pensé entendre un jour. Le choc passé, un éclat de rire incrédule, brève expression de son saisissement, franchit la barrière de ses lèvres. Bien sûr, son mari lui en voulait ! Avoir des sentiments pour elle devait lui donner l'impression d'être vulnérable. Il ne se doutait pas qu'en réalité, il ne s'en trouvait que plus puissant. L'intensité de son désir, tel un abysse qui s'ouvrait sous la surface sombre de ses iris, l'aspira vers lui.

— Moi aussi, je vous en veux, Monsieur. Je vous en veux de m'avoir ignorée pendant des mois, de m'avoir torturée avec Charlotte Laval, et enfin, d'avoir nourri mes ardeurs pour mieux me forcer à les refréner ensuite. Vous vous êtes joué de mon cœur aussi cruellement qu'un chat s'amuse d'une souris. Et c'est affreux à confesser, mais si j'en ai souffert, je sais au fond de mon âme qu'une part de moi s'en est également délectée. Tout comme j'ai l'absolue certitude d'en vouloir davantage. Vous pouvez m'infliger mille tourments, me faire tomber en disgrâce, je continuerai de vous aimer. Jour après jour, nuit après nuit, je vous aimerai autant que vous me haïssez, et je vous haïrai autant que je vous aime.

NARCISSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant