Chapitre 14 (version éditée)

4.8K 489 33
                                    



Agathe et Olivia mirent leurs chevaux au pas après avoir traversé un vaste pré au galop. Kouros, le hongre gris pommelé habituellement chargé de tirer la voiture, semblait apprécier la promenade. Olivia se promit de lui consacrer davantage de temps à l'avenir.

Mademoiselle Jourdain, à l'instar de toutes les cavalières, était installée en amazone, mais ne se formalisait plus de voir son amie chevaucher comme un homme, sans selle de surcroît. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'elle avait elle-même conçu et adapté les tenues d'amazone d'Olivia. La couturière avait soigneusement sélectionné des étoffes qui offraient plus de liberté de mouvement et les avaient assemblées de façon à permettre à leur propriétaire de monter à son aise. Elle avait néanmoins veillé à ce que les robes conservent leur apparence originelle, tout en s'assurant que la cavalière garde les jambes couvertes.

Pendant que les chevaux récupéraient, les deux compagnes en profitèrent pour converser.

— Aurai-je le plaisir de vous voir au bal des Marchal, ce soir ? commença Agathe.

Tous les ans, les Marchal, prestigieuse famille bourgeoise parisienne, organisaient un grand bal le premier samedi de mai – qui tomberait le 1ermai de cette année 1880 –, où seuls les noms les plus distingués de Paris et ses environs étaient conviés. L'an dernier, Olivia s'y était rendue pour la première fois en compagnie de ses parents et de Valmond. Elle avait passé une bonne partie de la soirée au bras de Dorian qui, aussitôt qu'il l'avait vue, avait jeté son dévolu sur elle. À cette époque, elle était encore loin d'imaginer qu'elle épouserait son frère. Narcisse, en revanche, n'avait pas participé aux festivités.

— J'ai entendu dire que Paul serait présent, poursuivit Agathe.

La mère de Paul, grande amie de la duchesse de Beauvoir et de Madame Jourdain, était autrefois presque toujours accompagnée de son fils quand elle venait prendre le thé. Ainsi Paul et Valmond s'étaient-ils liés d'amitié dès leur plus jeune âge ; Olivia et Agathe, quant à elles, avaient passé beaucoup de temps avec les deux garçons lorsqu'elles étaient enfants. Olivia tenait Paul en grande estime. Sans doute parce qu'elle le connaissait depuis des années, mais davantage aussi parce qu'il avait fait naître en elle un trouble particulier, peu de temps avant de quitter Paris avec ses parents après que ces derniers eurent investi une partie de leur fortune dans un vignoble du Médoc, il y avait maintenant deux ans de cela. La veille de son départ, Paul avait offert à Olivia son premier et unique baiser jusqu'à ce jour.

— J'ignore si nous nous joindrons à l'événement. Mon époux ne m'a pas fait part de son désir de s'y rendre, répondit Olivia. Et vous, j'imagine que vous ne manquerez cela pour rien au monde ?

— Assurément ! s'exclama Agathe.

— Quel empressement...

L'amie d'Olivia sembla tout à coup mal à l'aise. Ses joues prirent une teinte rosée et son sourire se crispa.

— Eh bien, Valmond m'a informée de sa présence...

— Vraiment ? s'interrogea innocemment Olivia qui, si elle se réjouissait à l'idée d'un rapprochement entre sa confidente et son frère aîné, se refusait cependant à influencer Agathe d'une quelconque manière.

Elle souhaitait de tout cœur que le mystérieux prétendant qui avait dérobé le cœur de son amie fût Valmond.

— Oui... et je dois enfin vous avouer que... l'homme dont je vous ai tant parlé n'est autre que votre frère. Je nourris depuis fort longtemps l'espoir qu'il demande ma main...

Un large sourire vint étirer les lèvres d'Olivia pour le plus grand soulagement de son amie.

— Je dois également vous faire une confidence. J'ai de tout temps souhaité que Valmond et vous vous mariiez ! Vous vous connaissez depuis l'enfance et avez toujours été si proches ! J'espère de toute mon âme que mon frère se décidera enfin à demander votre main ! la rassura-t-elle.

NARCISSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant