Chapitre 16 (version éditée)

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Appuyée à la rambarde d'un balcon, au troisième étage de l'hôtel privé des Marchal, situé sur la rive droite de la Seine, Olivia observait la ville. Elle balayait du regard les immeubles aux toits gris, le fleuve qu'elle devinait non loin, dans la semi-obscurité, quand son attention fut attirée par deux chats en train de se quereller dans la rue en contrebas, seulement éclairée par quelques réverbères. Lorsque les félins finirent par s'éloigner en crachant, elle ferma les yeux et se laissa bercer par les rumeurs qui s'élevaient des cafés et des théâtres alentour. Bien que quelques relents désagréables lui parvinssent de temps à autre, elle inspirait avec soulagement l'air frais de la nuit ; dans le salon bondé, elle avait eu l'impression de suffoquer.

— Olivia ? l'appela doucement Agathe qui arrivait derrière elle.

— Je ne suis plus habituée à tant de mouvements...

— Je l'entends bien. Nous devrions rentrer cependant, vous allez prendre froid !

Olivia, n'ayant pas la moindre envie de retourner à l'intérieur, tenta de prolonger la conversation.

— Alors, mon amie, Valmond vous a-t-il enfin confié son désir de s'entretenir avec votre père ? s'enquit-elle.

— Pas encore. Pour l'heure, il m'a seulement invitée à danser. Son nom remplit la page de mon carnet de bal... Mère est aux anges.

— Elle doit occuper son temps à vous espionner.

— Sans aucun doute. Et elle va me poser mille questions durant le trajet du retour, vous pouvez en être certaine, déclara Agathe en levant les yeux au ciel.

Puis elle ajouta :

— Votre mari m'a semblé d'une humeur bien curieuse, ce soir.

Comme Olivia répondait par une moue embarrassée, son amie s'empressa de conclure :

— Monsieur de Vaire est un ingrat. Il regrettera ses manquements bien assez tôt, j'en suis convaincue. Venez, regagnons le salon maintenant, nous n'avons déjà que trop tardé.

Olivia acquiesça et se laissa reconduire par Agathe. Une fois à l'intérieur, elle dut observer un moment les danseurs avant que son regard ne trouve enfin son mari. À ses côtés se tenait Charlotte, une main gantée posée sur son avant-bras. Les joues rosies de plaisir, elle semblait fort bien se divertir. Narcisse tourna alors le visage vers l'élégante et la considéra longuement.

Le souffle d'Olivia se suspendit, elle eut soudain à nouveau la sensation de manquer d'air. Cette soirée se transformait pour elle en véritable cauchemar.

— Je suis terriblement navrée, chuchota Agathe qui avait suivi le regard de son amie.

— Ne vous inquiétez pas pour moi. Ce bougre se punira tout seul et ce ne sera que justice.

Agathe hocha la tête puis, alors que ses yeux balayaient la foule des convives, la couturière s'exclama :

— Paul est enfin arrivé !

En effet, un jeune homme aux cheveux blonds, vêtu d'un pantalon noir et d'une redingote tout aussi sombre, conversait à présent avec Valmond et Émile.

Le pouls d'Olivia s'accéléra sensiblement à sa vue. Si elle n'avait guère songé à lui depuis qu'elle était mariée, le revoir après tant de temps, quand leur dernière rencontre s'était conclue par un baiser, suffit à la troubler.

— Allons le saluer, déclara-t-elle.

Agathe approuva, et les deux amies se dirigèrent vers les trois hommes. Ces derniers durent les sentir arriver puisqu'ils se tournèrent d'un même mouvement lorsqu'elles ne furent plus qu'à quelques pas.

NARCISSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant