Prologue
Narcisse de Vaire.
Olivia n'aurait su dire quand, pour la première fois, elle avait entendu ce nom. Sans doute au détour d'une conversation. Peut-être était-ce dans la bouche d'une demoiselle, ébahie par la prestance de cet homme dont on clamait que sa beauté n'avait d'égale que sa froideur. Peut-être était-ce dans la bouche de quelques messieurs, n'hésitant pas à dénoncer le mépris que ce personnage nourrissait pour le monde. Parce qu'on disait de Narcisse de Vaire qu'il était dédaigneux.
Un jour, donc, Olivia avait entendu son nom. Elle était alors loin de se douter que cette association de voyelles et de consonnes la tourmenterait des heures durant. Loin d'imaginer qu'elle hanterait ses songes, comme une âme damnée à la recherche de la lumière.
Loin d'imaginer que ce nom deviendrait le sien.
Debout devant le secrétaire du bureau de son époux, pièce où elle n'avait jamais mis les pieds jusqu'ici, la jeune femme contemplait pensivement un tableau qui le représentait. Il n'y avait rien de plus étrange que cette toile, bien différente de toutes celles qu'elle avait eu le loisir d'observer. En effet, selon elle, le portrait n'était pas terminé.
La silhouette guindée et flatteuse de son mari, dissimulée sous un sombre costume, avait été parfaitement dessinée, de même que son visage aux traits acérés et masculins, dont le nez était à la fois droit et fin, la bouche charnue et tentatrice. Cependant, le tableau ne possédant nulle couleur, il soulignait le noir d'encre des cheveux, sans révéler l'indigo crépusculaire des iris qui faisaient tout le mystère, la froideur, mais également le succès auprès de la gent féminine de Narcisse de Vaire. C'était cette absence de teinte qui donnait le sentiment à Olivia que l'œuvre demeurait inachevée.
Avant de se faire surprendre dans cette pièce qui lui était interdite, la jeune femme décida de quitter les lieux et retourna se poster dans le grand salon, où elle patienta.
Les journées n'en finissaient pas, interminables, ennuyeuses, et depuis trop longtemps, vides de sens.
Cela faisait maintenant six mois qu'Olivia et Narcisse étaient unis. Un peu plus de cent quatre-vingt-deux jours durant lesquels la désormais Madame de Vaire avait vacillé entre attente, frissons et déception. Des heures de solitude à s'étioler près de la haute fenêtre, guettant l'arrivée du frison de son mari. Des nuits d'insomnie, longues à n'en plus finir, allongée dans les draps frais, seule, à espérer en vain que l'espace vide à ses côtés soit comblé par le corps chaud de celui qu'elle avait si hâtivement accepté d'épouser.
Il n'y avait cependant que le néant pour lui tenir compagnie.
Depuis les festivités de leurs noces, Narcisse évitait tout contact physique avec elle. Il n'avait également pas pris la peine d'honorer ses vœux. Olivia, face à sa froideur, avait compris, sans même que son mari eût besoin de le dire, qu'il lui était défendu ne serait-ce que de penser à le toucher.
Olivia ignorait donc la sensation des caresses de son époux sur sa peau, la chaleur de son corps contre le sien. Elle était liée à un inconnu, à une image qui daignait tout juste se montrer de temps à autre, un fantasme qui envahissait ses songes et qu'elle modelait à l'envie.
À elle, et pourtant inaccessible.
Souvent, la jeune femme s'interrogeait à son sujet, sur ses motivations, sur le but de cette union. Elle n'avait de cesse de se demander pourquoi il l'avait choisie. Pourquoielle,plutôt que l'une de ces demoiselles qui se pâmaient devant lui et rêvaient de le prendre pour mari, alors qu'elle ne lui avait jamais adressé la parole avant ce jour où il avait soudain décidé de la courtiser ? Pourquoi elle, parmi tant d'autres, quand Dorian, son aîné, lui portait déjà un intérêt particulier depuis de nombreuses semaines et s'efforçait de la séduire avec toute la distinction liée à son rang ? Quel homme pouvait ainsi réduire à néant les desseins de son propre frère en lui dérobant l'objet de ses désirs, pour ensuite l'enfermer dans un manoir et l'y abandonner ?
Si Olivia avait eu conscience du sort que cet arrogant personnage lui réservait, sans doute son choix aurait-il été différent. Il lui avait parlé de liberté, et elle s'était laissé duper par ses sombres prunelles, par la mélodie ensorcelante de sa voix, par ses mots, subtilement sélectionnés, qui avaient su atteindre sa sensibilité. Avec toute la passion et l'emportement d'un homme amoureux, il était parvenu à la faire succomber pour, une fois sa main obtenue, la fuir avec autant de ferveur qu'il l'avait courtisée.
Olivia avait d'abord songé que, peut-être, Narcisse s'était trouvé davantage attiré par son titre que par sa personne. Étant la fille du duc et de la duchesse de Beauvoir, dont le patrimoine – composé de multiples terres et biens immobiliers – était tel qu'elle en ignorait toute l'étendue, la demoiselle était, sans conteste, un parti fort prestigieux.
Cependant, elle avait depuis longtemps abandonné cette idée ; Narcisse n'ayant jamais manifesté le moindre intérêt concernant la fortune de ses parents et n'exposant que fort rarement son épouse en public.
Tant de mystère entourait cet étranger auquel elle était mariée. Aussi, les nombreuses heures de solitude d'Olivia se trouvaient-elles en partie comblées par toutes les interrogations qu'elle ressassait inlassablement, assise sur son inconfortable fauteuil en velours, devant l'immense fenêtre du salon.
Sans vraiment voir le temps passer, la jeune femme prenait son mal en patience, convaincue que les ombres qui cernaient Narcisse finiraient par se dissiper d'elles-mêmes, et qu'alors, elle comprendrait enfin ce qui lui échappait encore. Oui, un jour, il baisserait les armes et se dévoilerait à elle, vulnérable dans toute sa beauté masculine. Car, si Olivia se sentait humiliée par la distance que lui imposait son mari, blessée dans son orgueil parce qu'il avait refusé d'honorer leur nuit de noces, elle était néanmoins volontaire. Et quand elle avait une idée en tête, rien ne pouvait la décourager. Elle entendait être considérée ; cet homme avait un devoir envers elle.
Pour l'heure, les rares fois où son époux daignait lui offrir un regard, Olivia y discernait tant de mépris qu'elle avait l'impression qu'une main invisible lui comprimait le cœur. Et si une telle douleur sévissait en elle, c'était pour deux raisons :
Tout d'abord, la jeune femme avait fini par tomber amoureuse de son mari.
Définitivement, irrémédiablement.
Sans aucun retour en arrière possible.
Ensuite, elle avait compris que Narcisse la voyait sans la voir. Elle se trouvait simplement là, dans son champ de vision. Rien de plus, rien de moins ; il n'avait à son égard pas plus de considération que pour un meuble. Et, à son grand désarroi, elle savait tout au fond d'elle-même que c'était son rejet qui l'avait perdue. N'aime-t-on pas plus passionnément dans la souffrance ?
Très souvent, Olivia songeait à leur baiser avorté, ce baiser qu'elle aurait dû recevoir.
Lorsqu'ils s'étaient retrouvés seuls en leur demeure après les festivités de leurs noces, la jeune femme avait tenté un rapprochement. Elle avait osé tendre une main timide vers le visage de son époux, espérant ainsi lui témoigner toute sa tendresse, et enfin, goûter ses lèvres. Mais, en avisant l'éclat furieux qui avait fait briller les sombres iris de Narcisse, elle avait aussitôt suspendu son geste.
Sans la quitter des yeux, son mari avait prétexté une soudaine et violente migraine, puis s'était retiré dans ses appartements. Marianne, l'une des domestiques du manoir, était alors apparue pour indiquer sa propre chambre à Madame.
À cet instant précis, Olivia avait compris qu'elle ne partagerait pas la couche de son époux.
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NARCISSE
Ficção HistóricaOlivia, fille adorée du duc de Beauvoir, n'aurait jamais imaginé qu'en acceptant de s'unir au froid et taciturne Narcisse de Vaire, elle épouserait la solitude. Après leurs noces, les semaines s'écoulent, puis les mois, sans que Narcisse ne se décid...