Chapitre 28 (version éditée)

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Quand Olivia arriva au manoir et sortit de la voiture, elle aperçut Narcisse dans la clairière avec Onyx. La curiosité attisée par les exercices auxquels le cavalier et sa monture se prêtaient, elle s'approcha.

Particulièrement concentré, le jeune homme faisait travailler son cheval avec rigueur. Le frison, en confiance, enchaîna les figures avant d'exécuter un piaffer d'une légèreté absolue. Les oreilles droites, l'encolure arquée, le poitrail bombé, la queue fouettant ses membres postérieurs, il avait tout d'une créature onirique.

Olivia s'appuya à la barrière afin de contempler le couple hypnotique qu'il formait avec son mari. L'imposant toupet ondulé de l'étalon tombait jusque sur ses naseaux et sa volumineuse crinière cascadait le long de son bras musculeux. Sa queue, quant à elle, frôlait le sol lorsqu'elle n'était pas en mouvement, et sa robe d'un profond noir de jais luisait sous le soleil déclinant de cette fin d'après-midi. Il était magnifique. La manière dont il bougeait ses membres, avec la grâce et la maîtrise parfaite d'une danseuse, captivait la jeune femme à tel point qu'elle ne pouvait quitter des yeux la scène qui se déroulait devant elle.

Son attention se porta alors sur son époux, maître de leur élégant et rigoureux ballet. Sur le dos de cette bête exceptionnelle, plongé dans un état d'extrême concentration, il n'avait pas conscience qu'on l'observait. Son éternelle froideur était exacerbée par sa recherche de perfection et l'air sévère qu'il arborait.

Les mains apposées sur la barrière couverte de lichens, Olivia se fit la réflexion qu'en dépit des difficultés qu'elle traversait dans son mariage, elle n'avait pas envie de garder ses distances avec Narcisse. Si elle ressentait toujours une certaine colère et une vive déception à l'idée de ne pas pouvoir jouir entièrement de leur union en donnant la vie, quelque chose en elle la poussait malgré tout à ne pas renoncer. Comme un timide espoir qui n'aurait jamais dû naître et qui pourtant ne demandait qu'à exister.

La brise printanière charria dans sa direction les effluves des lilas en fleur qui se trouvaient non loin. Leurs pétales mauves apportaient une délicate touche de couleur à la vaste étendue verte de la clairière. Olivia en ferma les paupières de plaisir, se laissant envahir par l'exquise fragrance, qui désormais ne serait plus à ses yeux qu'un simple parfum. Cette douce odeur lui rappellerait à jamais ce jour où, abandonnée dans la contemplation de Narcisse sur son magnifique étalon noir, elle venait de comprendre avec une certitude des plus absolues qu'elle ne cesserait jamais d'être amoureuse de son mari, quels que pussent être les tourments qu'il lui infligerait.

Au bout d'un long moment, Narcisse, estimant sans doute qu'Onyx avait assez travaillé, stoppa les exercices et le fit marcher d'un pas lent pour le détendre. Olivia continuait de les suivre du regard, car même à cette allure, le cavalier et sa monture dégageaient une indéniable noblesse.

Quand il arriva au niveau de son épouse, Narcisse arrêta son frison afin de la fixer. Elle laissa ses iris indigo la transpercer de part en part, lui arrachant des aveux qu'elle n'aurait jamais pensé lui confier en pareilles circonstances.

— Je vous aime, Monsieur.

Et sans attendre de réponse, elle se détourna vivement pour regagner le manoir.

*

Après avoir servi Olivia puis Narcisse, le majordome se dirigeait vers la porte de manière à laisser les époux en tête à tête.

— Gérald ?

— Oui, Madame ?

— Pourriez-vous demander à Marianne de sortir Nina, s'il vous plaît ?

— Oui, Madame.

— Qu'elle prenne son temps surtout, ma chienne ne s'est pas beaucoup dépensée aujourd'hui. Vous pourrez ensuite disposer tous les deux, ainsi que Madeleine. La vaisselle attendra demain.

NARCISSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant