Chapitre 13 (version éditée)

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Quand le fiacre se gara devant le perron du manoir, Narcisse s'empressa d'en sortir. Il se trouvait dans un tel état de fureur qu'il gravit les marches au pas de course et disparut dans la demeure en coup de vent, ne laissant même pas le temps à son majordome de lui ouvrir la porte. Olivia avait déjà compris que ce dîner familial avait eu pour lui des airs de supplice et que, sous son masque d'indifférence, son époux avait en réalité muselé sa colère. En effet, à peine le couple s'était-il retrouvé isolé dans la voiture qu'elle avait senti l'atmosphère se charger de tension. Durant tout le voyage, Narcisse avait gardé les poings serrés, la mâchoire crispée, et l'une de ses semelles avait battu nerveusement le plancher jusqu'à ce que le fiacre se fût arrêté.

Inquiète, Olivia descendit à son tour de la voiture pour le rejoindre. Elle fut accueillie dans le hall par un Gérald à la mine déconfite et une Marianne affolée. Madeleine, quant à elle, devait être occupée en cuisine.

Elle n'eut pas besoin de leur poser la moindre question ; elle entendit.

Un fracas épouvantable lui parvenait du salon. Narcisse était, de toute évidence, en train de renverser tout ce qui lui tombait sous la main. Olivia ne l'avait jamais vu dans un tel état de fureur. Depuis qu'elle était mariée, elle avait toujours eu affaire à un homme d'une grande maîtrise, excepté la fois où il s'était emporté dans sa chambre. Loin d'être effrayée toutefois, elle se dirigea vers le salon, bien décidée à le rejoindre.

— Madame, n'y allez pas, c'est trop dangereux, lui souffla Marianne, les yeux écarquillés par la peur.

— Ne vous en faites pas, Monsieur ne retournera pas sa colère contre moi. Il a seulement eu une journée très éprouvante et...

La jeune femme ne termina pas sa phrase, ne sachant qu'ajouter. Elle n'avait aucune certitude quant à ce qu'elle affirmait, elle voulait uniquement rassurer ses domestiques et aller vérifier que Narcisse ne se fût pas blessé.

Olivia disparut derrière la porte du salon qu'elle referma avec soin.

Quand elle se retourna, elle découvrit la pièce dans un état chaotique. Les deux guéridons en bois d'acajou, recouverts de marbre blanc et sertis d'une galerie ajourée en laiton, avaient été mis à terre près du piano à queue. Les candélabres d'argent gisaient eux aussi sur le parquet en compagnie de plusieurs vases en cristal, brisés, qui reposaient auparavant sur une commode en acajou et un meuble d'appui Louis XIV. L'un des rideaux en velours avait été délogé de son support et recouvrait à présent le fauteuil d'Olivia.

Au milieu de ce désastre, que Narcisse était parvenu à créer en moins de deux minutes, le jeune homme se trouvait assis sur le sol, légèrement dos à elle, les coudes plantés sur ses cuisses écartées, les mains enserrant son crâne. Debout entre ses jambes, Nina lui reniflait le visage en gémissant.

Olivia, attristée par le désarroi de son mari, sentit son cœur se comprimer. Un besoin urgent de le réconforter l'envahit, cependant, alors qu'il se montrait pour la première fois dans toute sa vulnérabilité, elle ignorait comment il accueillerait son entreprise. Narcisse avait l'air d'un animal blessé, dont il fallait redouter la réaction à chaque instant. Le risque qu'il la repoussât était élevé, mais elle craignait bien davantage qu'il s'emportât contre elle et la violentât.

Olivia, néanmoins décidée à lui témoigner son soutien, ne se laissa pas décourager pour autant et s'agenouilla derrière son époux. Elle posa une main timide sur son épaule et s'aperçut qu'elle tremblait sous ses doigts. Ainsi, la fureur de Narcisse n'était-elle pas apaisée, elle faisait vibrer tout son corps, chacun de ses muscles tressautait. Comme il ne la rejetait pas, Olivia se fit un peu plus téméraire et passa lentement un bras autour de son cou, puis enveloppa son torse de l'autre de façon à pouvoir plaquer sa paume sur la poitrine du jeune homme. Narcisse se raidit aussitôt, sans toutefois tenter de se dégager.

NARCISSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant