PARTIE IX

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- Tu sais, je vais te dire un truc gamine.

Je battis des cils, le coeur retourné.

- Ma mère quand elle n'allait pas bien, elle regardait une vidéo youtube.

Ressentant un trop plein d'émotions me submergeant de plein fouet, je n'arrivais guère à le supplier de continuer. De parler pour moi. Pour nous. Lorsque cette douleur remontait en moi, cela semblait si difficile d'émettre un son, voire par moments de respirer convenablement.

- J'ai jamais compris pourquoi ça la faisait autant rire mais... après sa mort, je l'ai regardé une fois, puis une seconde fois et ce jusqu'à me la passer en boucle chaque soir, pour réussir à fermer les yeux.

Je me mis à respirer bien trop vite lorsqu'il s'entreprit à dessiner des arabesques imaginaires sur ma nuque. Son souffle chaud fouettait avec douceur mes cheveux, me transcendant bien loin de cet endroit miteux dans lequel nous nous trouvions.

- La vidéo est basée sur une métaphore stupide et comique. En gros, ça met en scène quatre chiens qui se posent la même question idiote "as-tu des jambes ?". Au début, c'est vachement drôle puisqu'ils se posent à tour de rôle la même question de façon puérile. Mais on remarque rapidement qu'il y en a un qui est mis à l'écart, ils lui posent donc la fameuse question à laquelle il y répond "non, je suis triste".

Je m'éloignais de lui, ne comprenant guère où il voulait en venir.

- Tu...

- Laisse-moi terminer, gamine. Tu veux bien ?

Je fis ce qu'il me dit, les lèvres pincées, hochant la tête frénétiquement.
Sentant sa nervosité s'accroître, je mis la paume de ma main sur sa joue, essayant d'atténuer cette chose qui paraissait le gagner dès qu'il se mettait à parler de lui et de ses propres souvenirs lancinants. Sa sincérité m'époustoufla sur le coup. 

- Donc ouais je disais... le chien affirme qu'il est triste. Puis, là la vidéo commence à prendre une drôle de tournure. L'un des chiens lui dit qu'il a tout à fait le droit d'être triste, qu'en réalité on nous enseigne depuis petit que la tristesse est une mauvaise émotion et que nous avons donc tous peur d'être triste. Qu'en gros, nous façonnons notre vie de façon à ne jamais l'être : sauf que ça a pour conséquence de nous faire sentir encore plus mal.

Il inspira bruyamment par le nez, mettant sa main sur la mienne. Sa bague en or sur ma peau nue m'électrisa tout entière.

- Vers la fin de la vidéo, un des chiens finit par un message vachement lumineux. Il dit « donne-toi la permission de t'accorder du temps et de te sentir heureux selon ta propre définition de ce que devrait être le bonheur ». Traduis grossièrement, ça donne ça. Puis ce chien qu'on croyait pourtant tous débile au début conclue par un "tu vas y arriver mec, on croit tous en toi" et tous les autres se mettent à répéter que ouais ils croient aussi en lui.

Je ne me rendis pas immédiatement compte que je m'étais arrêtée de pleurer, absorbée par ce que pouvait me raconter Zoran. Une stupide métaphore avait fini par me calmer, berçant avec sérénité mes maux. Waw. C'était complètement...abracadabrant. Comment faisait-il cela ?

- En gros le "as-tu des jambes" c'est une sorte de métaphore qui signifie "est-ce que tu vas bien" ?

- Je crois, ouais. Je l'ai interprété comme ça, du moins ma mère l'a interprété comme ça.

Le coeur au bord des lèvres, je voulus lui souffler tant de choses, tant d'excuses, tant de...tant. Lui dire que je le comprenais. Que je saisissais la portée de cette douleur qui lui revenait constamment à la figure lorsqu'il osait à peine émettre un éclat de rire.
Mais rien n'y fit, je n'arrivais nullement à formuler quoi que ce soit. C'était la première fois que Zoran se mettait à nu de la sorte. En apparence, ça ne semblait signifier rien du tout, si ce n'est qu'une simple anecdote. Et pourtant, je savais que j'étais privilégiée de l'avoir entendu. En voulant me réconforter, il m'avait raconté une de ses plus grosses souffrances : la disparition de sa mère.

Spiteful Bik (TERMINÉE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant