Chapitre 11

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Je reste un long moment près d'elle, à la contempler, à profiter de ces instants en sa compagnie. Sa dernière phrase ne cesse de me tourner dans la tête. Elle ne se rend pas compte, mais je ne peux que rester avec elle pour toujours. Elle ne se doute pas de ce que je vis depuis qu'on est rentrés de la Tournée. Elle n'imagine pas à quel point j'aimerai rester avec elle pour l'éternité.

Je lui caresse les lèvres du bout des doigts. Combien de fois ai-je souhaité les embrasser ? Je me mets à penser au passé, avant les Hunger Games. Il y a un an alors, je n'avais encore jamais adressé la parole à Katniss Everdeen. Malgré tout, je la connaissais - impossible de ne pas savoir qui elle était - mais je ne pense pas que c'était réciproque. Je me souviens : de la première fois où je l'ai vu - cela remonte à des années -, j'ai commencé à développer cette sorte de fascination à son encontre. Mon père me l'a montrée de loin, à notre premier jour d'école, en m'annonçant « Tu vois cette petite fille, là-bas ? Quand j'étais jeune, j'ai voulu épouser sa mère ».

C'est vrai que la mère de Katniss, avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus se fond difficilement dans le paysage de la Veine. Mais j'ai su par mon père qu'elle venait de la ville et qu'elle était la fille du pharmacien. D'où ses talents pour soigner les gens. Je n'ai pas compris : pourquoi mon père, si brillant, si courageux, a été incapable d'avoir les faveurs de madame Everdeen ? Il m'a expliqué qu'elle a préféré partir avec un mineur. Car quand il chantait, même les oiseaux se taisent pour l'écouter. Comme pour Katniss, j'en suis certain. Sur le coup, je n'ai pas compris pourquoi il avait eu ce besoin de me dire ça. Et puis, je sais maintenant ce qu'il a pu ressentir en voyant partir la femme dont il était amoureux pour épouser un mineur. Je ne peux que le comprendre. Depuis ce jour, je me suis mis à regarder cette petite fille de loin, tous les jours, dans la cour de l'école, sans jamais oser lui parler.

Jusqu'à ce qu'un jour d'hiver - le plus froid que j'aie connu -, j'aperçoive cette même fille devant chez nous. Ma mère l'a chassée de notre poubelle. Sur le coup, je ne pouvais pas y croire : cette jeune de onze ans est-elle si désespérée qu'elle recherche sa nourriture dans les poubelles ? Et je me suis souvenu que, quelques mois avant, un coup de grisou avait enterré vivants la moitié de l'équipe de mineurs. Son père y était. Je l'ai su car je l'ai entendu dire à l'école. J'imagine alors que sa mère a eu beaucoup plus de difficultés qu'avant à ramener de l'argent pour nourrir Katniss et sa petite sœur. Je ne pouvais pas la laisser comme ça.

L'idée m'est venue d'un coup : alors que j'étais en train de faire cuire deux miches de pain, je les ai volontairement laissé tomber dans le four. Ça m'a valu une belle correction de ma mère, ma joue s'en souvient encore. Mais je ne regrette rien, car je savais que ma mère me demanderait de sortir le jeter au cochon. Et une fois dehors, j'ai attendue qu'elle soit partie pour le lancer dans la direction de Katniss. Je me suis dit que, au point de fouiller les poubelles, elle ne cracherait pas sur du pain brulé.

Malgré tout, je ne peux m'empêcher de me sentir honteux de lui avoir jeter ce pain comme je l'aurai jeté au cochon. J'ai senti la honte m'envahir alors que je pensais que j'aurai dû aller la voir et le lui amener en main propre. J'ai toujours regretté ce geste, jusqu'à ce que la vie m'offre l'occasion de me rattraper aux Hunger Games. Qui aurait cru qu'un an plus tard, je me retrouverais ici, avec elle ? « Les amants maudits du District Douze ». Tellement de chemin a été parcouru, depuis.

Le lendemain, je l'ai retrouvée à l'école, elle avait l'air d'aller beaucoup mieux. Dans la cour, nos regards se sont croisés un instant. Puis elle a baissé les yeux, et a aperçu à ses pieds un pissenlit. Elle s'est accroupie pour le cueillir et, je ne sais pas dans quelle mesure, mais j'ai vu l'espoir renaitre dans ses yeux. Par la suite, je n'ai jamais revu Katniss dans ce genre de situations, avant d'apprendre par mon père qu'elle chassait des écureuils hors du district. Je m'imagine des fois, je ne sais comment, que je n'y suis pas pour rien.

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