Isaline

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Cloche Est, an deux mille trois cent un.

« Votre session s'achève dans une minute. À compter de cet instant, il ne vous sera plus possible de modifier votre document. »

Isaline s'empressa de lire une dernière fois son devoir, corrigeant quelques fautes par-ci, par-là jusqu'au moment où l'écran de sa table s'éteignit avant de revenir à la page d'accueil.

« Veuillez télécharger vos devoirs. »

Elle s'apprêtait à suivre l'ordre quand une violente piqûre à la base de son cou la fit sursauter. Elle ne put retenir un cri de douleur qui provoqua l'arrivée du robot surveillant devant sa table. Celui-ci inséra son doigt digital dans l'encoche de l'ordinateur de français de la jeune fille. Aussitôt apparu sur son visage écran les images des dernières minutes. On y voyait Isaline relire son devoir sur sa table numérique, se redresser lorsque l'écran s'éteignit, tendre la main alors qu'au même moment une main tenant une aiguille surgissait dans l'angle gauche venant piquer le cou d'Isaline. Le robot s'éloignât roulant vers la table de la coupable où il glissa son doigt digital dans l'ordinateur d'une jeune fille aux yeux noirs charbonneux, un rictus mauvais sur les lèvres. Un message s'inscrivit aussitôt sur chacune des tables : Ségolène dix points de retenues. Prochaine convocation en salle de retenue mercredi douze juin, six heures.

Le regard de la jeune fille noircit un peu plus si c'était possible. Elle ramassa ses affaires et sortit en claquant la porte.

Les autres élèves attendirent la fin du cours avant de sortir à leur tour. Maël, Leslie et Aline passèrent devant Isaline. Le jeune homme la heurta violemment d'un coup d'épaule marmonnant un vague pardon hypocrite. Elle songea qu'il était pressé de retrouver Ségolène afin de pouvoir s'indigner à grands cris de sa punition injuste.

Frôlant les murs, prenant parfois des détours, Isaline gagna la sortie du collège sans croiser les quatre tyrans. Quand elle arriva devant le portail, elle s'arrêta le temps qu'il lise sa puce et autorise sa sortie. Son emploi du temps était soigneusement renseigné dans son circuit électronique. Si elle avait voulu quitter le collège plus tôt sans raison valable, elle ne l'aurait jamais pu.

Une fois le sésame obtenu, elle gagna le tapis trottoir qui partait en direction de sa maison. Celui-ci avançait lentement et elle marcha pour gagner du temps. Si elle l'avait voulu, elle aurait pu attendre sans faire un pas qu'elle arrive devant chez elle, changeant seulement quand cela s'avérait nécessaire de trottoir roulant. Rapidement, elle arriva en vue du distributeur de boulangerie, pâtisserie. Elle descendit et commanda un croissant. À nouveau, le robot prit le temps de lire sa puce avant de lui asséner un refus catégorique. Elle avait déjà épuisé le nombre de croissants autorisés pour le mois. Cette fonction, qui l'énervait au plus haut point, était une nouveauté du gouvernement pour lutter contre l'obésité. Ces imbéciles devraient plutôt inciter les gens à marcher. À la place l'écran lui proposait une pomme sans goût et lui rappelait de prendre un pain complet pour la famille.

Elle commençait à en avoir sérieusement marre de cette puce qui lui dictait tout. Elle pouvait savoir en permanence sa température corporelle, sa tension, sa généalogie et même tout son pédigrée. Elle surveillait son alimentation, dictait ses heures de sorties, conseillait ses lectures et ses musiques, ses différents déplacements et renseignait quiconque sur son degré de dangerosité. Son degré de dangerosité ! Si elle avait été une grande criminelle, elle n'aurait pu entrer dans un établissement scolaire, s'approcher d'une banque et aurait connu bien d'autres restrictions en fonction de ses fautes. Mais, ce qu'elle abhorrait le plus c'était ce numéro qui la désignait. En dehors de sa famille et des gens qu'elle côtoyait, elle ne s'appelait pas Isaline Salmacis mais sujet numéro 75389436.

Descendance d'IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant