Précautionneusement, avec l'aide de son hôte, l'homme se leva, prenant une position verticale pour la première fois depuis qu'il avait repris conscience ici même dans cette pièce, quelques semaines plus tôt. Les murs semblèrent tournoyer autour de lui, l'obligeant à poser sa respiration. Il tenta même de fermer les yeux mais la sensation s'accentua encore un peu. Finalement, les objets se stabilisèrent et son petit déjeuner réintégra sa place au fond de son estomac. S'appuyant sur l'épaule de son voisin, il fit un pas précautionneux en avant puis un deuxième. Lentement, il sortit de la pièce et alla jusqu'à celle, voisine, où il se laissa choir sur une chaise de cuisine. Épuisé, il ferma les yeux et posa la tête sur ses bras repliés sur la table. Au bout de quelques instants, il put enfin se redresser et contempla les personnes présentes. Ils étaient une bonne douzaine, tous à le regarder anxieusement. À sa gauche, il y avait Rob et sa femme Mary qui l'avait recueilli, puis venait John le sénateur suivi de Ed, Bob, Helen, Bill et sa femme Judith l'avocate puis le gros barbu prénommé Georges et les deux plus jeunes, les cousins Max et Thomas. C'était la première fois que la réunion se déroulait dans la cuisine en sa présence. Jusqu'à maintenant, ils prenaient tous place autour de son lit. Les premiers jours, il tentait bien de comprendre ce qu'ils disaient mais les chocs qu'il avait reçus l'avait tellement amoché que son cerveau semblait englué, sans parler de son amnésie qui lui compliquait encore la tâche.
- Bien, commençons si vous le voulez bien, les interpela Rob. Judith as-tu du nouveau en ce qui concerne notre ami ?
- Toujours rien de plus, rétorqua la femme aux cheveux blonds striés de mèches grises qui lui faisait face.
Elle était vêtue d'un tailleur pantalon à la coupe parfaite et ses traits aristocratiques ne laissaient pas de doute sur son statut social. Elle ne semblait guère à sa place dans cette assemblée pourtant aucun n'aurait remis en cause sa présence.
- Ces abrutis sont tellement imbus de leur personne qu'ils n'ont même pas remarqué que leur victime avait disparu, reprit-elle d'une voix narquoise.
- Ce qui est parfait pour nous, l'interrompit Helen. D'ailleurs, j'ai réussi à fabriquer encore un litre de filtre d'Anamnésia. Cette fois devrait suffire.
Helen était une femme d'une quarantaine d'années qui travaillait comme infirmière dans un hôpital de Fluxes entourée uniquement de Fluxes. Elle était amenée à préparer les potions pour les malades et avait donc accès à la réserve des ingrédients nécessaires pour cela. Pourtant, les sorties des composants en étaient tellement réglementées car potentiellement dangereux qu'il relevait de l'exploit d'en détourner une partie.
- À condition qu'il n'ait pas subi de sortilège de vide-mémoire, asséna Max. Tu sais qu'ils en sont friands chez les hauts placés. Ils n'aiment pas laisser de traces.
- Alors nous pourrons tester le dernier contre-sort que je viens de mettre au point. Mais attention, je dois être certaine qu'un vide-mémoire a bien été lancé.
- Parfait, s'interposa Rob qui semblait être le chef du groupe, nous commençons donc par lui faire prendre le filtre. Quand sera-t-il possible de lui administrer, Helen ?
- Nous devons attendre encore cinq jours pour qu'il soit à pleine maturité. Puis, après injection, nous patienterons encore une semaine avant d'avoir tous les résultats.
- Qu'en pensez-vous mon ami, demanda Rob en se tournant vers l'homme.
- Je ne peux que vous faire confiance et jusqu'ici cela m'a plutôt bien réussi, répondit-il d'une voix légèrement enrouée un sourire triste sur les lèvres.
- Bien, passons au sujet suivant alors, reprit Rob, John qu'as-tu à nous apprendre ?
Ledit John se redressa, prit le temps de lisser sa moustache grise, inspira profondément et se racla la gorge tout en bombant le torse. Il répétait toujours ces mêmes gestes avant chacun des discours qu'il prononçait à la chambre sénatoriale. Sénateur de l'Ohio, il était connu pour ses prises de positions très critiques envers la politique actuelle où il était perçu par ses collègues comme un doux rêveur utopique. Seul représentant des Externes, nombreux dans cet état, il ne déclenchait, au mieux, que des rires mais le plus souvent de l'agacement. Toujours est-il, qu'il n'était pris au sérieux par personne dans le milieu politique. Même le petit personnel ne tenait aucun compte de ses remarques. En fait, malgré sa stature imposante, il était quasiment invisible aux yeux de tous et c'est exactement ce qu'il désirait. Il avait déjà entendu beaucoup plus qu'il n'aurait dû et ceci sans la moindre difficulté. Il lui suffisait de se promener un peu partout dans les locaux de la chambre sénatoriale. C'est ainsi qu'il avait découvert une information qu'il jugeait importante.
- Lundi, après la séance de seize heures, je me suis rendu, comme à mon habitude, au bar pour m'y désaltérer. Eux et leur manie de vivre avec la clim ! Il fait toujours une chaleur artificielle qui t'assèche comme une éponge dans leur bouiboui. Mais bon ce n'est pas ce qui nous intéresse. J'étais installé à une table afin de pouvoir terminer quelques dossiers urgents tout en mangeant un morceau. À côté se trouvait l'un des gardes personnels du président. Il était visiblement agacé et ne prenait guère la peine de baisser la voix pour expliquer la nouvelle lubie de son patron. Selon lui, ce dernier a décidé de se rendre au Mali la semaine prochaine afin de préparer en personne une partie de son voyage prévu au mois de juin.
Autour de lui, tout le monde sursauta de surprise. Ils n'avaient jamais entendu une aberration pareille. Depuis quand un président se déplaçait en personne pour préparer un voyage qui devait avoir lieu six mois plus tard ? Il avait tout une cohorte de spécialistes outrageusement payée pour ça !
- Rien ne prouve, malgré ça, que ce voyage concerne le nouvel ordre, s'interposa Bill.
- Non, bien-sûr mais laisse-moi terminer, je ne crois pas me tromper, reprit John. Plus étrange, il part seul, sans aucune délégation et avec un service d'ordre minimum. Officiellement, il annoncera prendre quelques jours de congés tout en laissant femme et enfants à la maison blanche.
- Je ne vois toujours pas ce qui doit me convaincre dans ce que tu nous dis, le coupa à nouveau Bill et ricanant, ce n'est pas la première fois qu'il ment au peuple.
- C'est maintenant que j'y viens. Il semblerait que le président du Japon, celui de Chine et celui de France aient décidés eux aussi de prendre quelques jours au Mali répondant de la même façon à une invitation pour vacances de leur homologue sur place. Ils seront accompagnés par les Présidents Directeurs Généraux de Assynergie, de Monsant, de Ctrlenvironnement et de la Black Fondation..., il laissa un instant de silence avant d'ajouter, sauf que la feuille de route pour l'Intereuro présidentiel indique Buenos Aire en Amérique du Sud.
Un silence de plomb s'abattit sur l'assemblée stupéfaite. Tous les plus grands de ce monde seraient au même endroit en même temps. Ceux qui contrôlaient chaque détail de la vie de chaque citoyen allaient se réunir de façon officieuse dans un endroit tout aussi suspect.
Seul le convalescent bougeait, ne comprenant pas bien l'importance que revêtait les dires de John. En revanche, l'allusion au patron de la Black Fondation et de l'Amérique du Sud le mit dans tous ses états. Il n'était pas bien sûr de comprendre pourquoi mais, un voyant rouge s'était allumé dans son esprit en l'entendant. Il chercha pendant un moment à mettre un visage sur ce nom, une raison sur ce lieu mais, comme toujours lorsqu'il s'agissait de son ancienne vie, il n'y parvint pas.
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Descendance d'Icare
Ficción GeneralAn 2301, pour se protéger des catastrophes naturelles, le monde vit sous cloches. Érigées par les plus puissants qui s'enorgueillissent d'avoir contré le réchauffement climatiques en s'enrichissant un peu plus, elles vieillissent dans l'indifférence...