Intereuro

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À bord du wagaloc, sorte de wagon monté sur rail, entrainé par un moteur électrique que les habitants pouvaient louer pour leurs déplacements, il leur fallut trois heures pour arriver à destination. Son père avait réservé le leur dès qu'ils avaient eu connaissance du jour de départ, louant par là même l'itinéraire qui les mènerait à la gare.

Isaline ne trouva pas le temps long, bien au contraire. Les écouteurs rivés à ses oreilles, elle écoutait ses musiques préférées tout en somnolant. Sans compter que l'angoisse la reprenait régulièrement. Elle s'inquiétait du voyage, elle s'inquiétait de ses futurs partenaires, de ses profs, de l'établissement, de l'Ecosse et par-dessus tout d'être loin des siens... Bref, elle s'inquiétait de tout. Par moment, l'angoisse était si forte qu'elle peinait à respirer. Elle devait alors ouvrir la fenêtre pour faire entrer un peu d'air et s'efforçait de se calmer en se concentrant sur la chanson qui lui vrillait les tympans ou sur le paysage qui défilait. Ils passèrent devant un pont en réfection, le nom de la boite Assynergie, inscrit sur chacun des piliers attira son regard. Pourquoi faire de la pub alors que c'était la seule boite de construction de travaux publics ? Quelle hypocrisie, il ne s'agissait là que d'une forme de vantardise.

Quand elle sentit son père ralentir et le vit s'engager dans l'immense parking de l'Intragare de Reims, le cœur d'Isaline s'emballa tant qu'elle craignit qu'il n'éclate. Il était trop tard pour reculer.

Tout ici n'était que démesure. Il y avait des wagalocs à perte de vue. Des entrées pour la gare par dizaines, environ une pour chaque allée de parking et devant chacun des emplacements, une borne de rechargement. En même temps, rien d'étonnant à ça, Reims était la seule ville qui possédait une gare Intereuro dans la cloche Nord-Est. Toute personne habitant la bulle et désirant en sortir devait passer par ici, autrement dit environ vingt millions d'habitants susceptibles de l'emprunter.

Son père tourna un moment pour dénicher une place dans le quartier réservé au départ vers l'Angleterre. Il finit par en trouver une en plein soleil. Il approcha le nez du véhicule le plus près de la borne et coupa le moteur. Si les lumières du tableau de bord ne s'étaient pas éteintes, Isaline n'aurait même pas deviné qu'il ne tournait plus. Il faut dire que la dernière génération de moteur était extrêmement silencieuse. Heureusement d'ailleurs parce qu'avec la cloche, les sons se répercutaient plus facilement.

La jeune fille descendit et s'étira. Elle avait les jambes légèrement tremblantes dû à l'immobilisme forcé du trajet autant qu'à l'appréhension. Sa mère ouvrit le coffre et entreprit de décharger la grosse valise de sa fille pendant que son père branchait le wagaloc à la borne de Ctrlenvironnement, l'entreprise qui fournissait toute la France en énergie verte. Un compteur s'enclencha sur la borne égrainant les mêmes données sur celui du véhicule. Les ingénieurs avaient trouvé le moyen de n'utiliser qu'un seul et même appareil pour le rechargement des batteries et le paiement des places de parking. Ses parents payeraient en sortant le temps et l'électricité utilisés durant leur absence. Un coup d'œil à sa montre lui indiqua qu'il leur restait encore une vingtaine de minutes avant qu'elle ne monte à bord de l'Intereuro. Néanmoins, son père lui enjoignit de se dépêcher si elle ne voulait pas louper le départ.

- Tu sais la gare d'embarquement est située loin d'ici. Il nous faudra descendre sur plusieurs dizaines de mètres et parcourir de nombreux couloirs.

Sa remarque terminée, il empoigna la valise et partit en direction de l'entrée la plus proche sans plus attendre. Isaline attrapa son bagage de cabine et lui enjoignit le pas, sa mère suivant derrière eux, son petit sac à main au cuir élimé serré contre son flanc.

Ils passèrent sous le portique annonçant : Angleterre, Ecosse, Irlande, Pays de Galle. Puis ils s'engagèrent dans un dédale de couloirs suivant toujours ces mêmes panneaux. Isaline avait appris au collège que chacun de ces pays appartenaient, il y a longtemps, au Royaume-Uni. Au fil du temps, ils choisirent de se séparer tout d'abord pour des raisons politiques puis par nécessité. Les bulles éloignaient tout le monde de tout, les amis d'hier cessant soudain d'exister.

Descendance d'IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant