Isaline, qui ne pensait pas passer Noël en famille, décida de profiter pleinement de celle-ci. Ses parents avaient eu la peur de leur vie en apprenant le terrible tremblement de terre qui avait secoué le nord de l'Ecosse et pire encore en constatant qu'Isaline ne répondait pas à leurs appels. Ils avaient essayé de se raisonner en pensant que les réseaux étaient coupés, que peut-être était-elle vivante mais incapable de leur répondre mais, au fond d'eux ils redoutaient d'apprendre sa mort, ensevelie sous les décombres de son internat. Quand enfin, elle les joignit, c'est à peine s'ils trouvèrent à redire sur son moyen de transport et le fait qu'ils soient obligés d'aller la chercher chez les Externes. Au moins était-elle là mais, à coup sûr, si elle était rentrée de cette façon en tout autre occasion, le collège aurait entendu parler d'eux ! C'était tout de même la première fois de leur vie qu'ils approchaient d'aussi près la vie externe et même s'ils n'en avaient qu'entrouvert la porte, leur cœur s'était affolé pensant découvrir un monde de désolation. Pourtant, ils furent surpris de voir que la neige était aussi blanche mais, peut-être leur jugement était-il tronqué par la joie de revoir leur fille.
Isaline passa une grande partie de son temps en famille à rattraper le temps écoulé loin d'eux. Quand enfin elle sortait, c'était pour se gaver de sucrerie, de chocolat chaud et de pain d'épices en compagnie de Leslie et de Maël. Très vite, ce dernier vendit la vérité sur leur collège. En effet, Leslie avait trouvé vraiment étonnant qu'il suive Isaline après leur rupture. Un moment, elle avait même imaginé qu'il était chargé par Ségolène de continuer leur harcèlement. Puis, elle comprit que la raison était ailleurs quand il avait parlé d'un cours de sport où les résultats étaient bien meilleurs que ceux de n'importe quel sportif professionnel.
- Vous voulez me faire croire que vous avez des pouvoirs extraordinaires, se moqua-t-elle gentiment.
- Oui, répondit aussitôt Maël.
- Non, répondit en même temps Isaline sous le regard goguenard de leur amie, tous les hommes au commencement du monde avaient du Fluide. Petit à petit, ils ont cessé de l'utiliser, lui préférant les machines modernes demandant moins d'effort ce qui explique que peu en ont encore aujourd'hui. Nous sommes de ceux-ci.
- Alors tu veux dire, que moi aussi je pourrais en avoir ? demanda Leslie sceptique.
Durant les minutes qui suivirent, les deux jeunes Fluxes expliquèrent à leur amie pourquoi elle n'en avait pas. Ils durent aussi lui prouver qu'ils ne mentaient pas en lui montrant deux ou trois petites choses sans oublier de lui faire promettre de ne jamais en parler. Ce dont elle convint facilement car, après tout, qui irait la croire si elle venait à mentionner ce qu'elle avait vu. Elle ne voulait pas passer pour une folle.
Isaline, comme beaucoup d'habitants de la cloche Est fêta Noël avec toute sa famille le vingt-cinq décembre. Elle avait entendu dire qu'avant, les gens faisaient la fête le 24 au soir. Mais depuis longtemps maintenant, ce qui était devenu une aubaine commerciale, avait retrouvé ses origines premières à savoir la religion. Peu d'habitants avaient encore les moyens de faire table grasse ce jour-là. En revanche, beaucoup avait besoin de croire en une divinité pour espérer des jours meilleurs. La vie ne reluisait plus des facilités d'hier. Elle ne leur apportait que le nécessaire pour vivre. Les gouvernements pouvaient toujours se targuer du zéro chômeur et de la disparition des castes les plus pauvres, il y avait tout de même deux familles sociales, les multimilliardaires et les autres. Autrement dit, zéro un pourcent de la population mondiale se partageait quatre-vingt-dix-neuf pourcents des richesses. Isaline songeait souvent aux paradoxes de son époque. La vie était extrêmement chère. Peu étaient propriétaires de leur habitation et tous devaient se débrouiller pour jouir de quelques loisirs. Pourtant, il ne serait venu à l'esprit d'aucun de se passer d'un unicom portable ultra performant, d'un écran et d'un transmetteur d'émissions dernier cri permettant de suivre continuellement les informations ou encore les spots plus abêtissants les uns que les autres. Alors que tout s'échangeait, se louait même les choses les plus utiles, ceux-ci étaient incontournables et bien entendu rapportaient beaucoup d'argent aux directeurs des entreprises qui les fabriquaient et qui y diffusaient leur propre vérité. Aussi le plus souvent, à Noël, les parents offraient à leurs enfants un cadeau qu'ils avaient fabriqué eux-mêmes ou encore leur faisaient don d'un objet qu'ils n'utilisaient plus. Alors que, petite, elle avait rêvé des Noëls de ses ancêtres, le sapin perdu derrière une montagne de cadeaux, Isaline appréciait aujourd'hui ces présents qui revêtaient une véritable valeur d'amour. Elle savait combien ses parents désiraient la combler par ce geste qui, chaque année, augmentait la valeur de l'objet reçu. Elle savait le temps passé à le chercher, l'imaginer, le construire. Et dès qu'elle l'avait pu, elle avait elle-même conçu les colliers, tableaux puis, vaisselle en terre cuite qu'elle offrait les mains tremblantes. Cette année, elle avait passé la première semaine de ses vacances à terminer le tableau de sa famille. Elle était vraiment fière de son résultat et ne doutait pas qu'il serait accroché dans leur salon. Les traits de son frère étaient criant de vérité. Quant à sa mère, on ressentait toute la douceur de son regard à travers les pupilles tracées au fusain, tout comme la chaleur qui émanait du visage de son père ou la beauté de sa sœur.
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Descendance d'Icare
General FictionAn 2301, pour se protéger des catastrophes naturelles, le monde vit sous cloches. Érigées par les plus puissants qui s'enorgueillissent d'avoir contré le réchauffement climatiques en s'enrichissant un peu plus, elles vieillissent dans l'indifférence...