Sphère 3.2

4 1 0
                                    

Raphaël Baind tenait la lettre de sa fille d'une main tremblante. Il attendait ce moment depuis l'instant où il avait retrouvé la mémoire. Les larmes voilaient son regard tandis que son esprit ne parvenait pas à décider quelle émotion prenait le dessus. Il était tellement heureux d'avoir un contact avec elle. Il était rassuré d'avoir enfin de ses nouvelles mais aussi, il était fier de voir qu'elle avait retenu leur code pour communiquer. Pourtant, il ne tenait pour le moment que le modèle de crochet qu'il venait de sortir de l'enveloppe. Dans quelques minutes il découvrirait le vrai message.

Comme sa fille quelques jours plus tôt, il prépara la mixture qu'il étala sur la feuille, prit un sèche-cheveux et sous l'œil de plus en plus intrigué de ses hôtes entreprit de la sécher. Quelques instants plus tard, ils se pressaient tous par-dessus son épaule pour lire avec lui les quelques lignes que Lucie avait écrites. Il ne sentit pas les larmes rouler sur ses joues alors qu'il apprenait la maladie qu'elle avait contractée à l'annonce de sa disparition. Il ne vit pas non plus le sourire qui prenait place sur son visage quand elle lui expliqua qu'elle avait su tout de suite qu'il s'agissait de lui en ouvrant l'enveloppe. Mais, la fierté qui gonfla son cœur quand il apprit qu'elle allait se dresser contre la fin du monde, manqua de l'étouffer.

- Bien, intervint Rob le ramenant au présent, il faut lui répondre dès à présent. Nous avons besoin de l'aide de la Pierre de Lune et de celle du Soleil pour prendre la base. La prophétie est formelle. En attendant, répandons la nouvelle un peu partout dans le monde. Nous avons déjà reçu des nouvelles de nos amis en Russie, en Chine et en Inde. Grâce à nous, les rebelles s'organisent. Ils défient les gouvernements, ils nettoient les sols et les rivières et, quand ils le peuvent, ils expulsent les nantis de leur forteresse pour les envoyer démanteler leurs centrales nucléaires. Malheureusement, la nouvelle se répand vite et beaucoup d'entre eux sont déjà partis pour l'Amérique du Sud.

Et de fait, comme l'avait annoncé l'époux de Mary, un peu partout les peuples se soulevaient, se révoltaient dans l'indifférence la plus totale des plus grandes fortunes de ce monde qui avaient déjà fuient. Quelques groupes de Fluxes structurés soignaient la terre, libéraient les provinces de leurs cloches devenues étouffantes sous l'œil ahuri des Classiques qui découvraient le monde Fluidale. Mais, comme chaque révolution, celle-ci contenait aussi son lot de casseurs, de profiteurs. Ceux-ci guettaient le moment propice, saisissaient les instants de confusion pour piller, violer et même tuer un voisin, un collègue, un inconnu qu'ils avaient toujours jalousé.

Alors qu'elles espéraient voir rapidement des progrès, les populations déchantèrent assez vite. Non seulement, sans gouvernement, sans plus aucune armée ou police pour faire respecter les lois tyranniques qui jusque-là avaient contraint les gens à rester dans un même et unique chemin, ceux-ci perdaient leurs repères et pour beaucoup leur raison. Mais aussi, la planète, qui venait déjà de subir l'acte de barbarie infligé par Sven, supportait encore plus mal ce retour en arrière trop brutal. Déjà, nombreux étaient ceux qui regrettaient l'époque où ils n'avaient pas le choix que de respirer l'air vicié des bulles et d'ingurgiter les aliments insipides que leur vendaient à prix d'or les supermarchés Monsant. Soudain, ils trouvaient les tomates trop fortes, les cerises trop sucrées et un goût inhabituel aux fraises. Mais surtout, ces fruits et légumes mettaient maintenant trop de temps à pousser. Les usines ne tournaient plus, ce qui provoquait une pénurie des produits les plus indispensables. Un peu partout, des guerres civiles éclataient, compliquant un peu plus la tâche des rebelles qui subissaient des attaques fréquentes. Il fallait bien un bouc émissaire. Sans parler des innombrables catastrophes climatiques qui ne cessaient de secouer la terre depuis qu'elle avait perdu un morceau de son noyau. Les volcans grondaient et vomissaient des flots de lave, les plaques sismiques bougeaient autant qu'un malade atteint de Parkinson et le ciel déversaient toute sa colère tantôt glaciale tantôt brûlante. Même tout le Fluide réunit peinerait à mettre les habitants à l'abri de cette révolution terrestre.

C'est ainsi que Raphaël Baind qui avait déjà attrapé une feuille et un stylo pour répondre à Lucie dut y renoncer. Devant son nez, le miroir qui ne quittait jamais la table de la cuisine s'alluma soudain. La tête de Bill apparut en face de lui. Les yeux exorbités, la chevelure folle, il ne prit même pas la peine de saluer le français qui avait lâché son crayon de surprise.

- Vous devez fuir, maintenant, ils savent que vous en êtes et ils viennent vous chercher. Ils seront là dans moins d'un quart d'heure. Rendez-vous où vous savez.

Le miroir redevint aussi sombre que l'instant d'avant. Raphaël, Rob et Mary se regardèrent interloqués une demi-seconde avant de se lever précipitamment. Le père de Lucie attrapa le miroir qui ne devait surtout pas rester là ainsi que la lettre de sa fille. Il courut ensuite jusqu'à la pièce voisine, sa chambre et attrapa son sac qui restait bouclé depuis plusieurs jours déjà dans l'éventualité d'un départ précipité. Il entendait dans les autres salles, ses hôtes faire de même. Moins d'une minute plus tard, ils étaient tous trois rassemblés dans le couloir. En contrebas, ils entendaient la rumeur de la rue enfler. De toutes évidences, ils étaient nombreux à vouloir casser du rebelle. La peur au ventre, ils durent renoncer à partir par la cour arrière de cet immeuble de trois étages. Tant pis, ils devraient emprunter la solution de secours même s'ils n'en avaient aucune envie. Aussitôt, Rob attrapa la perche et ouvrit la trappe qui menait au grenier. Celle-ci ouverte, il replaça la perche qui semblait ne jamais avoir quitté son emplacement. L'un derrière l'autre, Mary en premier, ils empruntèrent l'escalier en bois branlant et déboulèrent dans un endroit sombre. Rob, comme il l'avait fait avec la perche replia l'escalier et lança un Isolar. Seulement, ils s'autorisèrent à courir à travers la pièce. Chacun savait exactement ce qu'il avait à faire. Rob roula le gros cylindre gris sur lequel on pouvait lire Sphère3.2 jusqu'au milieu du grenier où une croix avait été tracée à la craie. Mary attrapa les trois élastiques dont elle fixa l'une des extrémités sur le cylindre avant de tendre l'autre à Raphaël qui les attacha à trois machines qui émirent aussitôt un doux ronron, assez étrange il faut le dire pendant ces minutes d'inquiétudes extrêmes. Aussitôt, les élastiques s'étirèrent lentement s'emplissant d'une tension de plus en plus grande.

En bas, des cris virulents emplissaient la rue, montaient dans la cage d'escalier de l'immeuble avant de raisonner encore plus fortement contre la porte fermée du dernier appartement. Les sécurités misent en place grâce au Fluide leur donneraient un peu de répit mais, il ne fallait pas trainer trop longtemps ici. Les trois amis grimpèrent dans le cylindre et prirent chacun place sur un des sièges où ils s'harnachèrent. Rob alluma la console devant lui et commença à tapoter sur des boutons. Au-dessus d'eux, un cercle, à l'image de l'objectif d'un appareil photo, s'ouvrit dans le toit, découvrant un ciel limpide. Un compte à rebours raisonna dans l'habitacle égrainant le temps qu'il restait avant l'envol, dix, neuf, huit... les visages étaient tendus, les mains moites serraient soit le volant soit les harnais et, l'air se remplissait d'une tension palpable aux relents de transpirations. Quand la trappe de l'escalier s'ouvrit, il ne restait que deux secondes et ils eurent juste le temps d'apercevoir un homme armé d'une batte de baseball avant que n'éclate le zéro. Les élastiques tendus à l'extrême lâchèrent et le cylindre fut propulser à travers l'ouverture du toit à une vitesse vertigineuse. Rob, les mains toujours crispées sur le volant, regardait, concentré, par la vitre la courbe qu'effectuait leur engin. Quand la vitesse commença à décroitre, il pianota quelques boutons qui eurent pour effet d'ouvrir des trappes sur les flancs extérieurs de la machine. Un petit moteur se mit en route et ils poursuivirent leur route à une allure plus tranquille. Le plus dangereux était passé mais, ils devaient encore atterrir. Ce qui ne serait pas chose aisée dans la forêt où se trouvait leur première planque. C'était la première fois qu'ils testaient la Sphère et, ce baptême, ils l'espéraient tous en secret, devait réussir.  

Descendance d'IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant