Les vacances d'été passèrent à une vitesse folle et plus la date de départ approchait, moins Isaline se sentait capable de quitter les siens. Ces dernières semaines, elle s'était beaucoup rapprochée de sa sœur que les querelles d'adolescentes avaient éloignée. Et son petit frère ne la quittait pratiquement plus d'une semelle. Chaque jour et même plusieurs fois par jour, elle appelait Madame Chauvin pour des questions de toutes sortes.
Au moment de faire sa valise, elle entassa des affaires pêle-mêle en quantité astronomique, ne sachant pas si elle reviendrait avant juin. En effet, les trajets hors des bulles, l'autre nom pour désigner les cloches, étaient difficiles à prévoir, très onéreux et non pas sans danger. Les convois de trains rouillaient en gare depuis des décennies, trop souvent stoppés par des éboulements de terrain, des chutes de neige ou d'arbres ou encore par des autochtones en colère contre tout ce qui représentait les bulles. Depuis que le ciel se déchainait de façon imprévisible, les avions ne décollaient plus des aéroports laissés à l'abandon, les carcasses des grands oiseaux de fer se décomposant sous les éléments. À présent, le moyen de transport le plus sûr empruntait des galeries souterraines à l'instar des anciens métros. En y pensant, Isaline imaginait la terre sous la forme d'une grosse pomme dans laquelle des vers creuseraient leurs galeries. Avec inquiétude, elle songeait qu'un jour, la pomme trop creusée, pourrie, finirait par s'effondrer sur elle-même.
Quand elle ne redoutait pas le trajet, elle se souciait de la langue. Comment allait-elle réussir à comprendre les cours si ceux-ci étaient dispensés en Anglais. Comment allait-elle se faire des amis s'ils parlaient anglais, allemand, roumain ou toutes autres langues parlées dans l'Europe. Madame Chauvin lui avait seulement affirmé qu'elle n'avait pas de souci à se faire pour ça, que tout irait bien. Elle aurait tellement voulu en parler avec une amie, mais la seule qu'elle avait n'était même pas au courant de son étrangeté. Isaline sortait régulièrement avec Leslie mais, jamais elle n'avait pu lui faire part de ses inquiétudes. Après tout, la directrice lui avait bien effacé la mémoire. Alors, elle ne se voyait pas lui raconter la scène à laquelle elles étaient censées avoir participé toutes les deux. À coup sûr, son amie l'aurait prise pour une folle. Surtout qu'elle sortait toujours avec Maël jusqu'il y a quelques jours à peine. Même si celui-ci ne semblait plus fréquenter Ségolène, il était hors de question qu'Isaline prenne le risque de passer pour une cinglée en racontant des histoires étranges. D'ailleurs, il avait bien essayé de la joindre, pour s'excuser supposait-elle, mais elle n'était pas prête à ça et n'avait jamais décroché. Alors, elle se contentait de dire à Leslie qu'elle avait un peu peur de partir si loin, seule dans un pays inconnu, entourée de personnes inconnues elles aussi.
Une semaine avant le grand départ, elle reçut sa convocation pour la gare de Reims. D'après le billet, elle devait se trouver dans la gare le trois-septembre à dix heures. De là, elle prendrait l'Intereuro. Isaline ne l'avait jamais emprunté mais elle avait déjà vu des images de ces véhicules gris. Ces sortes de capsules ressemblant à des gélules médicamenteuses, ne possédaient aucune fenêtre. Il faut dire qu'elles seraient totalement inutiles puisqu'il faisait entièrement noir dans les conduits situés à plusieurs dizaines de mètres sous la surface de la terre. Elle espérait ne pas souffrir de claustrophobie et priait pour que les structures soient suffisamment solides pour ne pas s'écrouler à leur passage, les laissant enterrés vivants. Elle se sentait excitée et à la fois inquiète à l'idée du voyage. Mais elle avait aussi l'envie de vérifier les murmures qui disaient qu'il y aurait des télés et des jeux vidéo. Elle ressentait cette attirance typique pour la nouveauté mais aussi l'angoisse de l'expérience inhabituelle pour un habitant lambda d'une cloche.
Quand elle était petite, son père lui avait souvent raconté, avec de vieux livres à l'appui, que dans l'ancien temps, les voyages entre pays étaient monnaie courante. Les gens prenaient l'avion comme ils prenaient leur voiture. Certains partaient même en réunion le matin par un vol et rentraient chez eux le soir comme s'il s'agissait d'une banalité. En général, elle avait droit ensuite au laïus de son père décrétant que par ces excès, leurs ancêtres avaient détruit en grande partie la terre, qu'ils l'avaient souillée de leurs déchets et polluée de leurs rejets de CO2. Il terminait en général par lui dire que c'était de leur faute si aujourd'hui, ils demeuraient cloitrés sous leurs bulles. D'après lui, nombre d'entre eux avaient perdu de leur famille à la construction de ces oasis artificielles. En effet, une fois celles-ci érigées, les échanges entre elles devinrent extrêmement rare car trop coûteux et trop risqués. Aussi, comme son arrière-grand-père, expliquait-il à Isaline, beaucoup ne revirent jamais leur frère ou leur sœur demeurant dans une bulle lointaine. Pourtant, chaque année, pour amener du sang neuf et éviter les naissances consanguines, une centaine de volontaires, célibataires et en âge de procréer partaient vivre ailleurs avec pour mission de se marier et de fonder une famille. Sans oublier non plus les rencontres qui se faisaient sur le net et qui, parfois, aboutissaient lorsque l'un des deux membres osait quitter sa vie.

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Descendance d'Icare
General FictionAn 2301, pour se protéger des catastrophes naturelles, le monde vit sous cloches. Érigées par les plus puissants qui s'enorgueillissent d'avoir contré le réchauffement climatiques en s'enrichissant un peu plus, elles vieillissent dans l'indifférence...