Avenir

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Isaline souleva difficilement une paupière et ressentit aussitôt une grande douleur sourdre dans la totalité de son crâne. Elle regarda autour d'elle et reconnu le décor de sa chambre d'internat. Les idées encore confuses, elle se sentait néanmoins désespérée comme si elle venait d'apprendre une terrible nouvelle. Puis, elle se souvient. Elle se rappela que ses jours sur terre étaient comptés, elle se rappela que la planète était en train de s'effondrer, que la nature cherchait à se révolter et que des imbéciles ne faisaient rien pour les empêcher de mourir dans la fournaise des volcans ou encore dans les crevasses que les passages des Intereuro creusaient. Des gens disparaissaient, d'autres mouraient sous les cloches, ou en dehors dans la folie des typhons et, les derniers tentaient tant bien que mal de survivre alors que leurs dirigeants faisaient des indigestions de nourriture, de fric et de bien-être occultant la réalité.

Un son étranglé, mélange de sanglot et de cri, s'échappa de la gorge d'Isaline. Aussitôt, Evan apparut dans son champ de vision, cherchant à l'apaiser en la serrant contre lui tout en lui massant le dos et en lui parlant d'une voix douce. Isaline lui répondait par des sanglots qui secouaient son corps tout entier, mouillant la laine du pull qu'il portait. Alors qu'elle ne s'était jamais confiée à lui, elle ne pouvait s'empêcher de débiter toutes les interrogations qui la submergeaient. Patiemment, point après point, Evan cherchait à la rassurer, lui donnant les réponses qu'il avait sans jamais chercher à lui mentir. Oui l'avenir serait sombre, oui ils allaient devoir livrer un combat terrible afin de se réconcilier avec la nature, oui ils pourraient en mourir mais, au moins ils essayeraient et ils seraient ensemble, avec leurs amis et c'est cet amour-là qui compte le plus. Tout en parlant, il avait joint dans les mains d'Isaline la Pierre de Lune et celle de Soleil. Ensembles, elles semblaient réchauffer l'atmosphère, le corps et même le cœur de la jeune femme. Elle pouvait sentir les ondes passer à travers chaque parcelle de peau, dans chacune de ses cellules pour les mettre en mouvement, les porter à ébullition et les ramener à la vie. Elle sentait une forme de bien-être la conquérir et le calme l'envahir, comme si les pierres lui envoyaient un message ; celui de ne pas s'inquiéter maintenant. Elle aurait voulu s'en imprégner, en faire une certitude mais une barrière invisible l'empêchait de s'y abandonner complètement. Cependant, elle se sentait suffisamment mieux pour se trouver d'un coup mal à l'aise dans les bras d'Evan. Elle y était bien, très bien même mais, cette soudaine proximité la gênait. Sans vouloir le blesser, elle laissa doucement retomber ses bras qui le maintenaient fermement contre elle pour essuyer les dernières larmes qui coulaient encore. Puis, profitant qu'elle montrait la tache humide sur son pull, elle se recula pour s'adosser à ses oreillers. Si Evan fut déçu par son recul, il n'en laissa rien paraitre tournant son attention sur les coupures et les anciennes cicatrices qui ornaient son avant-bras.

- Pourquoi t'es-tu infligé ça ?

- C'est assez compliqué à expliquer. En fait, ça remonte à quelques temps déjà. J'ai eu des problèmes avec une fille en particulier et avec Maël. Je n'arrivais pas à résoudre le problème. C'est la seule solution que j'ai trouvée à l'époque pour le gérer, répondit le plus succinctement Isaline espérant qu'il ne l'interrogerait pas plus.

Bien entendu, Evan ne se contenta pas de ces explications beaucoup trop légères. Isaline, malgré tout, rechignait à incriminer Maël qui avait montré sa loyauté en leur sauvant la mise quelques jours plus tôt face au professeur Benoit. Elle le présenta alors comme le brave petit mouton de Ségolène, ce qu'il était évidemment, et minimisa au maximum son rôle dans les insultes et autres gestes qu'elle avait pu subir. Après tout, il avait fait amende honorable depuis et avait mérité qu'elle lui accorde une deuxième chance. Même si, au fond d'elle, il resterait un brave mouton qui suivrait toujours un troupeau. En revanche, elle ne pardonna rien à son ancienne amie, n'hésitant pas à la montrer sous son jour, le plus sombre, et fini par lui expliquer que sa dernière crasse lui avait permis de découvrir son Fluide.

Alors qu'il remerciait Ségolène d'avoir mis Isaline sur sa route, un mouvement derrière eux attira leur attention. Miss Spott apparut dans leur champ de vision. La jeune fille se demandait bien depuis combien de temps elle était là. Elle voulut cacher les deux pierres en les glissant sous les draps mais, la petite vieille fut plus rapide qu'elle. Sans un mouvement, juste en les désignant du menton, elle eut un grand sourire qui éclaira tout son visage, le rajeunissant d'une bonne cinquantaine d'années. Là, sous leur regard, apparut alors le visage de la Fluxe représentée dans le livre d'Isaline. Elle avança de sa démarche sautillante et les serra les deux entre ses bras frêles mais avec une force qui ne cessait de surprendre Isaline. Du regard, elle lui demanda l'autorisation pour prendre les deux pierres et, quand Isaline lui tendit, elle les regarda avec une émotion telle qu'elle en eut les larmes aux yeux. Pourtant un immense sourire rayonnait toujours sur son visage, preuve que cette vue lui apportait le plus beau cadeau qu'elle n'eut jamais attendu. Isaline pouvait comprendre ça d'ailleurs. Elle avait été torturée au point d'en perdre la mémoire et la voix. Tout ce qu'elle savait à présent, d'autres avaient dû lui apprendre et surtout, elle ne serait plus jamais la Fluxe qu'elle avait été. Voir le Soleil et la Lune réunis signifiait un pas vers la vengeance, une chance de victoire du bien sur le mal, ces idéaux qu'elle avait toujours défendus !

Redonnant les pierres à leurs propriétaires, ses mains se mirent à s'agiter dans tous les sens, d'un seul coup, comme si elle en perdait le contrôle. En même temps, elle les regardait avec une telle intensité, faisant des pauses par moment, semblant attendre un geste, une réponse de leur part avant de recommencer de plus belle. S'impatientant, elle prit les mains d'Isaline, y fourra son fusain et les passa sur ses paumes avant de les frotter aux yeux de la jeune fille. Elle fit de même avec Evan et sa Pierre de Lune puis recommença ses gestes. Aussitôt, des mots s'inscrivirent devant leurs yeux, flottant dans les airs entre eux.

« C'est le plus beau jour de ma vie mes enfants. Savoir que vous vous êtes enfin trouvés apportera l'espoir à toute une nation. Avec vous, nous allons enfin pouvoir gagner la guerre contre l'opulence, l'égoïsme et le narcissisme. En revanche c'est maintenant que s'arrête la connaissance et que commence les conjectures. Nous devons nous préparer à affronter le pire. Vous devrez apprendre les techniques de combats les plus poussées. Vous devrez travailler sans relâche, sans faiblesse et avec comme seul objectif la victoire. En revanche, vous ne devrez parler de ceci à personne d'autre. Et surtout pas à Monsieur Zwart, Mademoiselle Salmacis. »

Elle clôtura son discourt par un regard sévère à Isaline qui n'eut d'autres choix que de confirmer qu'elle ne dirait rien à Sven. D'ailleurs, depuis qu'elle avait appris pour son père, elle ne savait si elle devait lui faire confiance ou pas. Une préoccupation de plus qui lui encombrait l'esprit dernièrement. Heureusement, son absence facilitait son silence. 

Descendance d'IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant