Les vacances passèrent à une vitesse folle. Lucie revint parmi eux la veille de la reprise. Encore très choquée, elle parvenait néanmoins à tenir suffisamment debout pour suivre les cours. En revanche, elle fut dispensée de sport et d'étude du Fluide. Elle n'avait pas assez de force pour l'utiliser. Pendant ce temps, elle se rendait en salle de litothérapie où elle se ressourçait grâce aux pierres tout en apprenant leurs propriétés. Bien vite, cette matière devint sa préférée et il n'était pas rare de la voir sortir des améthystes, des citrines ou encore des obsidiennes de sa poche pour les faire rouler amoureusement sous ses doigts.
Isaline était allée la voir plusieurs fois par jour à l'infirmerie et, à partir du moment où Lucie s'était réveillée, elle y était restée des heures. Elle lui racontait ce qu'il se passait dans l'école, jouait avec elle ou simplement lui tenait compagnie. Mais, ce que Lucie avait préféré c'était le moment où Isaline lui avait raconté qu'elle avait embrassé Sven. Elle voulait tout savoir, comment ça faisait d'embrasser un garçon comme lui, est-ce qu'elle avait aimé, et surtout est-ce qu'ils s'étaient à nouveau embrassé ? Alors qu'elle avait éprouvé beaucoup de facilité à tout lui raconter, elle avait eu plus de mal à répondre sur ses sentiments. Oui, elle était amoureuse de lui, elle le trouvait tellement beau et amusant mais, en même temps son manque de tendresse quand il posait ses lèvres sur les siennes la déconcertait. Lucie ne savait pas trop comment lui répondre mais peut-être que certains hommes étaient comme ça, plus directs dans leur façon de faire. En revanche, elle lui conseilla de lui demander d'être un peu plus doux et de lui faire comprendre qu'elle n'était pas pressée d'aller plus loin.
Isaline écouta les conseils de son amie et s'en félicita. Sven fut beaucoup plus patient et attentionné avec elle. Et elle reprit le chemin des cours le cœur léger. Quelques jours après, la neige avait disparu et laissait place à la pluie et l'humidité qui se faufilaient partout. Il faisait un froid de canard et peu d'élèves s'aventuraient dehors sans raison. Seuls Evan et Calliope continuaient à braver les éléments pour leur balade quotidienne. Et parfois, Sven et Isaline se retrouvaient à l'abri d'un buisson, d'un mur. Malheureusement, Miss Spott semblait toujours survenir quand ils pouvaient enfin partager un peu de temps ensemble et les renvoyait dans leur cottage respectif.
Comme elle avait réussi à produire du froid avec ses mains, Isaline songea qu'elle arriverait certainement à créer de la chaleur. Elle se documenta, se focalisa et, en peu de temps, elle y parvint, enveloppant ses amis dans sa bulle bienfaisante. Surtout, elle pouvait à présent maintenir la chaleur tout en occupant son esprit sur une autre activité. Elle n'avait plus besoin de concentrer toutes ses pensées sur cette action. C'était un peu comme si elle ouvrait un tiroir dans son cerveau mais qu'elle continuait à fouiller dans les autres tout en laissant le premier ouvert. En cours aussi les choses s'accéléraient. Ils pouvaient à présent attirer les objets avec leurs mains, les expulser (sans les faire exploser comme Isaline au mois de juin dernier) et les faire tourner sur eux-mêmes, changer de direction... Ils étudiaient aussi leurs propres mouvements afin de gagner en agilité et en rapidité. Ainsi, alors qu'Isaline courrait habituellement cent mètres en vingt-trois secondes, elle approchait à présent du record du monde des Classiques. Durant l'un des cours, Bayan Ozmir leur apprit justement que certains Fluxes ne pouvaient s'empêcher de participer aux courses des Classiques qu'ils remportaient haut la main, battant des records avant d'être finalement disqualifiés pour dopage. Une façon de leur rappeler de rester à leur place.
Vint ensuite, l'utilisation du Fluide en escalade. Instinctivement, Maël et elle échangèrent un regard, se remémorant le dernier cours qu'ils avaient partagé et Isaline se tint loin de lui durant chacune des séances même si elle ne craignait plus de tomber, son agilité et sa force Fluidale l'en empêchant.
Novembre froid et mouillé laissa place à Décembre chaud et ensoleillé. Les parkas furent remplacées par les t-shirts et, les lunettes de soleil refirent leur apparition. Ils eurent même l'occasion d'utiliser une fois la piscine. Ce temps apportait aussi beaucoup de réconfort à Lucie qui reprenait des forces à vue d'œil et retrouvait sa joie de vivre alors même qu'elle restait sans nouvelle de son père. Elle avait avoué à Isaline qu'elle pensait ne plus jamais le revoir. Mais, elle reprit un faible espoir quand son amie lui rapporta la conversation qu'elle avait eue avec Evan avant la soirée d'Halloween. Même si l'idée de retrouver son père amnésique et peut-être même muet n'avait rien de réjouissant, elle était préférable à celle de sa mort. Pour accélérer sa guérison, Signora Diomira, lui concoctait aussi des infusions de plantes et des temps de méditation durant lesquels elle devait s'allonger alors que l'infirmière promenait ses mains au-dessus d'elle lentement, posait des galets de pierres dégageant une douce chaleur la plongeant dans une torpeur apaisante. D'ailleurs, en cours d'herbologie aussi, ils apprenaient les plantes et leurs actions sous l'œil sévère du professeur Bertoli. Selon l'utilisation, ils devaient créer une infusion, un cataplasme ou encore une décoction. Mais, plus les jours avançaient et plus ils découvraient le côté sombres de ces mêmes plantes. Quand la camomille, convenablement préparée en infusion, restait trop longtemps au soleil, elle pouvait par simple éclaboussure brûler au deuxième degré la peau touchée. Et, s'ils n'apprenaient pas encore les potions dangereuses, au moins apprenaient-ils ce qu'il ne fallait pas faire pour que, d'inoffensives, elles en deviennent mortelles.
Au gré des caprices de la météo – ils avaient tout de même été en alerte rouge durant un jour par crainte d'inondations – le temps passait tranquillement. Lors de cette journée, les cours avaient été suspendus afin que les professeurs et les doyens renforcent les moyens de sécurité. Malgré ça, la pluie n'avait cessé une seule seconde, détrempant tout, traçant des sentiers caillouteux dans les pelouses et transformant la piscine naturelle en bain de boue qui resterait probablement inutilisable plusieurs jours.
S'ils ne furent pas particulièrement affectés par cette perturbation, le Fluide les protégeant, ce ne fut pas le cas en revanche pour le reste de l'Ecosse. En effet, la bulle d'Inverness, la deuxième plus importante du pays, subit des dommages importants. Le vent ayant atteint des records de vitesse, certains éléments de la cloche s'étaient décrochés, entrainant la chute de ses éléments sur d'autres endroits de la structure, la brisant sous les impacts. La chute des morceaux blessa de nombreuses personnes sans parler des trombes d'eau propagées par les trous provoquant des inondations dans les terrains n'ayant plus connu ça depuis des décennies.
Isaline commençait à croire qu'Evan disait vrai quand il parlait de l'inutilité des cloches et le revers pervers qu'elles pouvaient avoir. Non seulement, elles n'étaient pas infaillibles et en plus lorsqu'elles manquaient à leurs devoirs les conséquences en étaient multiples. Outre les personnes blessées, les dégâts matériels, et la peur que la tempête avait provoquée chez des personnes qui en avaient perdu l'habitude, il fallait à présent songer à l'argent que cela coûtait. Certains avaient tout perdu, leur maison ayant été ensevelie sous des torrents de boue. Des voitures, écrasées sous des arbres ne ressemblaient plus qu'à des amas de taule. Et la structure de la cloche devait être réparée au plus tôt pour éviter tout nouveau problème.
Les médias ne parlaient plus que de ça. Les victimes s'inquiétaient du retour des assurances, ne sachant pas à quelle hauteur elles seraient indemnisées. Les assurances jouaient la compile du malheur, pleurant que la catastrophe allait entrainer des frais tels qu'elles n'auraient d'autres solutions que d'augmenter les cotisations. À ça, l'entreprise de construction des bulles, Assynergie, s'inquiétait des retombées économiques que cela allait engendrer, parlant déjà de risques de licenciements économiques si l'État ne mettait pas la main à la poche, la confiance envers l'entreprise ayant été mise à mal.
Loin de ces préoccupations d'escrocs, Isaline s'inquiétait malgré tout de l'avenir. Evan avait laissé entendre que les bulles n'étaient plus de toute première jeunesse et que nombre d'entre-elles ne résisteraient pas longtemps à d'autres tempêtes. Partout, les gouverneurs de ces structures demandaient des réparations importantes et coûteuses qui n'étaient que rarement accordées et seulement si le contribuable payait. D'après Evan, les dirigeants et actionnaires d'Assynergie ne se souciaient guère des habitants des cloches, vivant eux-mêmes dans des supers structures. Ils ne voyaient là que l'occasion de gagner un peu plus d'argent en menaçant les habitants de catastrophes plus grave alors que les états en profitaient pour les taxer un peu plus. D'après Sven en revanche, la faute revenait aux gouvernements qui géraient selon les pots de vin qu'ils recevaient des riches habitants. Si l'un d'eux leur graissait la patte alors sa bulle se verrait rénover. Quoiqu'il en soit, pensa Isaline, ce serait toujours les plus petits qui en payeraient les frais.
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Descendance d'Icare
General FictionAn 2301, pour se protéger des catastrophes naturelles, le monde vit sous cloches. Érigées par les plus puissants qui s'enorgueillissent d'avoir contré le réchauffement climatiques en s'enrichissant un peu plus, elles vieillissent dans l'indifférence...