D'un bond provoqué par l'énervement, Isaline se retourna une nouvelle fois dans son lit, cherchant une position agréable, attendant en vain un sommeil qui peinait à venir ; comme toujours depuis le début de cette histoire. Elle imaginait la colère de Ségolène et compagnie lorsqu'ils apprendraient qu'ils étaient soupçonnés de harcèlement. Harcèlement ? Elle-même avait du mal à prononcer le mot. Elle le trouvait tellement fort, bien qu'elle l'ait parfois employé avec Leslie quand celle-ci était persécutée par ses trois amis. Mais, à ce moment-là, elle n'était qu'une spectatrice et non pas la victime. Elle qui se croyait, forte, au-dessus de tout ça, peut-être même intouchable, elle avait à présent bien du mal à y croire. Pourtant, ils avaient tous été formels, que ce soit ses parents - même son père c'est pour dire - la directrice, le CPE, et aussi l'infirmière. Au moins, elle ne pourrait pas reprocher à sa mère de n'avoir pas tout tenté pour l'aider, elle qui avait remué ciel et terre pour protéger sa fille. Et il avait fallu les efforts conjugués d'Isaline et d'Enola pour l'empêcher de porter plainte immédiatement. Quand finalement, le sommeil l'emporta, elle fut assaillie par des cauchemars aux accents de vengeance où elle était tour à tour victime ou coupable.
Au matin, elle était tellement épuisée qu'elle hésita à feindre la maladie. Après tout ce qui s'était passé la veille, elle n'imaginait pas sa mère lui refuser un peu de calme. Mais, alors que ses songes de la nuit lui revenaient, elle renonça à se rendormir et préféra se lever malgré la boule d'angoisse qui s'était logée dans son estomac. Elle redoutait tellement la journée qui s'annonçait. Il ne faisait aucun doute qu'elle serait mouvementée.
Elle était à peine debout qu'elle comprit que tout serait différent maintenant, plus qu'elle ne le croyait au départ... Durant la nuit elle avait acquis le statut de femme, et était à présent réglée. Elle se voyait enfin pénétrer dans la cour des grands. Elle avait tellement attendu ce moment, ce passage dans cette légitimité. Elle était une femme, une vraie.
Soulagée, elle pensa que finalement, la vie n'était peut-être pas si nulle et partit au collège avec plus d'entrain que tous les jours précédents. En classe de troisième, elle était presque certaine d'être une des dernières à ne pas « les » avoir eues. Toutes les filles autour d'elle en parlait de ce ton mystérieux qu'on adopte pour les choses sérieuses. À présent, elle n'était plus une enfant.
Malheureusement, cet état de grâce ne dura pas longtemps. Dès l'instant où elle vit le CPE s'approcher d'elle, elle se mit à trembler sur ce qui allait suivre et redevint la petite fille de la veille.
- Bonjour Isaline, suite à l'appel de ta mère hier, nous pensons qu'il serait bon de vous rencontrer toi, Ségolène, Maël, Aline et Leslie. Après tout, vous êtes amis depuis la maternelle. Comme dans toutes relations, il y a des hauts et des bas. Il serait dommage qu'une amitié comme la vôtre soit gâchée par des non-dits. Aussi nous vous proposons un temps de parole en terrain neutre cet après-midi à la fin des cours dans les locaux du foyer. Bien entendu, vous serez en présence de nous autres, adultes, afin de vous guider au mieux à sortir de cette situation.
« Euh comment lui dire » ? pensa Isaline. Ils n'avaient donc pas compris qu'il n'y avait plus d'amitié possible ! Qu'une telle rencontre ne pourrait que lui être défavorable. Elle imaginait déjà ses anciens amis, la bouche en cœur annoncer qu'ils avaient parfaitement compris, qu'ils regrettaient leurs actes et la considéraient toujours comme une des leurs. Aussitôt la porte refermée derrière eux ils se vengeraient de sa dénonciation.
- Tu es d'accord, Isaline, lui demanda le CPE devant son absence de réponse, tu sais il faut crever l'abcès aussitôt.
- Oui, s'entendit-elle murmurer, mais je doute que ce soit nécessaire.
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Descendance d'Icare
General FictionAn 2301, pour se protéger des catastrophes naturelles, le monde vit sous cloches. Érigées par les plus puissants qui s'enorgueillissent d'avoir contré le réchauffement climatiques en s'enrichissant un peu plus, elles vieillissent dans l'indifférence...