CHAPITRE 18

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CONRAD

11 septembre 2019

Je n'ai même pas eu besoin d'ouvrir un œil pour savoir quel jour nous sommes. Je n'aime pas ce jour et les souvenirs qu'il fait remonter. Je n'ai plus aussi mal qu'avant mais je ne suis jamais bien, ce jour-là. Je n'ai pas envie de quitter mon lit.

Je roule sous la couette pour finir sur le ventre et j'allume mon téléphone. Je traine sur les réseaux sociaux et je ne vois rien. Personne n'en parle. Comme si ce n'était jamais arrivé. Je parcours quelques sites d'informations et là, je le vois. Le sujet auquel je m'attendais qui, chaque année, le rappelle : « 18 ans depuis l'attentat du 11 septembre qui a frappé les États-Unis. »

Dix-huit ans que ma vie a changé brutalement. J'abandonne mon portable sur l'oreiller et m'assoie en tailleur. Mes doigts accrochent la plaque qui pend à mon cou et je soupire. Aussi bizarrement que cela puisse paraitre, je pense plus à mon frère en ce jour qu'à la date de son décès. Mais c'est comme ça pour mes parents aussi. C'est comme si, ce jour-là, il était mort une deuxième fois.

- Tu me manques, Charlie...

Je balaie la couverture d'un geste et m'apprête à me lever quand mon téléphone s'illumine pour signaler un appel. Sean. J'hésite un moment avant de décrocher. Je n'ai pas envie de lui parler.

- Oui ?

- Salut ! On se voit, aujourd'hui ?

- Non. Pas aujourd'hui.

- Oh. Pourquoi ?

- Parce que je n'en ai pas envie.

- Mais...

- Le monde ne tourne pas constamment autour de toi, Sean !

Énervé, je raccroche et laisse tomber l'appareil sur le matelas. Fait chier, je n'avais pas envie de me disputer avec lui, aujourd'hui. À cette date, je veux juste rester enfermé chez moi toute la journée, sans voir personne. Je vais juste appeler ma mère et parler de Charlie pendant des heures. On évoquera les bons souvenirs jusqu'à parler de notre départ puis on se quittera. C'est comme ça chaque année.

J'entends mon téléphone qui vibre sur mon lit mais je l'y abandonne et rejoins ma salle de bain. Une douche, c'est exactement ce qu'il me faut. Sous l'eau chaude, j'évacue à nouveau les pensées qui m'assaillent.

Un, la mort de mon frère. Deux, l'attentat du 11 septembre. Trois, le départ des États-Unis. Quatre, mon agression. Cinq... Pas de cinq, aujourd'hui. Pas de Sean, aujourd'hui. Je veux juste me concentrer sur moi et sur ce dont j'ai besoin. Je veux juste passer cette journée comme j'ai passé les dix-sept autres. C'est entre Charlie et moi.

Alors que je pense que c'est le livreur de pizza et que je m'empresse d'ouvrir la porte, je tombe dans les orbes émeraude de Sean. Ce n'était pas prévu ça. Et son regard m'indique bien qu'il ne partira pas tant que je n'aurais pas expliqué ma réaction. Il ne m'a jamais vu comme ça mais j'ai le droit d'avoir des jours sans, moi aussi !

Je soupire et m'écarte pour le laisser entrer. Je le connais, il ne lâchera pas l'affaire. Je referme la porte derrière lui et rejoins la table basse pour refermer l'album photo que j'étais occupé à consulter. Sean me suit, s'installe sur le canapé et me regarde, impassible.

- Tu veux boire quelque chose ?

Une bière est déjà ouverte sur la table et il me demande la même chose. Une fois la sienne en main, il continue de me détailler sans un mot.

Heureuses CirconstancesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant