SEAN
Dès qu'il a raccroché, j'ai su que quelque chose n'allait pas. Je n'allais pas laisser passer ça, pas alors que je m'efforçais de faire autant attention à lui qu'il le faisait pour moi. Noah m'avait indiqué de le laisser seul pour aujourd'hui mais je ne voulais pas. Nous sommes le 11 septembre, il doit ressasser les évènements qui se sont passés chez lui bien des années plus tôt.
Je me fiche qu'on me recommande de ne pas aller le voir, qu'il me referme la porte au nez. Je refuse de le laisser seul, aujourd'hui. Je veux qu'il sente qu'il n'est pas seul, que je suis là pour lui. Alors je quitte mon domicile en indiquant à Arthur que je ne rentrerai sûrement pas ce soir et me hâte vers celui de Conrad.
Je connais le chemin par cœur, je n'ai même plus besoin d'y réfléchir pour m'y rendre. J'accélère le rythme quand je repense à son ton, au téléphone. Je ne veux pas le laisser seul une minute de plus.
Quand il m'ouvre la porte, je vois qu'il ne veut pas que j'entre. Mais je vois aussi qu'il aperçoit ma détermination et il m'ouvre le passage. J'ai envie de le serrer contre moi mais je ne peux pas. Il n'est pas enclin à une étreinte. Nous verrons ça plus tard.
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Chacun de ses mots me frappent de plein fouet alors que je prends conscience de ce qu'il a pu vivre. Il a tant enduré et pourtant, il se tient toujours droit et fier. Cet homme est la force incarnée. Je ne connais personne qui se serait relevé de ce que lui a subi. Il s'effondre dans mes bras mais c'est moi qui pleure. Parce que ses mots se frayent un chemin dans mon cœur.
Jamais je ne me serai douté qu'il détenait tant de souffrance en lui. Je savais que la plaque qu'il porte était importante parce que je ne l'avais jamais vu sans mais je ne pensais pas quelle portait tant de signification. Son frère est mort pour sauver son pays et pourtant, celui-ci a été encore plus durement touché. Je ne peux même pas imaginé ce qu'ils ont pu ressentir et éprouver en écoutant les informations.
Apprendre la mort de son enfant est déjà une épreuve en soin mais ça ? C'est au-delà de tout entendement. Son père a su les porter à bout de bras pour leur offrir une nouvelle vie et je respecte cet homme sans même l'avoir rencontré. Il a fait passer sa famille en priorité et je l'en remercie. Sans lui, Conrad n'aurait jamais illuminé ma vie.
D'ailleurs, ce dernier s'éloigne de mes bras et attire l'album photo qui reposait sur la table sur ses cuisses. Je le vois prendre une inspiration, semblable à une dose de courage, et l'ouvrir. Sur la première page, je vois un jeune homme porter un bébé dans ses bras. Le décor ressemble à un hôpital et je comprends que c'est une maternité. C'était la première fois que Charlie tenait son petit frère dans ses bras.
Au fur et à mesure des pages et des photos, Conrad me raconte les souvenirs qui s'y rapportent. Ceux dont il se souvient et ceux qu'on lui a conté. Il me parle d'une vie heureuse à Brooklyn, des joies et des peines d'un enfant. Il me décrit sa maison, son quartier et ses amis. Il relate l'enfance qu'il y a eu jusqu'à la dernière photo qui s'y trouve.
Sur celle-ci, Conrad pose fièrement, le dos droit et le regard pétillant. Derrière lui se trouve le perron de sa maison. À ses côtés se tient Charlie, en uniforme, détendu et souriant. À ses pieds, son sac semble prêt à exploser. J'assimile vite l'information : c'est la dernière photo qu'il a avec lui mais également la dernière fois qu'ils se sont vu. Après ça, Charlie a dû rejoindre je-ne-sais quel pays pour y trouver la mort.
Sur le visage de mon amant, je ne vois rien et je réalise qu'il bride ses émotions. A-t-il seulement pleuré depuis la mort de son frère ? J'en doute. Je crois qu'il a emprisonné sa peine, qu'il l'a muselé pour l'oublier. Et elle parvient à se libérer à chaque 11 septembre jusqu'à ce que la nuit passe et qu'il reprenne le dessus.
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Heureuses Circonstances
RomanceConrad rencontre Sean sur la Place du Parlement alors qu'il le sort d'un mauvais pas. Mais là où il ne s'attendait pas à grand chose, Conrad se fait engueuler pour son aide. Les choses auraient pu s'arrêter là s'il ne s'était pas revu en boite. Et q...