Place de la République

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2016

Un an.
Voilà un an que tous les jours à la même heure, elle se rendait sur cette place.
Un an qu'elle y allait pour se consoler, pour ne pas les oublier.
Un an.

Le métro était bondé. Elle tourna la tête vers la droite et aperçut une vieille femme tenant par la main un jeune garçon qui n'était pas plus haut que trois pommes. Elle regarda alors à sa gauche et manqua de tomber à la renverse: le métro s'était stoppé et elle ne s'en était même pas rendu-compte.
Elle entendit alors: "L'arrêt de la République" prononcé par la voix robotisée de l'appareil. Elle se hâta de descendre en courant en même temps que les gens pressés la bousculaient. Elle monta les marches une par une, laissant au passage couler quelques larmes...: ils étaient morts depuis un an... A la sortie de la bouche de métro, le vent la fouetta et elle resserra autour d'elle son manteau et son écharpe. Quand elle releva la tête, elle se stoppa net.

Que c'était beau !

Ses beaux yeux bleus s'illuminaient: il neigeait ! Elle s'était engouffrée dans le métro il y avait une heure de ça, laissant derrière elle le ciel gris de Paris. Et elle en ressortait alors que le sol blanchissait. La neige commençait déjà à s'agglutiner au pied des magasins et les vitres étaient pleines de buée. Devant elle, la route devenait de moins en moins visible laissant juste apparaître les traces de pneus des voitures qui ne cessaient de circuler. C'est alors qu'elle se rappela de la raison pour laquelle elle était ici et ses jambes prirent instinctivement le même chemin que d'habitude. Par terre, on apercevait différentes  couches. D'abord le sol dur et froid, ensuite les feuilles jaunâtres et orangées qui étaient tombées lorsque l'automne était arrivé et puis maintenant, la fine pellicule de neige qui recouvrait le tout. Son regard tomba sur une personne sans abris qui essayait tant bien que mal de se réchauffer, en se couchant sur une bouche de métro. Elle arriva à sa hauteur et lui donna son écharpe. Le vieil homme la gratifia d'un sourire et elle continua d'avancer jusqu'à la statue. Celle-ci était mille fois plus belle sous la neige ! Elle s'agenouilla et chuchota: "jamais je ne vous oublierais". Puis elle regarda à sa droite où un homme chantonnait les yeux fermés.

"Anna ? C'est très jolie !"

A l'entende de son prénom, elle se retourna brusquement. Une femme se tenait accroupit à sa gauche, Anna la questionna du regard; lui demandant si elles se connaissaient. L'inconnue haussa les épaules en pointant du doigt son gros bracelet où son nom figurait.

"Je m'appelle Emeline, j'ai perdu mon mari dans l'attentat du Bataclan, c'est dur pas vrai ?"

Pour toute réponse, Anna secoua vivement la tête de haut en bas en laissant sa peine s'étaler sur ses joues.

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Ce texte est vieux de quelques années maintenant. C'était un sujet d'invention que je devais rendre à mon professeur de français. Mais les sujets d'invention ont souvent été beaucoup plus que des simples « devoirs ». Soit je ne le faisais pas, soit j'y mettais mon cœur pour être fière de mon écrit. Fière est un grand mot. Mais on devrait pouvoir être fière d'avoir fait de son mieux. Quand je relis ce que vous venez (peut-être) de lire, je me rappelle des moments où j'étais allongée par terre un stylo à la main à essayer, effacer et retenter. C'est un peu différent de ce que je publie ici mais j'avais envie de le partager. Et j'ai enfin eu l'élan nécessaire pout le faire.
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Le silence des mots (1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant