Chapter 3 : Tom

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Tom n'habite plus là où je l'avais connu. Et ce n'est plus un appartement mais une belle et grande maison. Je suis soudainement très nerveuse de le revoir et mes mains sont moites.

-Suis-moi, me dit Matthew.

Il m'emmène à l'intérieur de la maison jusqu'à une double porte en bois.

-Il est toujours là.

-Tu devrais peut-être lui dire que je suis là, non ? je dis en baissant la voix.

Matthew me fait non de la tête. Il ouvre la porte et me fait signe de venir en même temps. La pièce est assez grande. Il y a un piano au fond et une bibliothèque recouvre entièrement l'un des quatre mur. Il y a un canapé, des fauteuils et une télévision à l'autre bout de la pièce et un bar trône en face de l'entrée. Tom est dos à moi quand je rentre, il joue du piano. Un verre vide est posé sur l'instrument. Matthew s'éclaircit la gorge en s'approchant de Tom.

-Papa ? appelle-t-il. Papa, il y a quelqu'un pour toi.

Tom s'arrête de jouer, soupire et lève la tête vers son fils sans me voir et dit :

-Dis-leur que je suis occupé, qu'ils repassent plus tard.

Il reprends sa mélodie.

-Elle est là.

Matthew me montre d'un signe du menton et Tom appui brutalement sur les touches. Il tends la main vers son verre mais s'aperçoit qu'il n'y a plus rien dedans et il se résigne à y toucher. Il se retourne enfin.

-Salut, Tom.

Au départ, il ne réagit pas et reste parfaitement immobile. Puis il descend de son tabouret en s'y retenant pour ne pas tomber. Il se passe une main sur le visage puis regarde son fils en posant sa main sur son épaule.

-Qu'est-ce que t'as foutu ?

-Je lui ai demandé de venir.

Tom dévisage son fils un instant et Matthew n'est pas à l'aise sous le regard jugeur de son père. Il a une barbe de quelques jours et des rides au coin des yeux et sur le front. Ses cheveux sont emmêlés, les mêmes boucles que dans mon souvenir, mais elles sont plus longues. Contre toute attente, il pousse son fils en direction de la porte. Je retiens Matthew par les épaules, lui faisant comprendre de ne pas partir.

-Sors de chez moi, dit Tom.

Son ton est calme mais je sens qu'il se retient d'exploser. Je m'approche du bar, attrape une serviette et écrit mon numéro.

-Si tu as besoin de quoi que ce soit, je lui dis.

Je laisse le morceau de tissu en évidence sur le bar mais Tom le fait voler par terre. Je soupire mais ne dit rien. Je sais qu'il a tout à fait le droit d'être en colère contre moi. Parce-que moi aussi, je suis en colère contre moi-même pour le mal que je lui ai fais. Matthew ramasse la serviette, son père ne me lâche pas du regard.

-Sors de chez moi, répète-t-il. J'ai pas demandé à te voir ! rage-t-il en me regardant droit dans les yeux, cette fois. C'est lui qui voulait que tu viennes ! Il croit que tu peux tout arranger ! Malgré les saloperies qu'il sait sur toi, il te voit comme un ange alors qu'il ne te connaît même pas ! Moi, je te connais, et t'es pas un ange ! Dégage de chez moi, maintenant, où je te fais dégager.

-C'est une menace ? je demande.

-Si tu le fais, je retourne chez maman, dit Matthew.

Tom est frustré. Il voudrait dire quelque chose mais se retient.

-Tu viens gâcher ma vie une deuxième fois ? me lance-t-il.

-Je suis désolée.

-C'est pas assez d'être désolé ! Regarde la sale merde que je suis aujourd'hui !

-C'est toi qui fait ça, tu as choisit de devenir comme ça ! J'étais plus dans ta vie !

-Et bien regarde ! Te revoilà ! Comme par magie, tiens ! De la putain de magie de merde ! T'as l'air toute heureuse avec ta petite vie parfaite, pendant que je pourris ici. Fallait bien échanger les rôles, non ? C'est pas ce que tu voulais, que je t'aide à être heureuse ? Tu l'as, ton deal à la con.

-T'as tous les droits d'être en colère contre moi, mais-

-Tu l'as dit, maintenant dégage ! Me coupe-t-il.

-Laisse-moi parler !

-Qu'est-ce que tu as a me dire ? J'ai pas besoin de toi.

-Non, tu n'as pas besoin de moi, Tom, tu as besoin de mon aide. Tu ne vas pas bien. Qui de mieux que moi pour t'aider quand tu ne vas pas bien ? Qui de mieux que moi pour te comprendre, Tom ?

Il se calme subitement, me regarde étrangement alors qu'il comprends que j'ai raison mais qu'il ne veut pas l'admettre. Son être tout entier me rejette et me hait, je le sais et le ressens, mais il sait aussi que sans moi, il sera perdu.

-La dépendance, je dis en contrôlant un maximum ma voix pour ne pas flancher. La trahison. La maltraitance. Le chantage. La manipulation. Je connais toutes ces douleurs. Et je ne crois pas qu'il y ait quelqu'un d'autre dans ton entourage qui pourra mieux réussir que moi.

-Réussir quoi ? T'as vu mon état ?

-Oui, je le vois. Tu oublies dans quels états j'ai été avec toi ?

-Comment oublier ça ? Réplique-t-il en ricanant.

-Tu as toujours été là pour moi, peu importe dans quel souffrance je te plongeais. Laisse-moi te rendre la pareille. Laisse-moi t'aider à guérir.

-Je guérirais pas.

-Non, tu ne guériras pas. C'est vrai. Pas complètement. Mais tu peux guérir assez pour continuer, vivre et aimer.

-Tu peux dégager maintenant ?

Je soupire, regarde autour de moi et remarque que Matthew n'est plus là. Tom est moins énervé et, même si ses mots ne sont pas tout à fait poli, j'accepte de partir. Je sais qu'il m'a écouté. Je me retourne et sors. Je n'ai pas a insisté une énième fois et je ne suis pas la bienvenue. Dehors, Matthew me rejoins en courant presque.

-Attends ! s'exclame-t-il. S'il te plaît, fais quelque chose.

-J'ai fais ce que j'ai pus. Je ne peux pas me permettre de débarquer sans prévenir dans la vie de ton père, pas après toute notre histoire. C'est horriblement déplacé pour lui.

-Mais il raconte des conneries.

Face à mon incompréhension, le fils de Tom rajoute :

-C'est pas vrai, il ne veux pas que tu partes. Pourquoi il me parlerai souvent de toi s'il ne ressentait pas du regret ? Il veux te voir mais il a trop de fierté pour l'assumer.

-Moi je pense que ton papa se sent très mal et que ma présence ne va rien arranger du tout.

-S'il te plaît.

-Laisse-le m'appeler de son plein gré. Je prendrais des nouvelles, si tu veux. Mais je ne peux pas m'imposer plus que ça. J'en ai déjà fait beaucoup.

Il est triste et je passe ma main sous son menton pour lever son regard.

-Sois confiant. Tom est compliqué, mais j'ai appris par expérience que ça ne sert à rien de le forcer à prendre une décision précipitée. S'il me contacte lui-même quand il en aura envie, ça sera d'autant mieux, crois-moi. Il a mon numéro, il m'appellera. Et tu es très jeune. Tu crois tout savoir, mieux que personne, mais... C'est infiniment plus complexe que ça en a l'air, la vie d'adulte. Je sais que tu aimes beaucoup ton père et que tu fais ça pour son bien, mais j'ai peur que je fasse plus de mal qu'autre chose. Laisse lui le temps de se remettre de cet épisode, en premier lieu. La suite, on verra plus tard. Ne t'inquiètes pas. Tom est peut-être au fond du trou, mais je sais qu'il s'en sortira, avec ou sans moi. 

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