TALENTED III

Chapter 5 : Lily

Je suis assise dans le salon de la maison de Tom, l'un face à l'autre à nous observer dans le silence le plus complet. J'observe la pièce, le décor autour de moi en essayant d'ignorer le regard persistant et invasif de Tom qui ne me lâche que pour offrir ses yeux au verre d'alcool posé à côté de lui, sans jamais le prendre pour l'amener à ses lèvres. Je finis par briser le silence :

-Je suis désolée.

-C'est pas assez, réplique-t-il du tac au tac.

-Qu'est-ce que tu veux que je dise de plus ?

Il hausse les épaules, considère son verre de whisky un peu plus longuement et dit :

-Explique-moi pourquoi.

-J'ai rien à dire que tu ne saches déjà, Tom. Cette discussion, on l'a eu il y a quinze ans..

-Non.

-Non, quoi ?

-On l'a pas eu. Tu ne m'as jamais dit pourquoi tu m'avais trompé.

-Si, je te l'ai dit.

-Alors redis-le.

-Tom...

-Redis-le. Redis-moi à quel point t'es une connasse égoïste. Redis-moi l'unique raison qui t'as poussé à baiser avec Levi.

Je déglutis et me force à affronter le regard de Tom en plus de ses mots.

-Vas-y, insiste-t-il.

-Lâche l'affaire, Tom. Je sais que j'ai merdé, et pas qu'un peu, mais ça fait quinze ans. Alors, lâche l'affaire, s'il te plaît. On a déjà parlé de tout ça.

-Tu me prends pour un con ?

-Quoi ?

-Tu ne penses pas ce que tu viens de dire. Tu sais très bien que les années ne comptent pas. La douleur ne s'atténue pas avec le temps, on apprends seulement à vivre avec, à l'accepter au quotidien.

Je le regarde longuement et finis par dire :

-Oui, je sais tout ça. Mais tu n'as pas besoin de revivre les événements.

-Je veux t'entendre le dire.

Je murmure quelque chose d'inaudible.

-Quoi ? Réplique-t-il.

-Parce-que je voulais te faire du mal, je répète d'une voix plus claire. Je le voulais.

Il attrape son verre, le boit presque cul-sec et le repose brutalement avant de se lever et de s'éloigner de moi. Je sursaute quand il donne un coup de pied dans un meuble, renversant un vase et quelques bouteilles qui étaient dessus. Il revient vers sa chaise, s'assoit et finit son verre. Il plante ses yeux dans les miens et se penche vers moi par-dessus la table.

-Et ça t'as plût ? De foutre autant la merde dans nos vies ? Tu sais que tout est de ta faute, au moins ? Nos problèmes sont tous partis du même point commun : toi. Basile, la drogue, Levi. Ces trois poisons, c'est toi qui les as ramené.

Je sens une énorme boule se former dans ma gorge et je me retrouve incapable d'émettre le moindre son. Une horrible envie de le gifler, de lui sauter à la figure et de le voir saigner s'insinue brutalement dans mon esprit. De grosses larmes se forment dans mes yeux et trouvent leur chemin sur mes joues. Il sourit.

-Là, dit-il. Le putain de point sensible. Eh oui, Lily... C'est ça de se donner à quelqu'un et de le trahir ; tu ne fais que leur tendre le moyen le plus efficace pour te détruire.

Il se lève et remplit son verre. Il s'arrête un instant pour regarder le liquide marronné et le sentir avant qu'il ne brûle exquisément sa gorge. Je me lève à mon tour pour me diriger vers la sortie mais Tom me rattrape et m'empêche de sortir du salon. Juste avant que je n'atteigne la porte, il agrippe mon bras.

-Tu vas où comme ça ? Me demande-t-il sur un ton assez brutal.

-Parce-que tu veux que je reste maintenant ?

Il me défie du regard.

-Lâche-moi, Tom.

Il regarde sa main enroulée autour de mon bras. Il me fait mal, et il le sait : les jointures de ses mains blanchissent sous sa force. Il me relâche aussi vite qu'il m'a piégée. Il baisse sa tête et sa voix se brise quand il me dit :

-Reste.

-Tu ne voulais pas de moi.

-S'il te plaît.

Je remarque des secousses dans ses épaules et je comprends qu'il se mets à pleurer. J'ai une soudaine envie de le prendre dans mes bras mais le souvenir encore frais de ses mots blessants m'empêche de faire le moindre mouvement vers lui.

-Je vais rester, et ensuite ? Visiblement tu ne veux que sortir ta haine contre moi. Mais laisse-moi te dire une chose, Tom. La personne que tu es aujourd'hui... Ce n'est pas moi. Ce n'est pas ma faute. Ce n'est pas la conséquence de mes actions. Ce que tu dis, ce que tu fais, ça ne vient pas de moi. C'est entièrement toi. Oui, je t'ai fais souffrir. Mais le Tom que j'ai connu n'aurait jamais évoqué le nom de Basile de la manière dont tu l'as fait. Le Tom que j'ai connu n'aurait jamais eu l'audace ni n'aurait jamais ne serais-ce que penser à me dire une chose pareille. Ne me fais pas croire que le connard que tu es devenu vient de moi. Je sais que c'est ce que tu te dis à toi-même. Tu penses ça pour te rassurer, t'excuser, d'une certaine manière. Mais ça ne marche pas, Tom. Ça ne marche pas parce que tu te répètes un mensonge depuis tout ce temps et tu le sais et tu te détestes pour ça ! Tu te détestes pour tout ce que tu as fais ou dis ou je ne sais quoi en essayant de te convaincre que c'était ma faute et pas la tienne ! Mais je n'étais pas là, Tom, ces quinze dernières années. Et tu me détestes aussi pour ça ! En plus de tout le reste !

Il relève la tête et me regarde, l'expression qui traverse son visage et ses yeux pour arriver jusqu'à moi confirme ce que je viens de dire. Ses larmes ne coulent plus et j'essaie encore de contrôler les miennes quand je reprends :

-Parce-que t'aurais aussi voulu que je ne parte pas. Parce-que t'aurais voulu, malgré tout, me prendre dans mes bras et me dire que tout irait bien. Parce-que tu n'as pas réussi à m'oublier et que tu as essayé de vivre ta vie sans moi et maintenant regarde-nous, Tom, regarde-nous ! Regarde ce que je t'ai fais ! Regarde ce que tu m'as fais ! Que tu veuilles l'admettre ou non, on est exactement pareil, toi et moi.

-C'est le putain de problème, Lily !

Il a hurlé si fort que j'ai eu un mouvement de recul jusqu'à me plaquer contre la porte à quelques pas derrière moi. Il me regarde, perplexe ou étonné, je ne sais pas, je n'arrive pas à me concentrer après le soudain pic d'anxiété qu'il vient de déclencher. Il s'approche lentement de moi, jusqu'à ce que sa bouche ne soit qu'à quelques centimètres de mon oreille.

-Je me suis imprégné de toi, Lily, me murmure-t-il. Et je n'arrive pas à te décoller de ma peau, de mes souvenirs ou de mes désirs. Et je sais que tu as le même problème. Oh, je le sais depuis longtemps déjà. Je crois que la vraie question est : est-ce que toi, tu l'admets vraiment ? Parce-que je crois que non. Toi aussi tu te dis un mensonge depuis tout ce temps. Tu t'es construite une bonne petite vie parfaite, mais tu es si loin d'être détachée de ton passé, Lily. Tu es si loin d'être libre et d'être heureuse. En vérité, tu le seras jamais. Et ton espoir, ton déni, ou je ne sais quoi, tu peux te les foutre où je pense parce-qu'on sait tous les deux que tu fais semblant.

Je tourne ma tête vers lui, de façon à ce que ses lèvres se retrouvent maintenant à quelques centimètres des miennes. Il est si près de moi que je peux sentir son souffle alcoolisé sur ma peau.

-Si tu comptes jouer à ce jeu-là, Tom, il y a un gros détail que tu as oublié. Tu crois avoir l'avantage ? Quand je me suis livrée à toi, tu as fait de même, ne l'oublie pas. Et par conséquent, je connais aussi tes plus grandes faiblesses.

-Ah oui ? Dit-il en souriant.

-Toutes tes souffrances ont été causées par des femmes, Tom, et je peux leur donner des noms. Elisa. Victoria.

Je me rapproche encore un peu, nos lèvres se frôlent désormais. Je murmure un dernier nom :

-Lily.