Chapter 4 : Somebody Else

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Le vent est terriblement froid ce matin. Je renferme mes mains dans les poches de ma veste mais je sens mes doigts souffrir du manque de chaleur. Je sens mon nez glacé et mes cuisses qui se réchauffent doucement alors que je marche d'un pas vif dans les rues de Londres. Mes cheveux décoiffés cachés sous un bonnet en laine arrivent tout de même à me gêner et à revenir dans mon visage. Il ne doit pas être beaucoup plus de sept heures du matin et le ciel s'éclaircit doucement. Je marche depuis une demi-heure et, sans aucune destination précise, je réalise soudain que je me suis inconsciemment dirigée vers la maison de Tom. Je m'arrête. Il ne m'a toujours pas rappelé. J'espère son appel depuis une semaine. Mais toujours rien. Est-ce qu'il va accepter que je l'aide ? Ou au moins accepter de l'aide tout court ? Peu importe si elle vient de moi ou non, il a besoin d'aide plus qu'il a besoin de moi. Enfin, je crois. Je sais que je peux l'aider, que je peux le comprendre mieux que tous ceux qu'il connaît. Mais ça ne veut pas dire qu'il ne peut pas se tourner vers de l'aide plus professionnelle. Un centre de désintoxication pourrait être adapté pour lui. S'il le veut, seulement. Un centre, c'est si... trop... je ne sais pas... Médical, impersonnel, peut-être ? Pour moi, ça n'avait pas marcher, en tout cas. C'est à la fois trop éloigné du monde mais toujours trop près. C'était trop loin de lui mais lui était moi. Et aujourd'hui... aujourd'hui, je n'en sais rien. Son fils me contacte et je me retrouve face à Tom. Non, pas Tom, mais un étranger. Un étranger avec le visage de Tom. Il a beau avoir vieillit, avoir vécu quinze ans sans moi, j'ai revu dans ces yeux cette tristesse qui le hantait déjà quand nous étions ensemble. Une tristesse qui ne l'a jamais quitté, et qui ne le quittera probablement jamais. De la même manière que ma propre tristesse ne me quitte pas. Et c'est exactement pour ça que je peux l'aider. Parce-que je connais cette tristesse, je connais ce mal-être, je connais cette dépendance et je connais ce manque. Mais d'un autre côté, je ne le connais plus, lui. Est-ce que c'est approprié que je revienne vers lui comme ça ? Je ne crois pas... Les rôles auraient été inversés, je lui aurais sûrement claqué la porte au nez. Est-ce que, après toutes ces années, ma présence lui fera du bien ? Ou est-ce que je vais empirer les choses ? Est-ce qu'il pense à moi ? À nous ? À ce qu'on a vécu, ressenti ? Est-ce qu'il pense à tout ce qu'on s'est dit ? À toutes ces nuits que nous avons passées dans les bras de l'autre ? À tous ces regards échangés, ces sourires partagés ? Est-ce qu'il repense à nos promesses, à nos espoirs ?

Et moi, pourquoi je repense à tout ça ? Pourquoi je m'inquiète pour lui ? Pourquoi seulement après l'avoir revu et pas avant, pas pendant ces quinze ans ? Enfin, ce n'est pas tout à fait vrai. J'ai souvent pensé à lui... mais je ne m'étais pas inquiété pour lui depuis très longtemps.

Et je ne suis même pas légitime de m'inquiéter pour lui après toutes les merdes que je lui ai faites subir. Je ne suis pas légitime de me demander s'il pense à moi quand, lorsqu'il me tenait si près de lui, je n'ai su que me tourner vers Levi. Je ne suis pas légitime d'exiger qu'il demande de l'aide quand moi même je n'ai pas su le faire alors qu'il avait tout essayé pour m'aider à aller mieux. Je n'étais même pas légitime, il y a quinze ans, à exiger qu'il fasse toujours plus d'efforts quand moi, à côté, j'ai été seulement une connasse égoïste ! Une connasse égoïste ! Et rien ne justifie la souffrance que j'ai causé autour de moi. Rien. Rien. Rien.

Comment j'ai réussi à me reconstruire un semblant de vie sans Tom ? Quand lui n'a pas pus le faire sans moi ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce que je suis mieux sans lui et qu'il est mieux avec moi ? Malgré la souffrance ?

Et encore une fois, tout ce que je sais faire, c'est trop penser, trop penser et encore trop penser, mais jamais faire le bon choix.

Je reste planté là, sur le bord de la route, dans le froid matinal, perdue dans mes pensées, et je ne remarque pas le temps passer. Je ne remarque que nos vies, à Tom et moi, qui sont totalement désordonnées, déboussolées.

Un chien aboie en passant près de moi, promené par sa maîtresse, et je sursaute, sors subitement de ma transe. Je regarde autour de moi et fais demi-tour pour rentrer chez moi.

Mon appartement est vide et terriblement silencieux quand je referme la porte derrière moi. J'enlève ma veste, mon bonnet et mes chaussures et m'attelle à la cuisine pour m'occuper l'esprit. Mais je me retrouve incapable de penser à autre chose que Tom, ce matin. Et mes regrets me torturent. Je lâche subitement les ustensiles de cuisine que je tenais alors qu'une crise de larmes m'envahit. Je prends mon téléphone et compose le premier numéro qui me vient à l'esprit.

-Hey, Lily !

-Fionn ?

-Tu pleures ? Qu'est-ce qui se passe ?

-Comment tu fais pour aimer Alex ?

-Pardon ?

-Comment tu fais pour aimer la même personne depuis vingt ans ? Comment vous faites ?

-Je... C'est... Pourquoi tu me demandes ça ?

-J'ai besoin de savoir comment tu fais, Fionn.

-C'est un engagement, un partage. L'amour ne disparaît pas comme ça, il faut le nourrir et en prendre soin. Pourquoi tu pleures, Lily ? À quoi tu penses ?

-Pourquoi j'ai pas été capable d'avoir ça avec Tom ?

-Oh... Tu préfères la réponse honnête de meilleur ami ou... la fausse réponse ?

-Soit honnête.

-Tu le sais déjà, ce que je vais te dire. Tu es sûre ? Tu n'as pas besoin d'entendre ça encore une fois, pas quand ça fait quinze ans.

-Dis-le moi.

Il soupire et réponds :

-Tu n'as jamais su avoir ça avec Tom parce que votre amour tu l'as complètement piétiné. Tu ne l'as pas pris au sérieux. Tu as joué avec lui, tu l'as utilisé et tu l'as fait souffrir parce que tu as cru que ça allait te faire te sentir mieux. Et quand tu t'es rendue compte que ça te faisait seulement sentir encore plus mal, il était déjà trop tard parce que tu avais fait trop de dégâts, tu avais dépassé sa limite, et de très loin. Tu as replongé dans la drogue. Tu l'as trompé plusieurs fois. Et tu t'attendais à ce qu'il soit toujours là pour toi ? Tout autre personne à sa place t'aurait déjà quitté depuis longtemps. Même Levi, s'il avait dû faire face à tout ce que tu as jeté à la figure de Tom, il serait partit aussi. Tom, il est resté quand tu étais au plus mal. Il est resté quand tu lui as demandé de rester. Il est resté quand tu avais des problèmes, quand tu avais besoin de lui, quand tu l'appelais, quand tu l'insultais, quand tu l'ignorais, quand tu étais à l'hôpital, quand tu as dû te battre en Justice, quand tu as embrassé Timothée presque devant lui et quand tu te défonçais tous les jours à côté de lui. Et je suis sûr que s'il n'avait jamais su que tu le trompais avec Levi, il serait resté encore très longtemps. Toi, par contre... Toi tu n'as été là pour lui que lorsqu'il n'était pas à toi. Tu as été là pour lui quand tu as appris à le connaître, quand tu es devenue son amie, quand tu es tombée amoureuse de lui, mais pas quand vous étiez ensemble. Tu l'as supplié de quitter Victoria pour toi, plusieurs fois, pour au final lui faire subir toutes les crasses du monde ? Et tu t'étonnes que tu n'as pas su faire de Tom l'amour de ta vie ? 

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