- Chapitre 4 -

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Ses genoux atterrirent sur le sol humide plusieurs fois, si bien que son legging noir se tachait de boue. Alina aurait dû prendre son temps au lieu de descendre aussi vite la colline, mais cela faisait des mois qu'elle n'avait pas ressenti cela avec autant d'intensité : de la curiosité. C'était un véritable contraste en comparaison avec ces semaines de vide émotionnel.

L'auberge accueillait beaucoup de monde aujourd'hui. Personne ne fit attention à l'arrivée d'une jeune métisse recouverte de poussière et au souffle court. Apparemment, ce n'était pas la seule à avoir cette allure. De multiples clients abordaient des bleus de travail.

— Désolé, mais il y a trop de monde pour l'instant, si tu veux installes-toi avec mes grands-parents à la table là-bas, je prendrais ta commande après ! s'exclama Alexandre en manquant de faire tomber une assiette remplie de bœuf bourguignon.

Elle voulut l'interroger au sujet de l'église, mais il avait déjà filé. Ses pas l'emmenèrent vers les anciens sans grande motivation. Ils réagirent à peine quand elle demanda de s'asseoir à leur côté, trop concentrés sur les cartes.

— Mireille ! Tu as failli me manger le petit bout, gronda un vieillard au crâne dégarni et à la moustache blanche.

Alina mit quelques instants à saisir qu'il parlait de la carte. Le chiffre un s'affichait sur chaque coin. Son observation s'arrêta là, car le jeu se poursuivit. Le prénommé Marcus lança un cri de jubilation quand sa partenaire de jeu et de vie récupéra une autre carte similaire à la précédente où il était écrit vingt et un. Elles ne se trouvaient pas dans les jeux traditionnels. L'arrivante ne comprenait pas les règles. L'as ne possédait aucune valeur. Le coéquipier changeait à chaque partie et ils étaient quatre. Gabrielle était la conductrice du fameux bus qu'Alina avait raté trois jours plus tôt. Ses longs cheveux grisonnants se rassemblaient en une tresse en épis. La quatrième personne lui était totalement inconnue.

— J'ai failli m'faire bouffer la dame, s'écria Mireille en ramassant son butin.

— Attendez, le roi est plus fort là, répliqua Alina qui suivait à présent le jeu depuis une bonne vingtaine de minutes.

La personne âgée s'esclaffa. Elle n'avait pas sa langue dans sa poche et l'avait prouvé depuis samedi avec ses remarques. Son visage lui était apparu la veille et sa chevelure rouge détonnait avec l'allure vieillotte de la salle.

— Si on jouait avec les règles des autres patelins oui, mais ici, c'est la dame qui est la plus forte.

Son physique se rapprochait de celle de son fils, Jean-Grégoire. Ses épaules larges en imposaient et Alina regretta d'être intervenue. Alexandre vint à son secours.

— D'accord, je vais lui expliquer pourquoi on a choisi la dame comme étant la plus puissante, grommela-t-elle après avoir écouté la suggestion de son petit-fils.

Le porteur du bandana rose ricana et le carnet à la main, il attendit pour récupérer la commande. Le verre de Mireille se vida d'un trait. Cette fois, ce n'était pas une boisson alcoolisée. Maurice, son mari, tenta de parler.

— Je crois que c'est à la gente féminine de raconter l'exploit de sa congénère.

La curiosité de la touriste redoubla.

— On peut dire que c'est une légende, même si tout le monde n'y croit pas. Ici, on n'aime pas les mystiques – comme disait ma mère.

Le collier se trouvait dans sa poche et il lui semblait peser encore plus lourd. Alors qui était le confectionneur de cette croix ?

— La date n'est pas très précise, mais c'est sûrement il y a un bout de temps, continua-t-elle en mélangeant les cartes. Quand le vieux prêtre a clamsé, un jeune, tout revêche et qui animait un peu plus la messe, avait pris place dans l'église. Auparavant, le cœur du village ne se situait pas ici, mais plus loin dans la montagne.

La mémoire de l'ambre.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant