Le vent soufflait encore sur le village de Saint-Ambre. Alina arpentait les ruelles sans prendre le temps de les contempler. Alexandre lui avait expliqué l'itinéraire à suivre ce matin. La rivière remuait bruyamment sous le pont qui semblait sur le point d'être submergé. Le week-end ne s'était pas très bien fini, même si le vendredi restait la pire journée à cause de l'altercation avec Paul. Et désormais, Maé ne lui adressait plus la parole. Sa bosse sur le crâne témoignait de son vice qu'était la curiosité : le raide escalier avait vengé la fermière. Le lieu interdit se trouvait être un atelier. Sa visite s'était écourtée suite aux protestations de la propriétaire.
La grille s'ouvrit sur des tombes dans un crissement strident. Sa mauvaise nuit avait eu au moins l'utilité de faire émerger quelques idées. Le silence s'interrompait par des cris d'oiseaux non identifiés. Le calme ambiant changeait des remues de l'eau et le soleil commençait à surplomber la montagne. Puisque le cimetière n'était pas étendu, elle atterrit rapidement devant la tombe recherchée. Les habituels insignes religieux n'étaient pas présents et elle s'étonnait de voir qu'ils enterraient malgré tout les morts.
— Ida Germinie, lut-elle à voix haute.
Ce nom ressortait lors des scènes de dispute avec ses parents, mais elle n'avait pas conscience jusque-là qu'il appartenait à sa grand-mère. Au-dessus de la pierre tombale, quelqu'un d'autre était indiqué : Armant Germinie. Sûrement son grand-père, car il se trouvait dans la même tombe que sa conjointe. La date demeurait plus ancienne : 1945-1991. Il était mort à quarante-six ans, soit quatre ans de moins que l'âge de son père actuellement. Les pots de fleurs se remplissaient de pensées de toutes les couleurs.
Alina n'avait jamais eu à porter le deuil et imaginer qu'elle aurait pu rencontrer son aïeule lui fit un pincement au cœur. À côté, une pierre tombale était remplie d'articles funéraires. Une photographie représentait une trentenaire souriante. La défunte se nommait Ambre Bailly. Sur une table au loin, quatre joueurs de tarot se disputaient une partie. Il y avait Mireille et Marcus, la conductrice du bus et une dame âgée. Ses cheveux blancs encadraient un visage familier : c'était probablement Ida. Ses grands yeux bleus rieurs s'accompagnaient de taches de rousseur et d'un nez en trompette. Jean-Grégoire jouait de l'accordéon aux côtés de Louis et de Paul qui semblaient chanter.
Le ventre d'Ambre était rebondi et des cernes mangeaient la moitié de son faciès. Alexandre n'était donc pas encore né. Son nez aquilin montrait les liens de parenté avec les Bailly. Autour de son cou, un bijou se confondait avec sa robe jaune. Alina s'accroupit pour s'approcher du cliché et aperçut une croix identique à la sienne. Sa respiration se coupa : le collier appartenait originellement à la sœur de Jean-Grégoire. Paul jugeait indécent que Louis l'ait donné à sa propre fille. Tout s'expliquait désormais.
La religion était taboue ici, mais Ambre aborait fièrement un de ses symboles. Y avait-il un lien avec la gemme qui portait le même nom ? Et comment était-elle morte ? Jean-Grégoire écrivait dans ses lettres qu'il avait du mal à faire son deuil. Même Alexandre n'en savait pas plus sur l'origine de son décès.
***
La porte lui claqua au nez au moment où Alina lui dit bonjour.
— Je suis désolée, soupira la citadine en reculant de plusieurs pas. J'ai conscience que je ne devais pas y aller.
Les escaliers craquèrent sous le poids de la fermière qui descendait dans la fameuse pièce. À côté de cela, Méchoui la fixait en mâchouillant bruyamment de l'herbe. Si la légende avait une part de vérité, peut-être que ce mouton noir pourrait la guider.
— Aide-moi et je te jure que le foin sera pour toi, négocia-t-elle.
À son plus grand étonnement, l'ovin contourna la maison en trottinant. Des crottes jaillirent sans ménagement et lui firent penser au Petit Poucet dans une version revisitée. Une porte de garage se distingua parmi le mur de pierre. D'ici, le jardin était visible. Elle avait eu l'occasion de gratter la terre pour ramasser les salades. Le mouton continua son festin en broutant des feuilles de cerisier d'une branche un peu trop lourde.
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La mémoire de l'ambre.
AdventureAlina abandonne sa dernière année d'études en école de commerce pour se réfugier à Saint-Ambre où son père a vécu toute son enfance. Là-bas, elle fait la rencontre de campagnards aux caractères bien trempés : un jeune apprenti cuisinier végétarien a...