Des cernes encadraient ses yeux noirs et une voix rauque résonna quand Alina salua les Bailly. Les travailleurs des alentours mangeaient un gros plat de hachis parmentier. Elle apprit que le cuisinier du jour n'était nul autre qu'Alexandre. L'assiette remplie arriva rapidement sur la table et le bloc note dans la main, il s'installa à ses côtés.
— Comment va la dormeuse ?
Son temps de sommeil ne dépassait pas les cinq heures. Son insomnie l'avait suivie jusqu'au lever du jour et le moteur d'un tracteur l'avait réveillée en sursaut une soixantaine de minutes plus tôt. Son hochement de tête le contenta, puis il enchaîna sur ce que le plat valait. Les ingrédients qui remplaçaient la viande se mélangeaient parfaitement bien et certains clients crurent qu'il y en avait. Derrière ses lunettes rondes, ses iris noisette brillèrent de fierté. Le végétarisme demeurait un sujet de débats, surtout à la campagne et Alina s'étonnait de voir les mentalités évoluer à chaque repas du jeune adulte. Le mangeur de graines avait plus d'un tour dans son sac.
— Au fait, j'ai trouvé dans le bas des escaliers, le carnet de Maé. Pourras-tu le lui rendre ? demanda-t-il en saisissant les couverts.
Intriguée, elle l'ouvrit à l'envers et vit un tableau qui comptait les points au tarot. Son score au départ assez médiocre remontait aux dernières parties.
— Elle a dû le faire tomber mardi quand elle est venue discuter avec toi, murmura-t-elle en le récupérant.
Alexandre parut ne pas savoir de quoi son interlocutrice parlait, mais il se contenta de débarrasser son assiette. Alina remarqua une page plus foncée qui se distinguait parmi les prises de notes ou de calculs. Des traits d'un stylo noir la représentaient en train de courir sous la pluie avec son parapluie jaune fluo qui se retournait à cause du vent. Sa coupe afro voltigeait et laissait entrevoir une grimace peu glamour.
Son sourire rendit visible ses pommettes. Alors comme ça, Maé la dessinait en cachette. Elle l'entendait déjà clamer haut et fort que ce n'était qu'une fouineuse. Sa découverte la mit de bonne humeur et le cœur léger, elle gravit la colline avec le précieux objet dans les mains.
Le soleil réchauffait sa peau caramel et la pente lui paraissait moins raide. Quand elle atteignit le sommet, Méchoui ne l'accueillait pas comme à son habitude et les volets de la maison restaient fermés. La citadine toqua à la porte, mais personne ne vint l'ouvrir. Les bêlements des brebis retentirent et elle rentra ensuite dans le bâtiment. Maé les avait déjà nourries. Avec ce beau temps, tout le monde aurait dû être dehors. Elle poursuivit ses recherches et atterrit dans le jardin. Les sculptures trônaient dans la terre et la statue de la femme, qui maintenait la gueule d'un lion grande ouverte, semblait l'observer. Le marché ne se tenait pas le vendredi, le souvenir d'une bataille de farine le lui rappelait. Peut-être que la campagnarde était partie faire des courses, mais où se cachait le mouton noir ? Vaincue, elle retourna à l'auberge.
L'après-midi se déroula lentement. Malgré les blagues graveleuses de Mireille et les parties de tarot fructueuses, Alina s'ennuyait. Le soir, la fermière était toujours introuvable, mais la traite effectuée l'incita à ne pas s'inquiéter. Ce n'était pas la première fois que Maé désirait être seule.
***
Sa fatigue l'avait rattrapée et la nuit de douze heures fut la bienvenue. À huit heures pétantes, elle s'habilla et descendit au rez-de-chaussée. L'apprenti cuisinier petit-déjeunait, accoudé au bar. Son bandana rose ressortait dans le noir.
— Tu commences à devenir une saint-ambroisienne à te lever aussi tôt, ricana Alexandre en lui tapotant le tabouret d'à côté pour qu'elle vienne s'y asseoir.
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La mémoire de l'ambre.
AdventureAlina abandonne sa dernière année d'études en école de commerce pour se réfugier à Saint-Ambre où son père a vécu toute son enfance. Là-bas, elle fait la rencontre de campagnards aux caractères bien trempés : un jeune apprenti cuisinier végétarien a...