- Chapitre 21 -

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Un long frisson lui parcourut le dos, le froid s'infiltrait dans chaque pore de sa peau. Alina se leva, le drap glissant sur son corps nu. La couverture était tombée depuis longtemps sur le sol battu. Il ne devait pas être plus de six heures en vue de la luminosité. Des centaines de dessins parcouraient les murs de la petite maison en pierre. Attrapant le pull en laine de Maé et une culotte, elle contourna la cheminée pour atteindre son propre portrait réaliste. Son débardeur noir laissait entrevoir le pendentif en croix. Ses propres yeux sombres la fixaient avec intensité, c'était troublant. D'autres dessins à la craie arpentaient la pièce : celui d'un serpent, d'une église, des trois membres de la famille Bailly en train de s'affairerici bien des années plus tôt. Les cheveux bruns de la bergère atteignaient le bas de son dos, son âge avoisinait les dix ans. Les traits de l'œuvre étaient moins précis, mais son nez aquilin se voyait entre ses joues rebondies. Un vent glacé s'infiltra par la porte d'entrée.

— J'aurais dû l'effacer, marmonna la campagnarde en guise de bonjour.

Alina imita sa propre expression en lançant un regard profond. Son sourire prit le relais et ses bras encerclèrent l'arrivante.

— Bien dormi ?

Sa réponse n'eut pas besoin de mot pour être explicite : les lèvres de la saint-ambroisienne s'écrasèrent sur celles de sa conscrite.

— Je ne suis pas habituée à ce genre de marques d'affection le matin, mais je sens que je vais y prendre goût, répondit Maé encadrant ses mains autour du visage de sa partenaire.

Quelque chose avait scellé leur relation, même si Alina n'avait jamais considéré le sexe comme une offrande de son corps et un dû pour être officiellement en couple. Cette aventure sonnait pour elle comme une nouvelle étape dans sa vie. Le petit déjeuner se composait de fruits fraîchement cueillis et de pain saupoudré de sucre caramélisé. Leur sac pesait beaucoup moins lourd que la veille, puisqu'elles transportaient uniquement la réserve pour la journée. La chaleur étouffante annonçait l'arrivé d'un orage d'ici un ou deux jours. Le village était à une dizaine de kilomètres, s'il y avait un problème, leur retour se ferait rapidement. Le parcours de la journée ne serait pas aussi éprouvant. Les insectes ne cessaient de tourner autour des bêtes et de leurs gardiennes et leur mettaient les nerfs à vif.

— Pose ton livre et profite, conseilla Maé en sculptant un bout de bois.

— J'ai déjà fait une cure de désintoxication pour les écrans, j'ai le droit à un divertissement. On peut tester la méditation si tu veux.

Méchoui roula sur le côté quand les doigts d'Alina rencontrèrent son pelage noir.

— Mais arrête de maltraiter ce pauvre bout de bois !

La tension s'apaisa immédiatement quand le bâton se cassa.

— L'ennui ne me tuera pas, approuva Maé en fermant son opinel pour le fourrer dans la poche de sa salopette bleue.

Elle ne portait rien d'autre, mais demeurait à l'ombre pour ne pas griller sous les rayons ultra-violets, ses bras derrière son crâne et un brin d'herbe dans la bouche. Alina admirait cette femme qui vivait comme elle le voulait. Les poils ? Ils faisaient leur vie. Sa poitrine n'était qu'un torse, avec deux bosses un peu plus volumineuses. Mireille l'avait félicitée quant aux côtés des hommes du village, son t-shirt avait voltigé. La doyenne s'était remise à raconter que sa sœur avait manifesté pour l'égalité entre les genres. Cette ouverture d'esprit étonnait réellement Alina. Comment cela se faisait-il que dans le monde entier, les discriminations se faisaient monnaie courante et que dans ce village perché au milieu de la montagne, la tolérance prenait le pas sur la médisance et la peur d'autrui ? Était-ce dû au fait que les mœurs n'étaient guidées par aucune doctrine religieuse ?

La mémoire de l'ambre.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant