- Chapitre-20 -

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Voilà cinq jours que Maé refusait systématiquement de lui dévoiler sa surprise. Alexandre ricana quand Alina l'interrogea pour la dixième fois sur ce qu'elle comptait faire.

— Al', sois patiente ! Juste une chose, emporte un sac assez grand et change tes Stan Smith pour des véritables baskets, répondit-il en lui déposant un verre de jus de fruits sur le bar.

La vieille horloge affichait six heures, quelques rayons de soleil perçaient déjà la baie vitrée. Une cloche annonça l'arrivée de Paul avec sa cargaison de produits. Sa nièce le salua d'un ton qui sonnait faux et il se contenta d'un hochement de tête.

— Tiens, amène-la au sous-sol et en même temps, récupère le sac de randonnée.

Sa bouche se ferma, le cadet avait commis une gaffe. De toute façon, Alina se doutait bien que c'était une sortie de ce genre. Elle attrapa la cargaison, mais avant de partir, son oncle dit en triturant ses doigts fins :

— Je voulais t'offrir ou plutôt te léguer un cadeau, mais il est assez conséquent. Quand tu reviendras de ta promenade de santé, pourras-tu venir le chercher ?

Elle acquiesça, intriguée mais sceptique à l'idée de se retrouver à nouveau avec lui. Des affaires s'accumulaient en dessous des raides escaliers et impossible de raisonner Jean-Grégoire pour les trier. Après avoir déposé les fruits et légumes, elle saisit son futur partenaire de voyage. Un souvenir lui revint en mémoire et la poussa à aller dans la salle du fond où les deux jeunes étaient restés pendant des heures entre les taules et les vieux cartons. La malle n'était plus là, car Maé devait la rénovait pour son cousin, mais le pied-de-biche traînait dans un coin. Ses pas se dirigèrent vers la pièce d'à côté et elle ouvrit la porte.

L'odeur de l'éthanol et du vieux bouchon irritèrent ses nasaux. L'interrupteur actionnée, la lumière artificielle illumina le symbole de Saint-Ambre situé sur le mur d'en face. Les taches rouges s'étaient dissipées, mais les bouts de verre gisaient toujours sur le sol battu. Les raisons de la crise de colère de Jean-Grégoire n'avaient jamais été évoquées, peut-être était-ce par rapport à Ambre. Son caractère ne laissait pourtant pas entrevoir une tendance à s'emporter.

Sa réflexion mise de côté, elle rejoignit dans les cuisines Alexandre qui lui emballait les précieux mets dans des torchons. Son bâton de bergère dans les mains et les équipements pour camper sur le dos, Alina gravit la colline en direction de la demeure de son acolyte. Méchoui se rua vers l'arrivante et lécha frénétiquement son pantalon de sport. Des cloches retentirent, une foule composée d'ovins se précipitait au bord du parc. Son chapeau de paille vissé sur la tête, Maé l'incita à s'approcher. Pour l'instant, pas de gestes tendres au-delà d'un bisou sur la joue. La campagnarde réfléchissait encore.

— On va suivre la draille, c'est le chemin destiné aux troupeaux. Il y en avait pas mal qui l'empruntaient auparavant, mais désormais, je suis la seule. Un jour, je testerai la transhumance, c'est-à-dire que je mènerai mon élevage en montagne tout l'été.

Elle rangea son opinel dans sa poche.

— Cela exige une parfaite organisation, en attendant j'en prends peu et nous n'allons pas partir très longtemps. J'espère que tu as les jambes prêtes, car nous allons marcher.

Quand il s'agissait de son travail, son débit de parole s'accélérait. Des cernes en dessous des yeux montraient les nombreuses journées à se préparer, ce qui expliquait ses repas sur le pouce. Alina resta en dehors de l'enclos, l'observant avec admiration. Ses cheveux bruns avaient été coupés et une mèche pendait sur son front. Son cousin s'était démené pour la convaincre de se teindre en blond platine, en vain. Ses joues rebondies rougissaient déjà sous l'effort. L'antenais — mot qui désignait un ovin de moins de dix-huit mois, patientait sagement sur le bas-côté. Maé avait eu un chien qui était mort l'année dernière. Le mouton noir le remplaçait, même si beaucoup de monde lui conseillait d'adopter un autre canidé.

La mémoire de l'ambre.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant