- Chapitre 17 -

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Alina analysait le comportement de sa coéquipière Gabrielle, la conductrice de l'unique bus qui menait à Saint-Ambre. Si elle n'avait pas été en retard, peut-être que son amitié avec Alexandre n'aurait pas pu se créer. Ce jeune homme atypique au bandana rose, accompagné de ses livres sur la cuisine végétarienne et de son carnet de recettes, était devenu un visage familier. Les cartes fusèrent sur la table et le nombre de points s'accumulaient.

— Marcus, t'es aussi lent qu'au lit. Magne-toi ! rouspéta Mireille qui ne se gênait pas de faire des sous-entendus graveleux.

Les verres se remplissaient de pastis et de bière. La place était méconnaissable : des tables s'alignaient à n'en plus finir et une estrade accueillaient une sono avec des enceintes, c'étaient les seules marques de technologie. Son binôme lui fit signe discrètement en remettant sa tresse sur le côté de poser son petit bout, c'est-à-dire le un.

— Voilà ! Marcus, tu as encore tout fait rater ! Maé essaie de rattraper le coup !

Jean-Grégoire apporta leur énième tournée de boisson, sous l'expression attristée de Gabrielle.

— Je ne vous ai pas raconté pour le Jeannot. Le maire du patelin d'à côté, il n'a pas voulu qu'il se marie avec Jacques. Ils sont ensemble depuis dix ans ! reprit la grand-mère d'une voix forte.

Colporter des rumeurs était habituellement plus la spécialité de son compagnon. La citadine était fascinée de la manière dont elle parlait de l'homosexualité aussi librement. Un jour, la villageoise avait raconté que sa sœur avait été dans le Mouvement des libérations des femmes et elle militait déjà pour que le mariage pour tous, étant pansexuelle.

— J'ai vu le maire il y a deux jours. Ça a bardé, je peux te le dire. Je lui ai raconté que les gays, c'étaient comme les télévisions, il y en a au moins une dans chaque famille et qu'il pourrait être poursuivi par la justice s'il n'acceptait pas.

Hélène n'était pas dans les parages, mais la touriste aurait aimé qu'elle entende ces remarques. La bergère lui sourit à nouveau. Depuis son retour, tout avait changé entre elles.

— Moi, je vous jure, je serais bien contente que la mairesse marie Maé. La première fois qu'elle était venue nous voir, elle disait déjà à tout le monde qu'elle préférait les filles.

Embarrassée, la campagnarde se tassa sur sa chaise. C'était au tour d'Alina de dévoiler ses dents. Sa tenue se constituait d'une combinaison fleurie avec des manches longues. La chaleur estivale et le vent tiède donnaient une ambiance d'été à cette soirée dansante. Les habitants riaient bruyamment, couvrant presque la musique de fond. Six heures allaient sonner et le service des repas débutera dans une soixantaine de minutes. Maé se leva pour remplir une bouteille d'eau et dévoila sa robe bleu foncé toute simple, ornée d'un nœud papillon dans le dos. Cela la changeait des salopettes et des bottes.

Une autre partie commença. Cette fois-ci, Alina prit la main et appela le roi de cœur. Elle posa sa dame du même symbole et se rendit compte que son alliée était la vendeuse de savons. Toutes les deux restaient en bas du podium, mais il suffisait de gagner tous les plis pour remonter dans le classement. Elles possédaient un bon jeu avec beaucoup d'atouts et de têtes. À la fin, le un se posa et Maé le sauva grâce à son vingt et un. Un cri de joie résonna tandis que les grands-parents se renfrognèrent.

— Cela fait trente ans que l'un de vous gagne. Maintenant, on remet la coupe à la jeunesse ! s'exclama un vieillard dont la touriste avait mangé le nom.

Jean-Grégoire les félicita, mais le cœur n'y était pas. Il s'affaissa, marquant encore plus son double menton et sirota un jus de fruit d'un air absent.

La mémoire de l'ambre.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant