Chapitre 5- Charlie

34 4 2
                                    

Il est quatre heures vingt-trois du matin, lorsque je me réveille en sursaut, désorientée. Avec le décalage horaire, je n'ai pas encore réussi à me réhabiliter totalement au changement, même après six jours passés ici.

Je scrute les alentours, perdue, et la chambre d'amis de mon père aux couleurs neutres et peu décorée ne me donne pas le réconfort de celle que j'avais en France, ou même de mon ancienne chambre de sororité. L'époque où je vivais en colocation avec mes amies est révolue, et elle me manque atrocement. À cet instant, je serais entrée discrètement dans la chambre de Rilee, et lui aurait demandé un somnifère, ou même un peu de compagnie contre mes insomnies. Seulement aujourd'hui, je suis toute seule, avec mon père et sa femme qui dorment à quelques mètres à peine. Je me sens brusquement rajeunie, retournée à une autre époque. Ҫa doit faire plus de huit mois que je n'avais pas ressenti une telle rechute. Comme pour les junkies avec la drogue, la mienne étaient mes souvenirs qui me rongeait les sangs.

Après tout ce temps loin d'eux, j'ai l'impression de ne pas avoir vraiment changé, comme égale à cette moi-même d'il y a deux ans. Pourtant, là-bas, c'était complètement différent. Là-bas, j'avais l'impression d'avoir mûri, d'être une autre personne.

Et puis, pouf. En l'espace de quelques instants, face à ces visages qui m'avaient pourtant tant manqué, j'ai eu l'étrange sensation de redevenir cette fille-là. Cette fille que j'avais voulu fuir à tout prix, que j'avais voulu faire disparaître. Elle est toujours là je le sens, confrontée à cette nouvelle Charline débarquée de l'autre côté de l'Atlantique, une nouvelle fois.

Je tourne et vire deux heures durant, sur ce lit confortable quoiqu'un peu dur, sur des oreillers au parfum artificiel qui ne m'évoque rien de réconfortant.

Vivre chez son père à 22 ans, après avoir eu tant d'indépendance et de liberté, me démoralise peut-être plus que ça ne le devrait, ainsi je m'attelle sur mon ordinateur, en cette heure plus que matinale à rechercher un appartement correct proche de l'université.

Sur les coups de sept heures, après avoir passé en revue des dizaines d'annonces, je me décide à me lever enfin. Jenny est dans la cuisine, en robe de chambre rose bonbon (ça m'aurait étonné, tiens.) et s'affaire au-dessus d'une poêle à faire frire des œufs et du bacon. J'attire son attention avec un simple bonjour, pour ne pas l'effrayer.

-Salut Jenn.

Elle sursaute néanmoins, et je me retiens de lever les yeux au ciel par habitude.

-Tu es déjà levée ? Me demande-t-elle avec un large sourire aux lèvres.

Ne pas l'avoir côtoyé pendant deux ans ne m'avait en revanche pas dérangé. Mais elle est toujours gentille et douce, avec sa bague à l'annulaire, alors je me suis résolue à ne pas la traiter trop durement en marâtre, quand elle ne représente qu'un petit agneau inoffensif qui participe au bonheur de mon père.

-Je n'ai pas beaucoup dormi, encore. Je réponds simplement.

-Tu vas vite t'y faire, c'est presque une habitude maintenant pour toi. S'en amuse-t-elle. Tu veux du lait ou du jus de fruit ?

- Non merci, je préfère le café.

- Ah, c'est vrai.

Je lui adresse un demi-sourire, en me faisant couler un café bouillant, qui la convainc de se reconcentrer sur ses œufs. Ce qui n'a pas changé en tout cas, c'est que je ne suis toujours pas du matin. Et elle l'a bien compris, j'imagine.

-J'ai fait des œufs, tu en veux ? Je les ai brouillé mais si tu en veux au plat je t'en fais cuire deux ! Et tu préfères avec du bacon ou sans ? Me questionne-t-elle d'une traite.

Charlie : Je t'aimerai pour deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant