Prologue p.1

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QUATRE ANS PLUS TOT :

Ma mère est assise sur le canapé du salon, dont la couleur brune est ternie par le temps et l'usure. Elle lit son livre préféré, comme je l'ai vu faire une bonne centaine de fois. La Comédie Divine offrait à ma mère le répit et des sentiments dont elle manquait cruellement au quotidien. Dante avait ce pouvoir sur elle, le pouvoir de la faire voyager et oublier l'espace de quelques instants sa propre existence. Elle avait le visage paisible, adoucit, quoique très concentrée. Ce n'est que « Stupidità volgari e inutili ! », d'après son propre mari. Chaque chose, chaque activité, qu'elle puisse aimer était immédiatement réduite à néant par l'homme le plus inhumain qui soit. Il insulte toujours son livre de la même manière qu'il me traite depuis mon enfance.

Mais, la vérité, c'est que ce livre est une sorte d'échappatoire imaginaire, dans laquelle ma mère se terre avec ferveur lorsqu'elle ne supporte plus la réalité. Et chaque fois que ma sœur et moi avions besoin de conseils, elle en citait un passage comme si c'était la Bible, elle disait ces phrases pour n'importe quel occasion, et nous instruisait par leur moralité en vérité.

Je me souviendrais à jamais de la fois où j'étais fou de rage et que j'avais voulu m'opposer à cet homme. Elle m'avait pris la main puis conduit dans ma chambre calmement. Et elle m'avait réciter ces mots : "L'homme en qui germe une pensée sur une autre pensée, s'éloigne de son but, parce que la fougue de l'une amollit l'autre."

Je ne comprenais pas le sens exact de cette phrase, et trop idiot que je suis-je ne les comprends toujours pas.

Et je revois encore ce moment, où en pleine nuit, ma sœur s'était mise à hurler de terreur, pensant qu'un monstre était caché dans sa chambre. Seule ma mère avait accouru jusque sa chambre, et la suivant discrètement, je l'avais entendu dire avec sagesse ces mots. « Ma chérie...il faut craindre seulement ces choses qui ont le pouvoir de faire mal à autrui ; les autres non, car elles ne sont pas redoutables ».

Ma sœur n'avait jamais regardé ma mère avec autant d'admiration et d'amour dans le regard, elle qui n'avait que six ans à cette époque. Elle ne savait pas que les choses qui pouvaient lui faire le plus de mal ne seraient jamais les animaux, mais bien les hommes et les ordures qui proclament en être.

Alors ces phrases, bien que tirées d'un simple livre incompréhensible, semblaient pourtant toujours naître de la bouche de ma mère avec une toute autre signification.

J'étais jeune, naïf, con et lâche.

À mes quinze ans, il m'a envoyé dans un lycée privé pour ados perturbés, comme il aimait à me le rappeler. Ma mère m'avait dit ceci : « Le plus grand don que Dieu, dans sa largesse, fit en créant, le plus conforme à sa bonté, celui auquel il accorde le plus de prix, fut la liberté de la volonté ». Si je voulais je pouvais, en somme. Et pourtant, je n'étais pas libre, et elle le savait. Mon père m'avait poussé à la porte, et elle voulait simplement me remonter le moral j'imagine, en me donnant l'espoir que ce que je trouverais là-bas serait bien meilleur qu'ici.

Il a eu raison de le faire néanmoins, vivre avec lui était insupportable et l'est toujours. Mon seul regret à toujours été de les laisser elles.

Car j'aime ma mère, et j'aime encore plus ma sœur. Une jolie poupée de deux ans de moins que moi, si innocente et pure...parfois, lorsque je la regarde, elle me semble plus mature que n'importe quelle personne de mon âge, plus mature que moi-même. Toute deux savent que j'avais toujours voulu m'enfuir, avec elles, et que les quitter m'avaient déchiré l'âme. Mon géniteur avait toujours été le premier à vouloir me jeter dehors le plus vite possible, et moi, le premier à m'enfuir en courant, sans jamais oser aller vraiment bien loin.

Charlie : Je t'aimerai pour deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant