Chapitre 4- Enzo

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Mon poing s'abat deux fois contre le bois terni par le temps et la météo capricieuse, puis après quelques secondes d'attente, mon grand-père m'ouvre la porte, et son visage grave me laisse entendre qu'il est là.

Mon grand-père a la mine terne, le teint blafard et la fatigue imprimée profondément sous les yeux et au creux de ses rides.
« C'est le temps de me refaire. », qu'il disait, l'enfoiré. Deux ans plus tard, et cette ordure est toujours là. Je hais ce type, premièrement parce que c'est un connard fini, mais en plus de ça, un connard profiteur. 

-Salut papi. 

Il hoche la tête pour me saluer en retour alors que j'entre, puis m'adresse une tape de réconfort sur l'épaule, déjà tendue à son maximum. 

Ce gros porc est affalé sur le canapé, des canettes de bière vides autour de lui, ainsi que deux assiettes sales ornant la table basse. Il a le culot de dormir, et j'ai envie de le réveiller avec une bonne gifle avant de le foutre dehors.
Mon grand-père claque la porte d'entrée, et le son résonne dans la petite maison en faisant trembler les murs. 

-Tiens, mais qui voilà ? S'exprime-t-il en se redressant, émergeant de son sommeil. T'es venu pêcher en famille ?

Chaque mot qui sort de sa bouche est un supplice pour mes oreilles, mais je garde les dents serrées et les poings dans mes poches. 

-Je suis venu aider papi, tu sais, pour remplacer les bougies de sa camionnette, ce que tu n'as pas fait depuis quinze jours.

Ma voix sèche et rude lui fait comprendre que je déteste le fait qu'il soit là, le fait qu'il soit si oisif, et le fait qu'il soit lui tout simplement. 

-Cazzo, je t'avais dit que je le ferai ! S'envenime-t-il alors. 

- Attento a quello che dici sotto il mio tetto ! (Fais attention à ce que tu dis sous mon toit. NDLA)

 Gronde alors mon grand-père d'une voix tonitruante, encore plus impressionnante lorsqu'il parle dans sa langue natale, avec ses joues rouges de colère. 

Mon géniteur le regarde droit dans les yeux, quelques secondes suffisent pour qu'il les baisse et retourne à son occupation première, se reposer. De quel fatigue ? Celle d'exister, j'imagine.
Je ne lui accorde plus aucune attention, et attends mon grand-père qui récupère ses clés, avant de sortir rejoindre sa camionnette défaillante.
On passe ainsi deux heures à tout remettre à neuf si je puis dire, et je ne peux m'empêcher de jeter des coups d'œil inquiets vers lui. Plus on passe de temps ensemble et plus ses traits se détendent et retrouvent leur quiétude de vieux sage, mais une fois la besogne terminée, son visage redevient instantanément grave.
J'ai beaucoup de peine pour lui, non seulement parce qu'il doit subir la présence d'un fils indigne, mais également du fait qu'il se sente obligé de la subir parce que c'est son fils. Comme il dit toujours, la famille prime sur tout. Même si je crois qu'il peut y avoir des exceptions, et que l'amour d'un parent peut avoir des limites. Seulement, je dois lui ouvrir les yeux et lui faire comprendre que s'il l'abandonne, il ne perdra pas son honneur, ni pour lui-même aujourd'hui, ni devant Dieu à la fin.

Il revient avec deux bières dont il m'en offre une, et nous terminons de nettoyer le chantier entrepris. Mes mains sont pleines de cambouis, mes vêtements également, et je suis tout transpirant. Là, je ne rêve que d'une bonne douche brûlante.
Je termine ma bière d'une traite, puis prends soin de ranger le salon des cochonneries de l'enfoiré allongé sur le canapé, avant de me décider à partir.
Sur le départ, une fois dans ma propre voiture, je hèle mon grand-père avant qu'il ne rentre.

-Hé, nonno ! Il doit partir. Et si tu ne le vires pas, je le ferai pour toi. 

Il me sourit timidement, puis me fais un signe de la main, un geste allant vers le bas, comme pour me faire comprendre de ne pas m'inquiéter, qu'il gère la situation. Mais mon regard déterminé lui fait comprendre aussi que je ne démordrai pas, l'enfoiré doit partir au plus vite pour que mon grand-père retrouve enfin sa paix.
-Ciao. Lui dis-je avant de m'échapper au plus vite.

Voir mon père en chair et en os, à l'air libre et sans entraves, est toujours une épreuve pour moi, même après deux ans. Et maintenant que j'ai eu les nerfs à vif toute l'après-midi, je dois trouver un moyen de me défouler, et vite.
J'arrive donc à la salle de musculation, à laquelle je suis devenu membre il y a un an. Il n'y a pas un chat, et c'est tant mieux. Je peux me tester à plusieurs machines qui me font suer et palpiter le cœur. Mes poumons menacent de lâcher après une séance de plus de deux heures, et je décide de m'arrêter là pour aujourd'hui. Complètement harassé par cette journée.
Grâce à ça, et au footing, j'ai pu reprendre de la masse tout en trouvant le moyen idéal de me vider l'esprit pendant un temps. Souvent, Alec m'accompagne dans des sessions intensives, lorsqu'il est à bout lui aussi, et qu'il a envie de souffler.
Mais ça fait quelque temps qu'il n'est pas venu, treize jours pour être exact. D'ordinaire, il m'envoie un message pour me prévenir qu'il ne vient pas tel jour, ou qu'il serait présent celui-ci. Et là, plus rien. Je me demande bien ce qui le retient tant de temps, lui qui était pourtant assidu à ses entraînements. 


Enfin, je rassemble mes affaires afin de rentrer chez moi. Le trajet me semble interminable, mais j'arrive à destination en moins de quinze minutes.
J'ai déménagé, il y a peu, dans un nouvel appartement. Mon bail n'était que provisoire à l'époque où je revenais tout juste d'Australie, mais il s'est brusquement terminé sans que je n'aie prévu le moindre plan de secours.
Et puis l'ancien me revenait trop cher de toute façon. Maintenant, je donne un peu de fric à mon grand-père pour l'aider à vivre avec son trou du cul de fils, même s'il a du mal à accepter mon aide, donc j'économise au maximum.
Celui-ci n'est pas mal situé, la résidence accueille des jeunes comme des familles ou des personnes âgées, et tout le monde est sympa ici. Les alentours sont calmes, c'est un quartier tranquille malgré les loyers bien plus raisonnables.
J'ai réussi à l'avoir, par chance, grâce à Alec. Il avait commencé à louer deux étages au-dessous de mon appartement actuel, en sortant de la fac. 


L'année dernière, il a arrêté de jouer à la crosse, et s'est concentré sur une carrière dans le commerce dont il a suivi quelques formations sur le sujet, avant d'être embauché dans une entreprise comme stagiaire dans un premier temps, puis pour un emploi fixe par la suite. Je ne sais pas vraiment en quoi consiste son job, mais il n'arrête pas de me parler de logistique alors j'imagine que ça doit être dans ce genre-là.
Peu de temps après avoir emménagé ici, il m'a parlé d'un appartement libre alors que je venais de me faire éconduire par la proprio de mon ancien logement, et j'ai sauté sur l'occasion. C'est également la raison pour laquelle nous nous sommes tant rapprochés ces derniers mois.
De plus, j'ai arrêté la fac l'année dernière, étant trop chère et ayant déjà un prêt à rembourser, j'ai commencé à bosser à droite et à gauche, avant de trouver une place stable dans une concession automobile qui s'intéresse principalement aux anciens modèles de bagnoles, qui peuvent être de simples caisses de merde, à des bijoux vintages plutôt rares.
C'est d'ailleurs ma passion pour ces modèles qui a convaincu le gérant de m'embaucher, étant un fin connaisseur lui-même, nous avons échangé durant plus de deux heures d'entretien sur le sujet. 


Mais malgré ce travail, j'ai dû trouver une autre source de revenus afin de me permettre de rembourser mon prêt petit à petit, d'aider mon grand-père, et de payer la moitié d'un loyer tout en continuant des activités extérieures.
Mon géniteur a tout fait de mal dans sa vie, mais même si je refuse de l'admettre, ses contacts du mitard m'ont été d'une aide précieuse. Et comment dire... Ce n'était peut-être pas l'idée du siècle, mais ça me permet de garder la tête, voir le buste, hors de l'eau.
Mes pensées centrées sur l'événement, et le dégoût que j'éprouve envers moi-même de me sentir presque redevable envers cette ordure, je ne me rends pas compte que je suis déjà devant ma porte.
J'approche la clé de la serrure, mais un cliquetis se fait entendre de l'autre côté, avant que la porte ne s'ouvre doucement sur une jolie tête blonde aux yeux bleus qui s'exclame :


-T'en a mis du temps à rentrer, mon beau ! 

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Bonjour à toutes et tous les ami(e)s !

Je sais, je sais, vous allez me DETESTER, et c'est tout à fait légitime...mais qui a dit qu'une fin paisible au premier Tome n'annonçait pas quelques orages ? Les tempêtes se surmontent, et il semblerait qu'Enzo ait trouvé une autre ancre à laquelle se raccrocher...

J'espère que vous êtes aussi excité(e)s que moi à l'idée d'entamer de nouveaux problèmes ! Je ne peux pas m'en empêcher, j'aime bien trop ça !

On se retrouve pour le prochain chapitre ;)

Bisous, bisous !

-M-

Charlie : Je t'aimerai pour deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant