Il s'arrête, brusquement, et sans se retourner. Il est planté au milieu de la route, complètement statique. La seule chose en mouvement sont les volutes de fumée de sa cigarette, qui dansent lentement autour de sa main, et qui me certifie que le monde ne s'est pas arrêté de tourner.
Il faut que je trouve quelque chose à dire, une parade, une blague, un truc léger pour détendre l'atmosphère et engager la conversation.
-Salut.
Bien joué Charlie ! On n'en attendait pas moins pour l'inciter au dialogue ! Bravo !
Quelle idiote je fais.
Rien ne semble vouloir interrompre ce silence pesant qui nous entoure, que mon cœur qui s'emballe et mon corps qui se frigorifie à mesure que je reste immobile. Je remarque ses épaules s'affaisser, puis, soudainement, il pivote sur lui-même pour me faire face.
Cette fois, il n'y a que quelques mètres qui nous séparent. Pourtant, j'ai l'impression d'être à l'autre bout de la planète.
Il me paraît inatteignable. Et ne semble pas davantage disposé à m'adresser la parole que ces derniers mois de silence.
Alors que la nuit nous entoure de son obscurité opaque, seules quelques faibles lumières urbaines me permettent de distinguer enfin ses traits. Des traits familiers, rassurants, malgré leurs changements apparents.
Sa barbe de trois jours est identique à mon souvenir, mais ses joues me paraissent plus creuses. Ses yeux, dont je ne peux clairement distinguer leur expression, brillent toujours malgré les ténèbres environnants.
Une brusque bouffée de chaleur me prend, et me laisse interdite, pantoise, ne sachant que faire ou que dire pour alimenter cet échange visuel.
Je sens mes muscles se raidir, et ma gorge se nouer. Comment puis-je rebondir allègrement, alors que je pourrais ressentir la tension qui émane de lui, même à des kilomètres de distance !
Bon sang, vous n'allez pas rester plantés là et fuir une nouvelle fois, alors lance toi !
-Je...
-Alors...tu es rentrée, me coupe-t-il dans mon élan.
Nous nous taisons quelques secondes, surpris d'avoir pris la parole au même moment.
-Oui.
Putain, il n'y a vraiment rien d'autre à répondre ?! Je me désespère.
-Content pour toi.
Cette voix...j'ai l'impression de ne pas l'avoir entendue depuis mille ans. La rudesse, les rondeurs, la gravité de sa tonalité me procure un soulagement que je n'explique pas, d'autant qu'elle me pousse à me renfermer sur moi-même. Car aussi heureuse que j'étais de le revoir, cet échange que j'ai provoqué me fait appréhender ses conséquences. Et si sa froideur me repoussait au point que plus jamais nous ne nous reverrons ? Et s'il était si blessé, si rancunier envers moi, au point de ne plus jamais me parler ?
Cette pensée suscite alors colère et tristesse en ma poitrine qui se compresse, à un degré qui m'échappe. Alors, je ne maîtrise plus mes émotions.
-Ne me mens pas, s'il te plaît. Je réplique, piquée par sa réponse.
Il ricane, d'un rire qui sonne comme aussi faux que sa volonté de m'adresser le moindre mot. Il me déteste, j'en suis persuadée. Pire ! Il me hait.
-Tu préfères que je te dise que je n'ai pas envie de te parler ? répond-il d'un ton ironique qui me désarçonne.
Sa réaction me met dans tous mes états. Je n'avais, certes, pas beaucoup d'espoirs de réconciliation. Mais, il y avait toujours cette étincelle au fond de moi, qui croyait que peu importe la distance ou les obstacles, lui et moi pourrions toujours nous retrouver comme si le temps n'altérait pas notre relation si particulière.
VOUS LISEZ
Charlie : Je t'aimerai pour deux
RomanceEnzo est un jeune homme complexe, perdu entre ce qu'il aimerait être et ce qu'il est. Lui qui n'a connu que la douleur et la solitude durant toute son existence, entre une famille déchirée et une violence quotidienne, n'est plus le même depuis qu'il...